
Si je n'ai jamais eu la chance de tester toutes les productions d'Alexandre Pfister, Great Western Trail et Maracaïbo ont indiscutablement marqué mes dernières années ludiques. Au point qu'aujourd'hui, je sois attiré irrémédiablement vers toutes les sorties du maestro Allemand.
Alors quand on me susurre à l'oreille que Expédition à Newdale, sa dernière œuvre en date, pourrait être son Agricola mâtiné d'un soupcon de Pandemic Legacy (deux monuments incontestables dans leur genre), il fallait absolument que je m'accapare rapidement la bête. Au risque d'être trop déçu ?

L'expédition des règles
Si l'on devait caractériser rapidement Expédition à Newdale, on pourrait dire que c'est une version de Oh My Goods ! agrémentée d'un plateau, d'une mécanique de placement d'ouvriers et d'un mode campagne de 8 scénarios.
Pour les profanes, Oh My Goods ! est l'un des tous premiers jeux de Pfister (jamais localisé en français). Il introduisait un système de cartes servant à la fois de bâtiments et de ressources, et surtout pouvant être liées entre elles afin de créer des chaînes de production astucieuses. Le bois est envoyé à la scierie, qui permet de créer des tonneaux utiles pour le stockage etc ...

Dans ce nouvel opus, l'apport des matières premières est remplacé par un système d'assistants : Un bâtiment ne peut produire que si vous arrivez à lui fournir la bonne combinaison de personnels (quatre couleurs différentes) indiquée sur la carte. Il existe deux types de bâtiments : Des cartes de couleur, limitées à 8 par partie, et que vous pouvez activer en plaçant l'un de vos pions actions sur l'une des cases productions contigües de votre plateau personnelle. Et des cartes noires, illimitées celles-ci, qui peuvent apporter un bonus permanent ou à récupérer lors d'une phase spécifique.
Dans Expédition à Newdale, cette mécanique reste clairement votre principale source de réussite : Chaque ressource présente sur une carte peut être transformée à n'importe quelle moment en sa valeur pécuniaire, qui peut servir ensuite à payer les coûts de construction de nouveaux bâtiments ou débloquer des nouvelles actions. Et ainsi gagner des points de victoire (le graal du jeu).

Pour le reste, une partie d'Expédition à Newdale débute par la configuration de la campagne (en adéquation avec la mise en place d'un plateau et de cartes spécifiques) et dure sept tours, chacun segmenté en six phases différentes.
Tout commence par le tirage d'une carte évènement (phase I), qui en plus d'annoncer une particularité va définir les assistants de base disponibles pour ce tour.
Vient ensuite la phase de planification (II), où chaque joueur doit placer simultanément ses "ouvriers" sur des cases Action disponibles. Chaque joueur en possède deux en début de partie (deux autres sont déblocables contre monnaie trébuchante), et peut les placer sur deux types de cases différentes : L'une des 5 actions génériques, disponibles pour tous depuis le plateau dédié commun, ou l'une des actions productions liées à l'un des bâtiment qu'il possède sur son plateau individuel.

Sans rentrer dans les détails, sachez que l'action générique "construire" se réalise en payant le coût en or de la carte ciblée (de sa main ou du pool commun, si des événements l'ont décidés), en transformant à la volée des cubes ressources placés sur ses bâtiments déjà construits. Elle va aussi de pair avec le placement d'un de ses meeples "maison" sur la carte centrale, et peut débloquer un bonus et/ou une réduction selon le nombre de déplacements effectués et les symboles présents sur la case de destination. Des symboles qui peuvent débloquer des points de victoire selon les objectifs secrets et certaines missions de campagne.
Pour effectuer l'action "produire", un joueur peut décider de forcer une production plus intensive (ou à l'inverse assurer un minimum), en choisissant une case impliquant plus ou moins d'assistants que demander par le bâtiment. Cette prise de risque est à prendre en sachant qu'en phase III du tour, le joueur actif tire 4 nouveaux assistants (en général) d'un sac opaque qui peuvent être utilisés par tous les joueurs.

Lors de la phase actions (IV), chaque joueur retire l'un des pions placés en phase II et effectue l'action liée, en commençant par le premier joueur et dans le sens horaire, et en jouant ses pions dans l'ordre de numérotation ascendant.
La phase V offre une action construction bonus, que l'on peut remplacer par la pioche de 2 cartes bâtiments, alors que la phase VI permet de résoudre les effets tous ses bâtiments spéciaux (à la fois noirs et marqués d'un VI).

L'expédition de mon avis
Ce que j'adore avec Alexandre Pfister, c'est que même en réalisant des jeux "experts" où les mécaniques sont aussi présentes qu'exigeantes, il réussit toujours à envelopper ses jeux d'une forte aura thématique qui donne l'impression de ne pas jouer à un jeu "kubenbois".
Et c'est encore le cas avec ce Expédition à Newdale : On se sent véritablement construire un "empire", partir explorer des terres inconnues, alors qu'on est quand même tout le temps amener à se creuser le cerveau et faire des choix cruciaux pour le développement de notre partie.

Il faut dire que l'aspect évolutif y fait pour beaucoup. Mais ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dis : Il ne faut pas s'attendre non plus à un récit à la Tolkien, ou des bouleversements métaphysiques qui vous ferons tomber de vôtre chaise et prier le Seigneur de voir sortir une adaptation filmique du jeu. C'est une histoire simple, épurée, qui rajoute au fil du temps des petites règles sympathiques, et dont les scénarios peuvent clairement se jouer individuellement sans défavoriser un nouveau venu. Et je pense que beaucoup de monde se ficheront de cette histoire comme de leurs premiers poils aux épaules.
Mais sans rien dévoiler à l'intrigue, la petite aventure contée, saupoudrée d'un soupçon de fantastique, s'avère très plaisante à suivre. Et se montre assez bien répartie dans les différents scénarios pour immerger le joueur dans chaque partie dont il va prendre part.

Reste que cet aspect narratif rend malheureusement la mise en place extrêmement laborieuse. Trouver le bon plateau, récupérer les bons jeux de cartes liées à la mission attendue, etc... un véritable calvaire attend l'organisateur de l'escapade, surtout s'il n'a pas anticipé la partie en amont. Et il n'est vraiment pas aidé par ce choix abstrus de la part de l'éditeur, qui n'a pas semblé utile d'intégrer un thermoformage adapté (le rêve), des boîtes de rangement en carton (cela n'aurait pas coûter beaucoup plus cher), voir un minimum de sachets pour favoriser le tri (la base ...).
S'il y a bien un style ludique qui demande un petit effort, c'est bien les jeux du type "legacy". Et si d'habitude je ne porte pas grand intérêt à ce manque pratique, cela fait vraiment défaut dans Expédition à Newdale.

Mais clairement, la campagne fait ce qu'on lui demande : Vous donner une raison de ressortir le jeu un grand nombre de fois, tout en vous donnant bien assez de variance et d'évolutivité des règles pour ne pas vous lasser après 2 parties. Si vous aimez les jeux de construction de moteur exigeants, aux choix cornéliens, obligeant une gestion continuelle de ses ressources au cordeau, Expédition à Newdale vous comblera. Même si c'est toujours rageant de voir la fin de partie arriver quand on commence à peine à voir tourner sa machine à points sans trop grincer (le jeu n'échappe pas à ce défaut).
Expédition à Newdale est pour moi un excellent jeu. Et son auteur a réellement réussi à bonifier son excellent concept jeu initial en lui apportant une surcouche aussi visuelle que "narrative", qui améliore sensiblement l'implication et l'expérience de jeu.

La seule chose qui pourrait finalement bloquer les "pousseurs de cubes" experts, c'est de devoir accepter une ingérence du hasard un peu trop prononcée pour un jeu du genre. Le tirage des cartes, déterminant dans Expédition à Newdale, peut vraiment faire rager quand on arrive pas à obtenir les ressources et bâtiments dont on a besoin pour répondre favorablement aux objectifs et à notre stratégie. Et peut décevoir quand on est obligé d'utiliser plusieurs fois l'action de nettoyage de sa main pour tenter de trouver la carte vitale de notre dispositif.
Et cela n'est rien avec le système de tirage des assistants, qui génère par sa composante prise de risque et suspense une vraie ambiance en l'absence total d'interactivité directe. Mais qui déplaira fortement à ceux qui aiment planifier leurs actions sans devoir s'attendre à d'éventuelles mauvaises surprises.

