Le Château Blanc
Vous le savez peut-être déjà, mais Le Château Blanc n'est ni plus ni moins que la "suite spirituelle" de La Cathédrale Rouge, jeu des temps anciens (l'année dernière) déjà créé par le duo Israel C. / Shei S. et déjà localisé chez nous par Matagot. Si ce premier jet avait connu un vrai succès d'estime malgré un design pas très accueillant et une mécanique de contrôle hasardeuse, autant le dire de suite, ce nouveau titre a de quoi convaincre tous les sceptiques.
Mais avant de parler de tout le bien, faut que je parle d'un truc qui m'embête, à savoir l'ergonomie visuelle. Alors oui j'aime beaucoup les éléments 3D, les illustrations chatoyantes et la symbolique de zones qui invitent au voyage ... mais qu'est-ce que le plateau général est compliqué à lire et l'action difficile à suivre, boudiou !
Je crois que c'est la première fois qu'après deux parties complètes, je galère toujours autant à associer un symbole de carte à une zone spécifique du terrain de jeu (après je suis loin d'être HPI et plus très vivace à mon âge, donc ne prenez pas peur pour autant ...). Mais quand on souffle à devoir se lever pour voir des icônes (merci les ponts) et que malgré la densité des informations, pas mal de choses peuvent vite passer à la trappe si vous n'avez pas un spécialiste sous la main qui connaît le jeu sur le bout des lames, c'est qu'il y a quand même un souci de conception quelque part. Vous saviez vous qu'on ne pouvez pas gravir deux salles du château d'un coup si vous partez de l'entrée ?
Mais vraiment, c'est le seul défaut notable que je reprocherai à ce The White Castle (oui je parle aussi anglais). Car si ce titre partage de jolies qualités avec son parent direct comme l'envie de proposer un gros jeu dans une petite boîte et un petit prix, ainsi qu'une prédominance des dés intéressante, il monte le curseur ... à tous les niveaux !
Déjà côté design, c'est carton plein. La boîte est sublime, le matos est clinquant (des meeples personnalisés à ces fichus ponts qu'on adore détester...), les plateaux plein de charme, et vous n'aurez avec tout cela aucun mal à vous prendre pour un chef de clan japonais féodal qui veut montrer sa supériorité à ses adversaires de tablée (objectif du jeu).
Et petit plus Périglioni, le thème a le mérite de s'emboîter parfaitement dans le déroulé du jeu, vous demandant notamment d'envoyer vos jardiniers dans la cour pour récupérer des ressources, faire évoluer vos guerriers au terrain d'entraînement pour des bonus en fin de partie ou progresser vos courtisans dans le le château de Himeji (siège du daimyo de la région) pour divers avantages en jeu. Il y a en tout 11 cases d'action, activables grâce aux dés que vous allez choisir en amont, et qui peuvent être régies à la fois par une contrainte de couleur, une limite d'empilement maline (à plus de 3 joueurs), ou par l'obligation de respecter une valeur en payant si besoin la différence en pièces.
Et ce n'est pas tout. Entre la carte avantage d'une salle du château qui change à chaque fois qu'un courtisan se pose dessus, l'action Lanterne qui déclenche tous les symboles de cartes que vous avez récupéré en partie, les actions situées sur son plateau personnel (dont la puissance augmente en plaçant des ouvriers sur le plateau), la piste Passage du temps jouant sur l'ordre du tour, etc... Le Château Blanc offre une quantité de subtilités folle, pour une mécanique globale bien plus riche que la taille de la boîte laisse présager de prime abord.
Mais ce qui surprend le plus, c'est l'aspect extrêmement serré du gameplay. 3 tours de jeu pour trois dés par tour, et 9 dés seulement joués lors de chaque partie, c'est très peu, et oblige à sous-peser chaque décision, à réfléchir profondément chacun de ses actes, car toute action peut avoir une incidence forte sur la suite de sa courte partie. Et en plus de cela, il faut rajouter l'indécision des lancers et l'interaction indirecte mais vive de la sélection de dés. Car en plus d'être obligé de prendre toujours à l'une des extrémités d'un des trois ponts du jeu, il faut toujours faire attention à se laisser des choix intéressants pour la suite tout en ne laissant pas des dés parfaits à la gauche des ponts (côté qui permet de déclencher une action Lanterne gratuite).
C'est d'ailleurs toute cette exigence et cette science de la construction qui, selon moi, fera le tri entre ceux qui adoreront ou détesteront Le Château Blanc.
Vous n'arrivez pas à concevoir un petit moteur de jeu et/ou ne réussissez pas à aller au delà d'une action de dé simple ? Vous allez vous dire "tout ça pour ça ?", et verrez Le Château Blanc comme un Eurogame sympa mais avec une fin bien trop précipitée pour y prendre du plaisir. Mais si par contre vous avez l'âme d'un optimisateur ou que vous vous acharnez un peu, c'est tout un monde qui s'ouvre à vous, fait d'un gameplay aussi subtil et exigeant qu'extrêmement gratifiant ... quand vous réussissez à prendre le dé parfait et enchaîner les combos dévastateurs (pour le morale de vos adversaires) !
Mais attention : Il faut aimer cette sensation d'urgence permanente et vouloir jouer chaque tour comme si votre vie en dépendait pour profiter au mieux de ce titre étonnant. Et si vous êtes dans ce cas là, il y a fort à parier que le rapport profondeur / rejouabilité / prix de ce Le Château Blanc soit votre petite pépite de cette fin d'année !