
Avant de parler de Above And Below (le dedans de la boîte), difficile de ne pas évoquer la petite polémique ayant entourée la traduction française. Des erreurs de frappes, des fautes d'orthographe, jusqu'à des (rares) gros soucis d'impression nuisant à l'expérience de jeu, c'est sûr, il y a de quoi décontenancer, surtout après 5 ans d'une longue attente depuis la sortie de la version originale.
Mais l'éditeur Lucky Duck Games a eu le mérite de ne pas se cacher, d'avouer qu'il y avait eu des incompréhensions en interne (teintées d'une petite précipitation, il faut l'avouer). Jusqu'à officiellement annoncer qu'il mettrait à disposition des guides corrigés à ceux qui en feraient la demande.
Et vraiment, on aurait tord de leur en vouloir davantage. Car Above And Below reste quand même jouable dans l'état (on a connu des localisations beaucoup plus "sales" que ça). Et parce que le jeu vaut vraiment qu'on s'y attarde, surtout si vous aimez les jeux qui sortent de l'ordinaire.

Le monde du dessus
Si le jeu de Ryan Laukat (Empires of the Void II, Dix Huit Minutes pour un empire) a tant fait frissonner dans les chaumières, c'est pour son audacieux mélange de deux mondes que tout opposent habituellement : le jeu de pose d'ouvriers ... et le jeu narratif. Faut dire, il fallait oser.
Côté gestion, Above and Below surfe sur des plates bandes éprouvées. Chaque joueur débute son aventure avec une poignée de villageois, chacun ayant sa spécialité et ses capacités additionnelles propres, qu'il va pouvoir envoyer tour à tour sur l'un des cinq emplacements action de son plateau personnel.

Tous peuvent aller récolter des ressources de leur domaine ou travailler, contre monnaie trébuchante (bien difficile à obtenir, la gestion de son pécule est donc importante). Alors que seuls les constructeurs ont la possibilité de construire de nouveaux bâtiments, et les érudits de recruter de nouveaux habitants, depuis les rivières communes dédiées et remises à niveau entre chaque manche.
N'allait pas croire que votre village atteindra le niveau de population de Paris, le jeu intègre une gestion des couchages bien pensée.
En effet, seuls les villageois ayant un lit à disposition peuvent se reposer entre deux tours et revenir ensuite à la manche suivante (une partie en comptant sept en tout). Le jeu n'autorisant pas de les superposer amicalement ou de créer des couples par intérêt, il faut donc bien savoir gérer son ratio dodos / dormeurs pour ne pas se retrouver avec un trop plein de futurs inscrits au Pôle emploi local.

Qui dit jeu de gestion dit course aux points, et de ce côté vous avez l'embarras du choix. Construire des bâtisses (classiques ou spéciales), gagner de la réputation, développer vos récoltes, il y a plusieurs axes de développement permettent de faire monter votre score à l'heure de comptabiliser les totaux finaux.
Le monde du dessous
La vie de fermier, c'est bien. Mais la vie d'aventurier, c'est quand même plus funky. Et c'est là que la surcouche narrative très "ameritrash", avec sa dose de hasard, d'immersion et d'évènements rocambolesques, apporte de l'aléatoire à une gestion bien trop proprette et millimétrée de votre village.

Comment me direz-vous ? Quand on utilise l'action explorer, la cinquième action de Above and Below dont je ne vous avais pas encore parlée (je sais je suis perfide). En envoyant au minimum deux villageois sur l'action du même nom (et oui cela se mérite), vous avez en effet la possibilité d'aller sous terre en quête de trésors et d'histoires à raconter aux plus jeunes le soir au coin du feu.
Une carte spéciale et un lancer permettent alors de déterminer le paragraphe du grand livre de contes disponible avec le jeu, avec souvent une décision à prendre au bout.
Attaquer la gentille monstruosité ou passer votre chemin, aider un ermite ou carrément le voler... le choix vous appartient. Reste que vous serez souvent amené ensuite à effectuer un test de dés, plus ou moins compliqué suivant le total des torches inscrits sur chacun des villageois envoyés au casse pipe.

Il faut savoir que la récompense est souvent plus qu'intéressante, et offrira à votre clan un coup de boost bienvenu pour son développement. Mais une exploration peut aussi mal tourner : Vous pouvez perdre en réputation si vos agissements ne sont pas du goût de la bienséance générale.
Ou pire, vos villageois peuvent revenir blessés. Et là, il faudra consommer une potion ou utiliser un lit supplémentaire afin de pouvoir profiter de leurs talents au tour suivant.

Le monde des entre deux
Et franchement, cette partie du jeu est hyper cool (#jeparlejeune #desannées80). Si vous jouez comme moi avec un enfant qui aime lire et voyager intellectuellement, il y a des chances qu'il passe sa partie à explorer, juste pour entendre conter ce monde du dessous, faire des choix, lancer les dés et découvrir sa récompense. Comme s'il était devant une boîte de Kinder Surprise, les caries en moins.
Si cela fonctionne aussi bien, c'est en grande partie grâce à la plume accessible, efficace et imaginative de l'auteur, qui a su ajouter un vraie écosystème à son monde. Des bêtes à peau de pierre, des êtres mécaniques, des bestioles variées... vous allez croiser du beau monde dans Above and Below, et cela va vous donner toujours plus envie de vous enfoncer plus profondément dans ce monde fantastique. Que dire du travail d'illustration global de l'auteur (encore lui), qui ne fait que parachever l'immersion.

Reste que dans un jeu intégrant deux concepts aussi opposés, ce n'est pas évident de trouver l'équilibre parfait. Si je devais être "critique", je dirais que la partie exploration a le défaut de hacher un peu trop le rythme de la partie, et s'avère finalement trop simple à réussir pour créer de la tension (suffit d'envoyer deux ou trois bons guss', et l'affaire est quasi souvent pliée). Et la gestion des ressources et spécialités est peut-être un peu en retrait par rapport à leurs potentiels de départ.

Et pour le public visé, dilemme encore, car il peut clairement frustrer les gros fans de chacun des deux mondes. Les fans de jeux narratifs pesteront sans doute contre cette surcouche de gestion indispensable qui casse un peu trop souvent le "voyage" proposé par Above and Below. Alors que les mordus de jeux à l'allemande le trouveront certainement un peu trop simple et à la merci du fort hasard des explorations.
Mais si vous êtes moins "extrémistes", que vous aimez être surpris et vous cherchez un jeu famille avancée qui propose quelque chose de nouveau, l'expérience vaut clairement le coup d'être vécue, au moins pour vous faire votre propre avis. D'ailleurs, si vous appréciez Above and Below, n'hésitez pas à jeter un œil à Near and Far, la version++ incluant un mode campagne et des quêtes à réaliser, qui vient aussi de sortir en français (avec une traduction encore plus aléatoire selon les retours, mais c'est un détail quand on aime).


