Black Angel
La Terre se meurt. Et afin de sauver son patrimoine génétique de l'extinction, l'homme a décidé de construire et d'envoyer le Black Angel sur Spes, une planète aux confins de l'univers. Mais le voyage devant durer des milliers d'années, ils ne peut embarquer que des robots. Et chaque nation est bien décidé à démontrer que son intelligence artificielle est seule digne de prendre en main la destinée de l'humanité !
Un thème fort
Quand on aime l'espace, la psychologie humaine, et qu'on est un tant peu soit touché par le comportement irresponsable de l'homme envers sa planète ces derniers temps, on ne peut qu'être attiré par Black Angel, le dernier gros jeu de l'éditeur Pearl Games (Solenia, Troyes).
Et le jeu joue la carte à fond, avec une citation pas piquée des hannetons à l'intérieur de la boîte : "Dans la réalité, il sera toujours dix mille fois plus coûteux, complexe et dangereux d'essayer de quitter notre planète, que de faire ce qu'il faut pour la sauvegarder. Comment pourrions-nous prétendre rendre habitable un autre monde, si nous n'arrivons même pas à préserver le nôtre ? Alors, prenez soin de la Terre, c'est la seule planète que nous avons, et ce encore pour très longtemps".
Alors oui, on peut toujours douter de ce genre de démarche. Mais l'éditeur a pris le risque de se lancer dans un discours humaniste (pas du genre des politiques mondiaux du moment), et rien que pour ça, j'ose tirer mon chapeau bas.
Et honnêtement rien à dire, Black Angel fait tout pour nous convaincre de son honnêteté. Déjà, le matériel est vraiment au niveau : Tuiles épaisses, robots, vaisseaux, figurine vaisseau... la boîte contient son lot d'éléments de qualité qui fait son effet.
Ensuite, si le design général, avec ses couleurs flashy et son imagerie plutôt spé(a)ciale, est vraiment clivant, il a au moins le mérite de marquer les esprits, et sied selon moi parfaitement au thème puissant du jeu.
Le jeu, d'ailleurs, parlons-en. Black Angel est du genre velu, pour joueurs avertis, qui surprend positivement par de nombreux points. Que ce soit l'insertion des petits robots dans les vaisseaux, le plateau extérieur mouvant (concept que l'on retrouve dans Solénia) ou le fonctionnement du plateau de tuiles individuelles, le jeu regorge de belles trouvailles. Et pendant la partie, le jeu tiraille toujours entre le besoin de collaborer pour gérer le vaisseau mère face aux hordes d'attaque d'une race extraterrestre (les ravageurs), et faire des actions individuelles comme sortir dans l'espace pour faire des affaires avec des aliens. Un ensemble de choses qui donnent vraiment envie de se lancer dans sa première partie.
Un ensemble d'incohérences
Mais par beaucoup d'aspects, Black Angel ne fonctionne tout simplement pas aussi efficacement qu'on aurait pu l'espérer.
Déjà, une fois la partie lancée, le jeu perd tout de sa puissance narrative. Le background historique est si mal amené, l'ergonomie si peu intuitif, que l'on appelle au final les races par leurs couleurs, les lieux du vaisseaux par leur numéro, les ressources par leur fonction (au lieu de leur signification). Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris à quoi correspondait les dés dans l'imagerie du jeu, et leurs différentes couleurs. Et surtout pourquoi des I.A étaient censés en lancer.
Ce n'est pas gênant en temps normal, un eurogame est souvent affublé d'un thème inutile. Mais quand la promesse est si alléchante, l'annonce si forte, on est forcément un peu déçu.
Surtout que le côté coopératif et le défi n'y sont pas vraiment non plus. Dans Black Angel, Les joueurs sont censés collaborer au minimum pour éviter que le vaisseau amiral subissent trop d'avaries et empêchent d'atteindre son objectif. Mais en réalité, tout le monde s'en fout. Car les joueurs ne subissent jamais de gros préjudices. Car il y a beaucoup trop de façons de grapiller des ressources en abondance. Et que le paquet de ravageurs n'est jamais proche d'arriver à son terme (fin négative du jeu).
Résultat : Les joueurs sont beaucoup plus occupés à sortir dans l'espace récupérer un maximum de denrés et de points de victoire, et surtout squatter les planètes des autres joueurs beaucoup trop facilement accessibles. Dommage, car tous les éléments étaient présents pour vivre une aventure épique et intense.
Mais ce qui dérange surtout dans Black Angel, c'est le manque de fluidité de l'action, en grande partie causée par ses règles confuses. Pourtant, à la base, un joueur n'a à son tour que deux choix. Soit effectuer la séquence A, qui consiste à faire une action avec un dé pris dans son pool de dés ou en achetant celui d'un autre. Ou faire la séquence B, qui permet de relancer tous ses dés et faire avancer le vaisseau amiral. Mais le jeu possède tellement de subtilités, de petites règles, que l'on a vite fait de se tromper et d'oublier la moitié des tâches que l'on doit effectuer.
Et le joueur n'est vraiment pas aidé. Par le plateau de jeu principal, certes design, mais qui est une horreur de lisibilité. Mais surtout par le livret de règles, pas bien segmenté, très confusant, et loin d'être exhaustif.
Comment peut-on appeler un cube rouge par deux noms différents, en fonction de son placement ? C'est complètement illogique d'un point de vue ergonomique, et n'aide vraiment pas à l'apprentissage du jeu. Et que dire du flou entourant l'action dés des cartes une fois posé sur une planète, qui n'est même pas évoqué dans le manuel... seize pages seulement donc, mais des règles si mal fichues que j'ai dû regarder plusieurs vidéos pour être certain de bien assimiler toutes les spécificités du jeu...
Et ce constat amer, je ne suis malheureusement pas le seul à l'avoir partager. J'ai fais essayer Black Angel à des gens qui, pourtant, commencent à être habitués des jeux "experts". Et c'est bien la première fois que je les ai senti aussi perdus, aussi circonspects, dans l'enchaînement des actions, des bonnes choses à faire pour scorer (alors que les règles avaient été encore une fois parfaitement retranscrites par votre serviteur).
Mais le gros côté positif de tout ça, c'est que je crois qu'on n'a jamais autant ri autour d'une table. Entre le trash-talkeur persuadé de maîtriser parfaitement le jeu, et qui au final s'est retrouvé à faire trois erreurs de règles par tour, et celui qui n'a jamais compris où placer son dé sur le plateau, ce fut un enchaînement de situations ubuesques. Même un pur jeu d'ambiance ne nous avait procuré autant de fou-rires que Black Angel. Et c'est fâcheux me direz-vous, pour un jeu qui devait plutôt nous offrir le grand frisson spatial.
Reste que Black Angel a été pour moi une incroyable et hilarante déception. Et c'est pour cela qu'au final, je ne lui en veux pas plus que ça.