Margraves de Valeria est le tout dernier rejeton de la la saga Valeria, un univers héroïc fantasy créé en 2011 par Isaias Vallejo. Si elle n'est pas très connu par chez nous, c'est une franchise qui totalise déjà une demi-douzaine de jeux, dont le plus connu, le Royaume de Valeria, est un dice city-builder pas donné mais plutôt sympathique.
Et après des premiers jeux plutôt légers, le patron de DailyMagic Games et The Mico (son acolyte attitré aux illustrations) ont décidé de s'attaquer au jeu de gestion pur souche, avec comme toile de fond un royaume en danger, une reine apeurée, et de valeureux chevaliers appelés à parcourir le monde pour construire de grandes tours de conjuration !
J'ai tour-efais dans mon jardin
Et si vous allez bien voyager avec Margraves de Valeria, c'est en premier lieu avec les yeux. La (déjà) magnifique boîte déborde de matériel dans tous les sens : un plateau principal gigantesque, des mini-plateaux en pagaille, des meeples en bois à foison, des dizaines de cartes, ... quand l'auteur se décide à faire un gros jeu, il y met les formes, jusqu'à intégrer des mini-châteaux en 3D juste pour stocker la monnaie (inutiles donc complétement indispensables pour l'immersion).
L'ensemble est embelli par le trait de Mihajlo Dimitrievski, dont le talent semble planer sur toutes les productions actuelles (Vicomtes du Royaume de l'ouest, Coloma, Dig Your Way Out, etc...). Même si vous n'aimez pas le genre, ni la thématique médiéval fantastique, impossible de ne pas claquer des dents devant Margraves de Valeria, tellement qu'il est beau une fois déployé.
Par contre, je préfère en parler tout de suite avant d'oublier : Le jeu prend de la place, beaucoup de place. Et il faut surtout un temps monstre pour préparer une partie (et le ranger par après). Sauver le monde, ce n'est pas pour les fainéants, et il va falloir prouver votre bravoure bien avant d'endosser votre armure.
Cet apparat éblouissant sert en tout cas un jeu aux multiples facettes. Margraves de Valeria intègre en premier lieu de la gestion de cartes personnages. Sur les quatre actions disponible à son tour, deux correspondent à des actions présentes sur ces cartes, au nombre de quatre par joueur en début de partie.
On peut soit utiliser le pouvoir des fanions en haut à gauche (servant principalement à déplacer son Margrave et des troupes communes disponibles sur le plateau), soit utiliser la capacité du personnage (souvent génératrice de force ou de ressource divers).
Une fois une carte jouée, elle est placée dans sa défausse, et votre seule possibilité de vider cette dernière est d'effectuer le pouvoir de rappel, la troisième action du jeu. Comme tout bon jeu du genre, un marché commun est disponible, permettant d'acquérir de nouveaux citoyens pour enrichir votre stratégie, ou la spécialiser si vous pensez qu'avoir trois prêtres peut expier vos nombreux péchés (ceux avant le jeu bien entendu).
Margraves de Valeria, c'est aussi (et surtout) un gros mix de déplacement sur plateau et placement d'ouvriers, le cœur névralgique du jeu. Vous allez arpenter les chemins du royaume en large et en travers afin de récupérer des ressources et visiter les différentes villes du jeu.
Chacune offre une action spécifique particulière quand on y pose ses valises, et certaines permettent même d'accéder à des repaires de monstres qui offrent de belles récompenses en cas de combats remportés.
Mais les villes sont surtout importantes pour leurs affinités avec les guildes. Chacune des quatre guildes du jeu (artisan, ombre, saint, soldat) est liée à une piste influence. Dès qu'un joueur construit une tour dans une ville, il gagne un multiplicateur de piste pour chaque guilde affiliée à cette ville.
Si la fin de partie intervient quand l'un des joueurs a construit quatre tours dans quatre villes différentes (ou quand les pioches sont vides, mais c'est plus rares), la victoire finale revient à celui qui a réussit à engranger le plus de points de victoire, qui passent majoritairement par les-dites pistes.
Tour-isme de masse
Margraves de Valeria m'a agréablement surpris par sa richesse. Des plateaux individuels avec des emplacements de stockages limités, la récupération de parchemins bonus, une gestion des chevaliers occis, ... le jeu regorge vraiment de subtilités, d'inclusion de mécaniques que l'on retrouve habituellement dans des jeux plus copieux, dont je n'ai pas fait le tour exhaustif volontairement sous peine de devoir y passer mon week-end.
Côté choix stratégiques, le jeu n'est pas avare non plus. Construire, vous battre, collectionner les personnages, récupérer un maximum de ressources, ... de nombreuses voies de développement permettent d'engranger des points de victoire. Mais Margraves de Valeria reste un pur jeu de course à l'objectif, et atteindre l'objectif des quatre tours en premier vous donnera souvent un avantage décisif sur vos adversaires. Sachez-le, avant de voir comme moi l'un des joueurs à table être déçu qu'on ne lui laisse pas le temps d'aller vider tous les repères de monstres.
Pour autant, si les règles ne sont pas les plus simples à lire, une fois comprises le jeu s'apprivoise bien, les tours s'enchaînent logiquement, de manières fluides et rapides. La difficulté est d'ailleurs vraiment bien calibrée. Un joueur occasionnel y prendra plaisir, tout comme un joueur plus aguerri trouvera le moyen de contenter ses besoins d'anticipation.
Je pense que c'était une volonté de l'auteur de proposer une production un peu plus experte qu'habituellement mais qui resterait accessible pour sa fanbase. Sur ce point, c'est une réussite.
Après, s'il n'y a rien de vraiment nouveau à l'horizon, j'ai vraiment apprécié la mécanique de combat, plutôt originale, qui se base sur une piste de puissance individuelle que l'on peut bonifier en rameutant des chevaliers meeples avoisinant. Comme ces "mercenaires" appartiennent à tout le monde, cela génère une petite lutte stratégique sous-jacente intéressante, qui rajoute en plus une certaine vie à un royaume qui manque un peu d'un sentiment d'insécurité.
Car si j'avais quelque chose à reprocher au jeu, c'est que les promesses annoncées par le pitch et le design global hyper aguichant ne sont pas complètement tenues. Je n'ai jamais ressenti, en arpentant les routes de Margraves de Valeria, la pression du danger imminent, je ne me suis jamais senti plongé dans une quête épique pour sauver l'humanité, et ce à mon avis à cause de certains choix simplifiant bien trop l'aspect voyage.
Avoir la possibilité de traverser la carte en diagonale en deux tours, pouvoir éviter toutes les zones de conflits, ne pas pouvoir taquiner les autres joueurs, cela tranche selon moi un peu trop avec l'idée d'envoyer son chef militaire à la guerre défendre sa contrée. Le plus gros souci vient selon moi des cartes personnages, qui disposent chacune de beaucoup trop d'avantages et ne rendent finalement jamais les choix cornéliens, que ce soit à l'achat ou au moment de choisir le citoyen que l'on va jouer durant notre tour.
Certes Margraves de Valeria est un jeu de gestion, où l'optimisation et l'anticipation priment sur le hasard des rencontres, mais j'aurai peut-être aimé que le jeu incorpore une petite dose d'Ameritrash légère, des évènements, des surprises, des combats inopinés, quelques petits aléas permettant de valoriser un univers et une thématique qui au final sont un peu sous-exploités.
Mais difficile de cracher dans la soupe. Si personnellement je m'attendais à davantage de folie pour être totalement conquis, et si le dernier Valeria paie selon moi une mise en place trop laborieuse pour moi pour faire partie de ma ludothèque, il n'empêche que le jeu a de nombreuses qualités, et s'avère être une belle porte d'entrée pour qui veut rentrer dans le monde du jeu de gestion un peu touffu sans devoir se coltiner un thème abscons et un design avant-gardiste des années 50.
Après, on peut toujours se demander s'il n'y avait pas moyen de simplifier un peu les mécaniques tout en gardant le cœur du jeu, afin de s'assurer une place de choix dans le chemin menant de The River ou Little Town à des jeu experts.
Mais même avec ça, Margraves de Valeria pourrait être l'une des belles surprises de cette année. Et arrivée sur la pointe des pieds, cela ne fait pas de mal d'avoir, de temps en temps, une frayeur qui donne le sourire.