Les Amériques semblent inspirer énormément Daniele Tascini. Après le légendaire Tzolk'in (2012) et le non moins excellent Les voyages de Marco Polo (2015), l'auteur italien nous a gratifié en 2019 de Teotihuacan, une véritable plongée dans la culture Aztèque. Améliorer la renommée de sa famille, aider à la construction de la grande pyramide afin de gagner les faveurs des dieux, c'est le défi qui vous attend. Et il va falloir s'accrocher !
Gogo Aztèque aux points
À première vue, Teotihuacanparaît ... énorme. Avec sa tonne de matériel, son plateau gigantesque ultra détaillé et incompréhensible au premier abord, la première installation peut rebuter, et ce même le plus chevronné de vos joueurs. Et on ne va pas se le cacher, le jeu est du genre complexe.
Teotihuacan est un vrai jeu euro, avec sa multitude de petites règles que l'on ne va pas toutes expliquées ici (sinon vous allez vous endormir au tiers de l'article). Et il vous faudra au moins une partie pour l'apprivoiser, et plusieurs parties pour vous vanter de le maîtriser.
Mais une fois plongé dans les règles, on s'aperçoit que le fonctionnement global du jeu s'avère finalement plutôt simple.
La base, c'est une course aux points (#classique), basée sur un circuit de huit grosses cases actions distinctes placées autour d'une pyramide centrale. Celles-ci sont variées, allant de générer des ressources (de la pierre, du bois ou de l'or), renflouer ses caisses (le cacao servant de monnaie du jeu), construire ou décorer la pyramide, développer une technologie ou bien faire venir des nobles dans la région.
Qui dit jeu de placement, dit travailleurs, et Teotihuacanoffre la particularité de gérer non pas des meeples classiques en bois, mais des dés, dont la valeur représente leur "expérience". Tous les joueurs commencent avec des dès de faible valeur (maximum 2), qu'ils peuvent faire progresser après certaines actions particulières. Une fois à 6, l'ouvrier subit une "élévation" : Petit passage dans le royaume des morts (où il permet à son propriétaire de gagner une puissante récompense), puis retour sur le plateau en tant que petit jeunot de force 1.
Lors d'un tour de jeu, chaque joueur à le droit de déplacer l'un de ses ouvriers jusqu'à 3 cases dans le sens horaire. Une fois à destination, il peut récolter du cacao ou réaliser l'action principale de l'emplacement, dont la puissance de l'effet augmente s'il a déjà des dés de fortes valeurs déjà présents.
Sur certaines cases, il est aussi possible d'effectuer une "adoration". Le joueur récupère la tuile bonus attenante mais voit son ouvrier bloqué jusqu'à sa prochaine libération, une action alternative permettant de libérer tous ses ouvriers contre un tour classique de jeu.
A noter que dans Teotihuacan, le placement des autres joueurs a une influence sur son tour. Si on arrive sur une case contenant déjà des dés, on doit au préalable payer un cacao par couleur différente présente, alors que l'action récolter permet à l'inverse de gagner autant de grains de cacao. Et si la case "adoration" est déjà prise, il faudra payer pour en déloger la personne si l'action vous intéresse !
Concernant la fin du jeu, elle peut se déclencher à deux moments : Lorsque la grande pyramide est construite complètement, ou lorsque on atteint la troisième éclipse. Liée à une piste du même nom, celle-ci se déclenche à chaque fois que le jeton soleil rencontre celui de la lune. Une piste à toujours suivre du coin de l’œil, puisque non content de déclencher un comptage de points intermédiaire, elle oblige aussi à payer un coût de cacao de 1 pour chacun de ses dés juvéniles, et de 2 pour les plus matures.
A noter que le jeton soleil progresse normalement de'une case après chaque tour complet de table, mais progresse aussi à chaque élévation.
Bien dans tes Aztèques
Une fois n'est pas coutume, je vais commencé par les détails qui grattent un peu.
Déjà, la mise en place du jeu est vraiment du genre ... laborieuse. Outre la recherche et l'achat d'une table de banquet Louis XV pour déployer le plateau de jeu, entre la pyramide à pré construire, les tas de tuiles à préparer, les marqueurs individuels à ne pas oublier, ... on peut bien y passer quinze grosses minutes. Mais le plus agaçant, c'est la disposition des dés de départ et les ressources à configurer, qui diffèrent complètement en fonction de son placement dans l'ordre du tour, et qui oblige à relire à chaque fois scrupuleusement le paragraphe dédié placé en plein milieu du livret de règles.
Certes, je n'ai absolument rien à dire sur l'équilibrage de Teotihuacan, qui semble avoir été savamment étudié et qui ne semble (dés)avantagé aucun joueur quelque soit sa position. Mais cela aurait pu être beaucoup plus simple, beaucoup plus logique, voir juste... indiqué sur le plateau !
Celui-ci d'ailleurs souffle un peu le chaud et le froid. Son point fort reste sa praticité. Malgré le fait qu'il soit très chargé, le plateau reste très lisible et contient la majorité des informations importantes pour jouer (mention aux tableaux des actions principales ultra clairs). Ceci-dit, il y a quand même quelques manques ergonomiques que je ne m'explique pas. Pourquoi ne pas avoir créer des zones pour regrouper les dés dans chaque grande case d'action, ou une petite piste circulaire explicite et dédiée aux petits cubes pour ne pas empiéter sur les infos du jeu ? Car on se retrouve souvent à déplacer les dés pour lire en dessous, et à pester car on n'avait pas vu un dé dans le coin de la case avant notre déplacement savamment étudié deux tours avant...
Même constat pour le livret de règles, plutôt bien illustré, aux paragraphes individuellement clairs mais dont les 24 pages sont un peu indigestes quand on le lit d'une traite. Surtout, je n'ai pas trouvé très évident d'y retrouver une information précise lorsqu'on a une doute en plein milieu d'une partie. La vidéorègle sera votre salut, surtout pour le premier contact.
Même constat (bis) pour le matériel. Quand des dominos vraiment qualitatifs et imagés côtoient des dès ultra lambda, et surtout des jetons cacaos insipides, difficile de se faire un véritable avis.
Le design de Teotihuacanlui, reste une affaire de goût. Si j'avouerai que je le côté "terne" et délavé dessert le jeu, on sent une réelle envie d'immerger les joueurs dans ce monde méconnu, que ce soit avec les frises sur le plateau, les symboles créés pour le jeu et inspirés de vraies peintures aztèques. Assez pour se croire vraiment en terre inconnue ? Chacun se fera son avis.
Mais si on met de côté tous ces points de détails, on est en face d'un le jeu tout juste ... incroyable.
Si j'omet les merveilles de Shem Philips, cela faisait longtemps que je n'avais pas pris un tel pied sur un gros jeu à l'allemande. Teotihuacan compile selon moi toutes les qualités que l'on recherche dans de la catégorie experte , à savoir différentes façons de scorer, une gestion serrée de ses ressources, une profondeur stratégique, avec une excitante mécanique de construction de pyramide en 3D, le vrai gros "kiff" du jeu.
Ce que j'apprécie beaucoup dans Teotihuacan, c'est son dynamisme. Le système d'action très simple couplé au circuit à sens unique rendent les tours étonnamment fluides et rapides pour le genre. Et surtout, comme le jeu demande à être réactif et à travailler sur des objectifs courts (le système d'éclipse ou les autres joueurs pouvant tout faire capoter), on obtient rapidement les bénéfices de nos actions, empêchant une certaine lassitude ou impatience en cours de partie.
Autre chose extrêmement appréciable dans Teotihuacan, c'est son interactivité "froide" bien équilibrée, suffisante pour planifier taquiner ses adversaires (en les faisant payer un maximum une action ou une technologie) sans pouvoir favoriser une "agressivité" qui rendrait une partie frustrante.
Attention, si je l'ai beaucoup lu, je ne pense pas que Teotihuacansoit un jeu à multiples stratégies, mais plutôt un jeu d'optimisation. Le nerf de la guerre, c'est la construction de la pyramide, point barre. Il existe de nombreux moyens de marquer à ne pas négliger, comme les pistes d'évolution ou les nobles. Mais rien ne vous donnera autant de points que le monument central.
Ce qui me permet de souligner l'excellente initiative de la part de NSKN Games : La possibilité de personnaliser toute l'expérience de jeu. Le placement des cases actions, la disponibilité des tuiles bonus et des technologies, tout peut être tiré au sort au début de partie. Pour des combinaisons infinies. Et un plaisir sans cesse renouvelé.