
Indiscutablement, de manière irrévocable et sur la tête du président, Too Many Bones a été le jeu de société au sommet de ma wishlist durant des années. Un mix de jeu d'aventure et de tactical RPG tout à fait dans mes goûts, un matériel qui a toujours suscité l'envie, et des critiques dithyrambiques outre-Atlantique n'ont fait que faire grandir inlassablement ma frustration au fil des mois ... jusqu'à ce que Lucky Duck Games vienne "nous" délivrer (car je ne devais pas être le seul) avec une version localisée dont je n'osais presque plus rêvé.
Reste que le souci quand on a trop d'attentes, c'est qu'on peut subir une déception aussi grande que les espoirs que l'on y avaient mis. Et je ne peux pas nier que je suis dans ce cas, même si elle en a des qualités la bougresse !

Peut-on vraiment commencer à parler de Too Many Bones sans évoquer ses 3.7 kg de pur plaisir ? Si vous n'avez jamais passé le cap, vous allez en tout cas découvrir ce qu'est un jeu "KS".
En plus d'une durabilité assurée par les cartes slash boitiers plastifiées et des tapis de jeu en néoprène aux contours cousus à la main, c'est la grande démonstration avec des centaines de dés quasi tous uniques et des gametrayz hyper stylés.
Un jeu surédité, certains le penseront, car le jeu aurait fonctionné sans cette débauche de moyens, et que cela fait passer Too Many Bones dans le monde des produits de luxe loin d'être à la portée de toutes les bourses. Mais ces choix ne sont pas que tape-à-l'œil et servent vraiment l'ergonomie générale.
Rien que les jetons de poker (la grande spécialités de Chip Theory Games, l'éditeur d'origine) sont pratiques à l'usage par la superposition des pièces qui permettent de voir, en un coup d'œil, la couleur, les caractéristiques et les points de vie d'un monstre. Mais on peut aussi évoquer le côté anti-intempéries du matos qui vous permet d'y jouer sous la pluie, ou le système double couche offert par les plateaux joueurs qui permettent de caler parfaitement les nombreux dés joués durant une partie.

Ces dés sont d'ailleurs la base de la construction des personnages, le gros point fort du jeu selon moi. Too Many Bones propose en effet 4 personnages, tous totalement différents, dont vous allez devoir régulièrement faire évoluer les caractéristiques de base (vie, attaque, défense, dextérité) tout en débloquant leurs arbres de compétences pour espérer l'emporter.
Le bon choix de vos développements est ici vraiment grisant, car vous partirez souvent de pas grand chose pour terminer avec un héros au style de jeu qui vous ressemble, tout en ayant à portée de multiples dés additionnels qui enrichiront de manière folle chacun de vos tours de jeu.
Et de ce côté-là, c'est aussi bien "foutu". C'est un système de cartes rencontres qui va driver l'entièreté de votre partie, en vous obligeant chaque "jour" à lire le texte d'immersion d'une carte au recto, et choisir l'une des deux options au verso. Certaines ne vous donneront accès qu'à un butin ou des points d'entraînement à investir dans votre personnage, alors que d'autres vous feront basculer sur le terrain d'affrontement de 4x4 cases, avec dans les deux cas pour but final d'aller défier (et vaincre) le tyran choisit au départ avant de dépasser un nombre de jours fatidiques pour vous.

Les combats seront souvent à privilégier pour gagner l'expérience nécessaire pour avoir le droit d'affronter le grand vilain des lieux. Et cela tombe bien, vous allez en enchaîner à la pelle !
Toutes les batailles commencent quasi-toutes avec le calcul du niveau d'adversité (dépendant du jour et du nombre de joueurs) qui va permettre de construire la file d'attente de monstres du combat, en sachant que vous n'aurez toujours qu'un maximum de 4 adversaires à défier en même temps.
L'ordre de jeu est établi par l'initiative de chaque participant, et vous enchainerez les rounds jusqu'à ce que vous terrassiez tous les ennemis, ou que tous les héros soient mis hors jeu (ce qui ne vous fera perdre que les récompenses de la carte rencontre, rassurez-vous).
Le temps ne sera pas de votre côté, car toutes les unités actives perdront un point de vie avant d'agir à partir de la cinquième manche. Reste que s'il est compliqué d'expliquer toutes les subtilités d'un combat, il faut savoir que c'est votre valeur de dextérité qui décide en gros de votre nombre de points d'actions, à répartir sur les déplacements et lancers de dés.

Vous voulez des sensations RPG, vous lez aurez. Car pêle-mêle, sachez que beaucoup de monstres ont une capacité spéciale influençant leur comportement (et surtout le vôtre!), que vous pouvez conserver vos faces "os" pour déclencher des plans B spécifiques à votre personnage, et que vous pouvez stocker certains dés pour les utiliser entre vos tours (bien utile pour se dépendre notamment).
En plus de cela, on peut ajouter les phases de crochetage (assez hasardeuses mais malines dans l'idée), la possibilité d'explorer entre les tours pour entrevoir à quelle sauce on va être manger au combat suivant, vous serez maître du moment où vous vous sentirez prêt à aller attaquer le boss ...
Ca parait le jeu d'aventure ultime non ? Et pourtant, je dois vous faire un aveu : Je n'ai jamais réussi à trouver la volonté pour aller ... au bout d'une de mes parties.

La première raison vient de la trop grosse "abstraction" des combats. On a beau avoir une vraie richesse de gameplay, beaucoup des codes que je retrouve dans les jeux vidéos du genre que j'affectionne, je n'arrive pas à m'immerger dans ces affrontements qui se résument souvent à cibler le monstre le plus dangereux à un instant T, lui en mettre un maximum dans la tronche avant de voir si on survit au tour actuel.
Car dans Too Many Bones, vous allez souvent vous retrouver avec 2 / 3 ennemis sur le dos qui vont se faire un malin plaisir à vous démonter sans que vous puissiez faire grand chose (surtout si vos dés de défense, que vous pouvez réserver entre vos tours, ne sont pas de votre côté).
Ce qui m'embête aussi, c'est le fait qu'il n'y ait pas de réelle implication du terrain. Un archer pourra atteindre n'importe quelle case du damier, il n'y a aucun jeu d'obstacles qui permet de faire varier les combats ou offrir en bataille des stratégies alternatives ... rien de grave en soi (et beaucoup diront que cela fluidifie les parties), mais qui moi me donnent l'impression, au final, de ne pas avoir vraiment la main sur mon destin et de devoir juste espérer faire des meilleurs jets que les méchants.
Et ce qui finit de me faire sortir complètement d'une partie, c'est la manutention exacerbée que nécessite Too Many Bones.
Je veux bien excuser la mise en place, qui est pourtant déjà bien lourde avec la préparation du paquet rencontres, la création des piles d'ennemis en fonction des symboles autorisées du tyran, etc ... mais les combats (encore eux), quelle tannée ! Créer la file d'attente, gérer la mise en place de chaque ennemi (code couleur, vie), placer tous les dés d'initiative, ... cela va déjà vous prendre plusieurs minutes à chaque fois.
Puis une fois mis en place, chaque lancer de dés, chaque mort d'un ennemi et de changement de manches va vous obliger à moults manipulations additionnelles qui me donnent, à force, de passer davantage de temps à faire de la gestion automatique que de réflechir au coup idéal, fomenter ma stratégie avec mes coéquipiers, ... en fait jouer quoi !

Et ce qu'il faut savoir d'acheter, c'est que Too Many Bones ne se laisse pas apprivoiser facilement. On est ici clairement sur ce genre de titre à la courbe d'apprentissage abrupte. Vous passerez certainement vos deux premières parties à faire des aller-retours sur votre fiche de personnage ou dans la brique (euh le livret) de règles, jusqu'à ce point de bascule où la maîtrise de votre personnage et la connaissance des règles sur le bout des doigts vous feront enfin profiter d'une expérience de jeu optimale.
Mon problème, et vous l'avez compris je pense, c'est que je n'ai aujourd'hui peut-être pas la patience pour arpenter ce chemin sinueux. Et indiscutablement, peut-être pas l'envie d'investir du temps outre mesure dans un jeu aux qualités indéniables et qui n'a nul équivalent sur le marché aujourd'hui. Mais qui n'est en fait juste pas du tout fait pour moi.

