Beyond The Sun est un jeu de civilisation spatiale dans lequel les joueurs décident collectivement du progrès technologique de l'humanité à l'aube de l'ère spatiale, tout en s'affrontant pour être la première faction en matière de développement économique, de science et d'influence galactique. Je ne suis habituellement pas du genre à récupérer la phrase de description officielle de l'éditeur, mais quand c'est aussi parlant et bien dit, ce serait dommage de ne pas se l'approprier.
Ce qui n'empêche pas que Beyond The Sun n'est pas une boîte facile à aimer (celle-là vous l'attendiez moins, n'est-ce pas ?).
Déjà parce que visuellement, le bébé du primo-auteur Dennis K. Chan ne fait rien pour vous faire frétiller les papilles ludiques. L'illustration de couverture a beau être plutôt sympathique, on voit quelques planètes ici-et là, mais cela ne compense pas un plateau au bleu abyssal, des fonds unis blancs à perte de vue et une fadeur générale que vient raviver quelques dés et icônes de couleurs vives. On a beau être habitué à jouer "moche" quand on joue à des jeux marrons austro-suédois, la séduction ne passera clairement pas ce biais là, même si la contrepartie est une lisibilité à tout épreuve de nombreuses cartes dont vous allez prendre connaissance le long de votre partie.
Car vous vous allez en manger ici, et de toutes les sortes. Evènements, technologies (proposant ou pas des emplacements d'actions supplémentaires), objectifs, planètes à conquérir ... les cartes sont la base du jeu et offre un titre un positionnement double aussi clivant qu'intriguant, fleurtant à la fois avec le jeu de placement d'ouvriers (avec sa gestion de ressource classique), et du jeu de contrôle de territoires interactif à base de majorités.
Ces deux composantes font d'ailleurs chambre à part sur le terrain de jeu. On trouve d'abord un arbre technologique commun de quatre niveaux (impossible à louper vu sa taille) que les joueurs vont devoir développer "ensemble", le premier au bout d'une branche ayant toujours la primeur de choisir la carte action qui sera implantée. La seconde zone est occupée par un plateau d'exploration spatial annexe sur lequel vous allez pouvoir déplacer vos vaisseaux, placer des avant-postes et coloniser des planètes entières.
Chaque joueur débute son aventure avec un jeu de dés, dont la face indiquera toujours le type de ressource (réserve, population ou avion), et un plateau faction, proposant un pouvoir unique ou une forte asymétrie selon que l'on joue avec les plateaux de base ou avancés. C'est le centre névralgique de sa civilisation : Plus vous allez réussir à vous libérer de disques feuilles et rouages, plus vous allez pouvoir générer respectivement de la population et du minerai lors de la deuxième phase de votre tour de jeu.
Mais avant cela, vous devez déplacer un de vos pions "ouvriers" sur une case action vide du plateau technologie et effectuer son action. Celui propose au départ quelques actions de base et met à la vue de tous les quatre cartes technologies de niveau 1. Ce qui ne veut pas dire qu'elles sont accessibles : Il faut réaliser une action "découvrir" de niveau 1 afin de placer un dé de population dessus et ainsi pouvoir profiter de ses capacités immédiates (une fois par partie, à la découverte), et des éventuels emplacements bonus placés dessus lors de vos prochains tours.
Tout le gameplay de Beyond The Sun repose sur un système de découverte progressif et chaîné, qui ne permet par exemple d'accéder à une carte de niveau 3 que si elle est liée à une ou plusieurs cartes de niveau 2 précédemment découvertes. Par contre, à partir du niveau 2, la surprise est totale : "l'explorateur" doit résoudre une carte événement au préalable avant choisir une carte technologie ayant une connexion identique (le livret de règles propose deux systèmes de sélection, plus ou moins aléatoire, au choix des joueurs en début de partie). A noter cependant que d'autres joueurs pourront rechercher cette technologie plus tard, et devront aussi placer un cube de population de leur couleur dessus pour jouir de ses avantages.
Certaines actions permettent d'augmenter sa force militaire et de faire évoluer ses dés "avions" sur le plateau annexe. Une composante à ne pas négliger car ce jeu de prise de contrôle (pouvant aller jusqu'à la colonisation définitive d'un système habitable) est le deuxième moyen de se délester de ses disques de développement (après sa piste personnelle d'automatisation, aux emplacements limités). Le revers de la médaille, c'est que tant qu'une carte planète n'a pas été récupérée, un joueur peut vous ravir sa propriété en déplaçant une force en vaisseaux plus puissante, tout en vous obligeant à replacer votre disque sur votre plateau personnel.
Cette dualité fait de Beyond The Sun une expérience à part. Basculer d'une logique course à l'objectif très Eurogame à une vraie lutte de bluff et de majorité est un exercice aussi déroutant qu'ultra dépaysant. Il se peut même que, selon la configuration de vos technologies et la mentalité de vos joueurs, un axe domine outrageusement l'autre, pour faire de votre partie un jeu solitaire d'optimisation pur, ou au contraire le terrain parfait d'un pugilat total, avec coups fourrés et bons mots en prime. Mais c'est à mon avis souvent l'équilibre qui va primer, et vous aurez toujours raison de garder un œil continuel aux 4 objectifs tirés en début de partie et qui annonceront la fin de la récréation une fois un certain nombre d'emplacements pris par des joueurs.
Reste que si mon introduction était assez tapageuse, ce n'est pas pour rien : Malgré de vraies qualités que je perçois très clairement, je ne suis pas fan de Beyond The Sun. Parce que ce grand plateau n'est vraiment pas pratique, et ne permet pas à tous de lire confortablement les technologies disponibles. Parce que le thème est bien trop en retrait par rapport à la promesse initiale d'un civ-light, et que j'ai plus l'impression de jouer avec un tableau Excel que m'éclater sur un jeu de développement stellaire. Parce qu'il y a beaucoup trop d'aléatoire dans le développement de l'arbre (avec les évènements et les différents tirages) pour me donner l'impression de faire des choix stratégiques sur le long terme, et de ne pas jouer autant sur l'opportunisme et le hasard qui fait bien les choses.
Rien d'atroce bien évidemment, mais pas assez de positif pour me donner envie d'y revenir plus que ça.
Et c'est là qu'est tout mon malheur à l'écriture de ce test (et qui m'a valu cette phrase d'introduction de haute volée) : c'est que tous mes autres compagnons de tablée ont eux adoré les 3 heures passées derrière Beyond The Sun. La tuile ...
Alors comment juger négativement un jeu si on va jusqu'à me réclamer une nouvelle partie rapidement, afin de tester de nouvelles stratégies, essayer les plateaux avancés ? Je n'en sais fichtrement rien. Et c'est ce qui me fait dire que Beyond The Sun est un jeu résolument à part dans le milieu "expert", à la frontière de deux mondes qui peut provoquer autant de plaisir qu'un état de circonspection sans retour.
À essayer donc pour se faire son propre avis (plus que jamais).