
LA HYPE 2022. Sans contestation possible, Ark Nova est le jeu de gestion expert qui a le plus buzzé en ce début d'année. Tellement que la précommande de la première fournée n'a laissé que des miettes en mars aux retardataires, qui n'ont eu d'autres choix que de prendre leur mal en patience et d'attendre la deuxième salve de boîtes qui vient de débarquer dans nos boutiques fin mai. Et que le titre, encensé depuis ses premières sorties sur les salons, a déjà gagné le surnom flatteur de Terraforming Zoo (en référence à un mastodonte du genre). Mais tout ce remue-ménage est-il vraiment mérité ?

Ce dont je peux vous assurer déjà, c'est qu'Ark Nova a tous les attributs du gros jeu "à l'Allemande". Une grosse boîte pleine de jetons, de plateaux recto-verso et de centaines de cartes; Des règles bien touffues qui nécessitent une bonne heure syndicale pour être appréhendées; Des mécanismes qui demandent à se creuser continuellement le cerveau afin d'optimiser au mieux la construction de son moteur de jeu et sa montée sur les nombreuses pistes du plateau centrale; Une interaction plutôt froide qui va surtout vous obliger à vous battre avec vous-même ... Non indiscutablement, Ark Nova fait dans le lourd, dans le prise de tête, et vous en aurez bien pour plusieurs heures si d'aventure vous vous décidez à ouvrir la boîte rectangulaire.

Avant de parler du jeu, mettons tout de suite le gros défaut du titre en exergue : Ark Nova ne propose rien d'original.
On pourrait même facilement arguer qu'il n'est qu'un condensé de mécaniques tirés d'autres références ludiques. Le jeu emprunte à Civilisation : Une Aube Nouvelle son excellent système de sélection de cartes actions, placées sous votre plateau personnelle dans des encarts allant de 1 à 5, dont vous n'en jouer qu'une à votre tour (à la force indiquée) avant de la glisser en première place (et décaler toutes les autres vers la droite). Tout comme dans Barenpark, vous allez jouer avec des tuiles aux formes particulières pour créer un parc et déclencher des effets en couvrant certains emplacements.
La réflexion sur les meilleures combinaisons de cartes et le développement de projets, eux, vous rappelleront forcément Terraforming Mars. Et système cher à Rajas Of The Ganges, la fin de partie se déclenche quand deux marqueurs situés sur deux pistes contigües mais placés aux deux extrémités se croisent.

Mais derrière ses mécanismes traditionnelles remaniées et des variations de jeu qui pourraient vous faire souffler de dépit, Ark Nova arrive quand même à se démarquer de la masse.
Déjà, parce qu'il arrive à apposer un thème fort et peu habituel (pour le genre) qui fait plus que de la figuration. Vous l'avez peut-être compris en regardant l'illustration de la boîte, mais Ark Nova vous met en concurrence pour créer le zoo le plus attrayant (en faisant venir les animaux les plus majestueux), tout en étant le plus soucieux de la conservation et du bien être de vos pensionnaires. Ces deux pistes correspondent d'ailleurs aux deux axes de gestion principaux, et il ne faut que rajouter celle de réputation (qui a surtout pour intérêt de vous permettre un plus grand choix de cartes) pour compléter un trio qui va monopoliser beaucoup de votre attention tout au long de la partie.
Et avec 5 cartes actions seulement, le jeu réussit à pousser l'imprégnation loin, très loin.

L'action Cartes permet de récupérer en main des cartes de différents types (animaux, mécènes ou projets de conservation).
L'action Construction vous permet de développer votre parcelle vierge en construisant des enclos simples de différentes tailles (et ne pouvant accueillir qu'un animal à la fois), bâtir des enclos spécifiques (volières, vivariums, parc animalier / mini ferme), placer des kiosques et pavillons. Tout ceci en tentant de coller au mieux à la topographie de votre plateau personnel.

L'action Association permet d'effectuer des actions à l'échelle macro-économique, comme faire des dons, contribuer à des projets de conservation communs ou issus de votre main, et s'associer avec d'autres zoos et universités.
L'action Mécène offre le droit de jouer des cartes du même nom qui peuvent générer des bâtiments uniques, vous offrir des améliorations permanentes ou des bonus en fin de partie.
L'action Animaux permet d'ajouter des cartes Animaux dans son zoo, tant qu'on respecte certaines contraintes de pose.
Je finis par cette dernière action car elle montre parfaitement, selon moi, tout le soin et le souci de détail apportés ç chaque étage du jeu. Taille et type d'enclos minimum, nombre de places pris si enclos spécial, prérequis de badges issus d'animaux déjà présents ou de liens déjà établis avec des continents, besoin d'un emplacement proche d'une montagne ou un point d'eau, ... les mécaniques sont riches, le fond de jeu semble incroyablement documentés (chacune des 120 cartes du jeu est unique, c'est pour dire ...), tout en faisant preuve d'assez d'évidence et d'accessibilité pour rester simples à prendre en main.

Bien sûr, le réalisme s'arrête dès que le jeu joue de leviers ludiques pour densifier l'aspect combinatoire (présence de "capacités" d'animaux, nombreux bonus un peu partout). Mais cela ne nuit en rien au fun que l'on ressent, et ce malgré la taille disproportionnée du plateau central, un parti pris visuel clivant, des débuts de "games" un peu mollassonnes (qui font que les parties sont un peu trop longues), l'absence de plateaux double couches (ne pas convier de joueurs maladroits, vraiment), quelques cartes un peu "cheatées".
Car ce que j'aime beaucoup avec Ark Nova, c'est que tout est fait pour mettre les joueurs dans des chaussons qualité premium. L'éditeur a intégré dans son packaging deux grosse boîte de rangement qui accélèrent grandement la sortie du jeu. L'œuvre propose une iconographie remarquable qui permet de comprendre d'un coup d'œil la majorité des cartes une fois les bases inculquées. La boîte intègre des zoos asymétriques variés qui renouvellent l'expérience, tout en permettant d'équilibrer les débats si vous jouez avec des débutants.

Et tout ça fait que, malgré ses défauts de jeunesse (c'est le premier jeu de son auteur !), on prend un plaisir dingue à construire son petit zoo contre vent et marées (traduction : le hasard des cartes qui nous demande à nous adapter constamment). Même si votre stratégie long court tombe à l'eau, même si vous faites quelques tours à vide, le jeu n'est jamais vraiment punitif, et on arrive toujours à rebondir pour finalement réaliser quelque chose d'assez gratifiant pour donner l'impression d'avoir passer du bon temps et nous donner envie d'y revenir. Pour essayer d'autres types d'animaux, faire prendre à notre parc une nouvelle direction. Ou juste avoir le plaisir de recréer une nouvelle entité et s'amuser avec les différentes routes combinatoires du jeu (moins folles qu'un TfM il faut l'avouer, mais on s'y amuse bien quand même !).
Je radote peut-être un peu, mais Ark Nova fait partie de ces rares jeux Euro dont le thème réussit à rester présent jusqu'au bout, tout en réussissant à nous faire réfléchir discrètement sur la condition animale (cf : Relâcher des animaux qui permet d'accélérer sensiblement sur la piste de conservation plutôt farouche). Et qu'est ce cela fait un bien fou dans un monde ludique "expert" qui a du mal à se défaire de ses gimmicks !
Alors c'est sûr, je suis pas encore prêt à arrêter de manger des protéines animales ou à emmener les enfants dans des parcs animaliers. Mais par contre je suis sûr que j'accepterai toujours une "petite partie" d'Ark Nova à chaque fois qu'on m'en proposera une !



