Il est normalement très peu probable que l'on ne sache pas si l'on aime ou pas un jeu, et que, stricto sensu, l'on ait envie de le recommander ou pas à notre gentille communauté. Cela faisait partie de mes grandes certitudes ludiques, avant de me frotter (vous l'avez compris) à ce déroutant Art Society.
Ma première rencontre avec la bête a pourtant été des plus enthousiasmantes. La boîte à double niveau est belle à en croquer, l'intérieur qui sert d'organiseur et de plateau de distribution en partie est super malin, et tout le matériel cartonné est aussi beau qu'il est de qualité. Le gameplay, mêlant enchères et optimisation spatiale de tuiles, n'est pas sans rappeler (un peu de loin) le classique Isle of Skye, et j'ai vite pris un énorme plaisir à tenter de monter mon mur idéal de répliques de vrais tableaux de notre Histoire, en proposant des tailles d'œuvres incongrues et essayant de ravir les pépites à coup d'enchères cachées tactiques.
Et tout allait plutôt bien jusqu'à un scoring final qui m'a laissé plutôt dubitatif sur l'intérêt de pas mal de mes choix précédents, tout en donnant l'impression qu'il manquait un petit quelque chose au jeu.
Ceci dit, cela ne m'a pas empêcher d'y retourner plusieurs fois. Et là, toujours la banane de sortir et de déballer ce titre qui attire foncièrement l'œil. Toujours un vrai kiff de récupérer mes premiers tableaux en essayant d'autres tactiques de placement. Toujours l'envie d'en découdre avec mes adversaires en usant davantage de diversions verbales. Et c'est à partir de là que quelques désagréments sont survenues bien plus régulièrement.
Déjà, le système d'enchères, plein de promesses sur le papier, mais révélant progressivement des stéréotypes basiques. Choisir haut pour être premier, moyen pour sans opinion affirmée et bas pour ne pas avoir à choisir une tuile (si possible). Cela reste efficace, il y a forcément quelques révélations succulentes (surtout quand on a une bonne mémoire comme les autres), mais peut-être pas assez au final pour faire de Art Society l'un des jeux qui valorisent le mieux cette mécanique.
Ensuite, il y a cette largesse totale offerte à celui qui choisi des tuiles à mettre aux enchères, qui a tout à fait le droit de choisir 5 fois le même format ou ne prendre que des tableaux disproportionnés. C'est rigolo la première fois, bien moins les suivantes, car on se rend compte que cela nuit autant à la dynamique de jeu qu'au fonctionnement du musée commun, la feature principale d'Art Society.
Et puis il y a la question du scoring, avec une prépondérance un peu désagréable du Prestige. Cette "force", accordée à chaque couleur en fonction des tableaux non sélectionnés au fil de la partie, prend en effet totalement le pas sur les contraintes de mise en place (coins, ligne de vue) et les tableaux "trop grands" pour être placés, peu dévalorisés malgré leur importance dans le déclenchement du décompte terminal.
Ce qui m'amène directement à parler du hasard. Pas celui lié à la découverte des types picturaux ou des cadres, des surprises taquines (qui peuvent anéantir pas mal de vos aspirations court terme) qui rajoutent une belle surcouche d'adaptabilité tout en enflammant régulièrement les discussions. Non, je parle encore de ce fameux Prestige, sur lequel on n'a finalement très peu d'influence, et qui décide à la fin de plus de la moitié de nos points à la fin de la partie.
Et c'est là que le bas blesse, : Art Society annihile tout impression d'être maître de son destin. Compter davantage sur la chance que sur son sens de l'architecture et une quelconque manipulation des foules devient alors le leitmotiv d'un jeu qui va un peu trop loin selon moi, même pour un titre dédié à un public tout terrain (plus demandeur d'une folie des astres).
Malheureusement, cette composante vient se conjuguer avec une totale absence de modularité et de variété des objectifs de fin de partie, qui vous feront comprendre rapidement que votre salut viendra dans l'accumulation du plus grand nombre de petits tableaux possible. Sans oublier d'éviter les fautes de mauvais goût, et de miser sur une ou deux couleurs dans l'espoir de voir le Prestige tourner en votre faveur.
Est-ce que cela fait d'Art Society un mauvais jeu ? Non, parce qu'il reste magnifique, parce que son gameplay malin est plutôt addictif une fois lancé, parce que j'ai toujours pris plaisir à le faire découvrir et m'y amuser.
Mais est-ce un bon jeu ? Pas convaincu non plus, à cause de plein d'approximations qui vont souvent lever les yeux au ciel, à cause d'un cruel manque de variabilité à même de surprendre l'habitué au delà de la première partie. Et surtout à cause de ses bonnes idées pas assez bien exploitées qui font dire, à chaque fois qu'on le range, qu'on était pas si loin d'un potentiel vainqueur de prix.
Toute mon incrédulité est à chercher dans cet ensemble de sentiments confus, d'attentes déçues, de ce potentiel incroyable qui n'a pas réussi à se déployer totalement, mêlés à un vrai coup de cœur pour la plastique, la fluidité mécanique et le cœur d'un titre qui m'ont davantage marquées que beaucoup de jeux testés cet année.
Sachez, pour ceux qui ne savent pas de quoi il en retourne, qu'Art Society est un jeu de collection dans lequel on tente de remporter des tableaux d'art aux enchères pour aménager le mieux possible son mur de salon Victorien (oui il n'est jamais trop tard pour survoler les règles). Votre terrain de jeu, un plateau personnel représentant votre antre, et vos armes, un ensemble de plaquettes (allant de de 1 à 20) qui peuvent être utilisées une fois par partie chacune.
À chaque tour, un joueur est désigné commissaire priseur et à l'obligation de choisir autant de tableaux que de joueurs plus 1 pour la salle des ventes. Le choix (secret) des plaquettes permet, après révélation simultané, de définir l'ordre de sélection.
Il faut savoir que toute œuvre laissée dans la salle de vente vient remplir le musée général et augmenter la côte du genre pictural correspondant au tableau. Le placement des tuiles, lui, demande de respecter quelques règles d'accrochage (pas de superposition, adjacence obligatoire). En sachant que mettre des cadres similaires adjacents donne un bonus en tuiles Décor (valorisées à la fin de partie), alors que des tableaux adjacents de même couleur s'annulent pour le scoring final !