Attention, première historique ! Deux ans après avoir réalisé une preview de Barbarian Kingdoms, premier jeu de la toute jeune maison d'édition Jester Games, la sortie en boutique du jeu m'offre en effet le luxe de chroniquer sa version finale dans un deuxième article. Alors, le temps a-t-il porter préjudice à un premier aperçu vraiment positif ?
Croisades natures
Le projet ambitieux de Christophe et Aurélie Lebrun n'a depuis pas changé d'un iota : Proposer un jeu d'affrontement typé wargame mêlant sensations expertes (background historique réaliste, clans asymétriques) et règles très accessibles, le tout secondé par l'utilisation d'une mécanique d'enchères cachées capable de décoincer verbalement les plus introvertis de vos invités slash futures victimes.
99% des règles sont depuis restées dans l'état, et votre victoire pourra toujours ici être signifiée par deux moyens, soit en prenant le contrôle de sept territoires différents, soit en tuant deux rois adverses. Mais avant cela, il vous faudra choisir un clan (le mode "découverte" propose que vous preniez celui le plus proche de vous), récupérer son plateau de gestion, ses 5 unités (un roi et quatre troupes) et ses tokens de conquête. Avant de finir par remplir le plateau de jetons trésor, prendre possession de vos terrains de base, et installer votre paravent servant à cacher aux yeux de tous vos réserves de trémis, la monnaie du jeu, tout au long de la partie.
Il faut savoir que quelque soit le nombre de joueurs à table, la zone d'affrontement reste la même. Barbarian Kingdoms prévoit tout de même un certain nombre de règles astucieuses restreignant le champ de bataille, en plus d'un ensemble de configurations de base équilibrées afin d'être sûr que tous les joueurs partent au combat sans handicap territorial certain.
Ce qui est sûr, c'est qu'avec une action à effectuer par tour à choisir parmi un pool de 5, le briefing de départ est expéditif et ne devrait pas prendre plus de 10 minutes avec des joueurs habitués. La première action possible est Recruter qui, en échange d'un montant croissant avec le nombre d'unités déjà en jeu, vous permet d'invoquer un nouveau guerrier sur l'une de vos provinces contrôlées vides. C'est l'action Manoeuvrer qui permet ensuite de les mouvoir sur vos terres, à raison d'une case par unité, et ce en respectant une contrainte d'adjacence incluant des déplacements de port à mer, zone neutre et pacifique du jeu !
Vous avez besoin d'argent ? L'action Taxer viendra à votre secours en vous offrant la possibilité de récupérer autant de trémis (en valeur) que de provinces contrôlées, à récupérer directement sur vos terres contrôlées. Mais vous pouvez aussi passer par l'action Envahir sur une zone libre pour avoir le droit de la piller directement de toutes ses ressources. Avant pourquoi pas d'effectuer une action Revendiquer pour y placer, contre dote croissante, l'un de vos jetons de conquête.
Grosse particularité de Barbarian Kingdoms, ces deux dernières actions peuvent être contestées par tout clan qui possède une unité à portée. Un tour de table s'engage alors pour demander à chaque potentiel réfractaire de se déclarer, avec pour effet immédiat de déclencher un duel entre lui et le joueur actif.
Tout comme lors d'une agression directe, une phase de combat en 1 vs 1 survient alors où une phase de renforts (permettant d'impliquer d'autres unités à portée) précèdera le calcul des points de bataille (PB) de chaque clan impliqué. Celui-ci inclut un avantage pour celui qui contrôle la province (2 PB), la valeur des unités impliquées (3 ou 6 PB de base), plus une phase terminale dite de pot-de-vin où chaque joueur va pouvoir augmenter son total en ajoutant des trémis de sa réserve cachée dans des sacs opaques individuels dévoilés dans la foulée.
Si le vainqueur doit redispatcher ses troupes à raison d'une unité par province adjacente (règle de placement de base de Barbarian Kingdoms), le vaincu voit ses troupes de base reprendre le chemin de son plateau de jeu, et son éventuel roi déchu celui du plateau du gagnant (en temps que trophée). Le contenu des sacs de pots-de-vin sont eux directement échangés entre les deux joueurs, ce qui pourra faciliter .... une vengeance plus rapidement qu'espérée !
Guide de barbarie
Après quelques joutes supplémentaires sur cette version définitive, je vous le confirme : Barbarian Kingdoms est dans son ensemble une vraie et belle réussite !
Le pari de réaliser un jeu proposant affrontements et diplomatie dans un format expéditif est déjà complétement tenu. Que vous soyez deux ou six à table (sa configuration maximale), vous aurez l'impression d'avoir vécu votre épisode de Game of Throne maison sans dépasser rarement la grosse heure de jeu, une fois la phase d'instruction réalisée sans aucune difficulté.
Et cette prouesse, Barbarian Kingdoms la doit à un pool de règles restreint lié à un ensemble de contraintes assumées qui fluidifie grandement le déroulé d'une partie, tout en permettant tout de même à l'asymétrie marquée des clans de pouvoir de s'illustrer sans devoir se poser trop de questions une fois le premier tour passé.
Alors c'est sûr, les wargamers les plus chevronnés pourront se frustrer de ne contrôler qu'une poignée d'unités, de ne pas pouvoir placer plus d'une troupe par province hors phase de bataille, ... alors que les plus assoiffés de violence pourraient se blaser de combats punitifs dont l'usage est à mesurer bien plus que ce que la couverture de la boîte laisse évoquer.
Barbarian Kingdoms s'avère clairement être un jeu plus tactique que frénétique, où la patience et le coup parfait seront toujours préférables à la fougue et la prise de risque, surtout avec un roi dont la perte est colossale, autant pour sa puissance de combat que de son pouvoir asymétrique puissant !
Le seul défaut notable du titre serait d'ailleurs à chercher de ce côté-là : Un départ de partie un peu "pataud", mêlant souvent coups scriptés (recrutement et conquête des deux provinces les plus proches de son territoire de départ), pouvant se coupler à un rythme lancinant pouvant agacer les joueurs les plus sanguins devant un parterre d'adversaires trop prudents ou calculateurs.
Mais le monde impitoyable de Barbarian Kingdoms finira tôt ou tard par se révéler, croyez-moi, et ce grâce à quelques idées lumineuses comme son système économique auto-alimenté (vous payez toujours vos dus sur le domaine où vous agissez) qui facilitent tôt ou tard l'interaction, et une mécanique d'enchères cachées qui a autant le désavantage de bouleverser régulièrement l'ordre établi ... que de laisser sa chance à chaque joueur de revenir dans la course à la victoire tout au long de la partie !
Je n'ai pas souvenir d'une seule partie de Barbarian Kingdoms où je n'ai pas vu des joueurs discuter, parlementer, se vanner, tenter de s'intimider, ... pour finir par réécrire l'histoire de la partie en se remémorant les événements malheureux de part et d'autres. Signe notable que Barbarian Kingdoms a le pouvoir fou de savoir créer de l'émotion, pour des fins heureuses ou pleine de remords et de désillusions !
Opération séduction
Reste à évoquer le sujet épineux de la plastique du jeu.
Si tout comme il y 24 mois j'ai peur que sa thématisation ultra réaliste et "serious-gamer" lui ferme injustement nombre de tables qui ne décerneraient pas son potentiel fun et tout public, le trait a été affiné, les différents plateaux ont pris des couleurs, les illustrations ont clairement franchi un palier, ... pour au final une boîte qui respire l'envie de plaire et de bien faire, du livret rappelant quelques détails historiques à l'ergonomie et rappel des règles savamment étudiées.
Est-ce que je recommanderai d'acquérir la version Deluxe ? Pour l'avoir gracieusement reçue (merci encore à l'équipe), je vous dirais que je suis bien content de profiter de plateaux double couches et des jetons en métal du plus bel effet. Reste que l'apport général de cette version luxifiée joue plus la carte du sentimental que d'un réel apport ergonomique et immersif, quand on prend en plus en compte des sacs brodés aussi magnifiques que dispensables. Et surtout des paravents aux aimants bien trop puissants (j'en ai quasi arraché un en tentant de les séparer la première fois), dont la faible hauteur n'offre pas une praticité formelle, surtout pour les possesseurs de mains à très gros doigts.
De toute façon, que vous craquiez pour cette version (pas simple à trouver) ou "juste" de la boîte retail, cela ne change rien à ma conclusion : Barbarian Kingdoms me parait dors-et-déjà être un incontournable des titres prônant la "conquête-light", avec la grande force de se montrer autant tactique qu'homérique. Si le format vous titille, que vous aimez davantage vous mettre sur la figure par l'esprit que par les armes (contournable), je ne peux que vous conseiller de vous y essayer !