Une incroyable et douce vie. C'est à ce quoi vous aspiriez quand vous avez décidé de venir vous installer, avec d'autres colons, dans cette région totalement inexplorée du monde.
Pour la première partie du plan, vous avez tapés dans le mille, avec la découverte d'un véritable paradis sur terre où la nature préservée et extraordinairement fertile autorise tous les rêves d'avenir radieux. Mais pour la deuxième, c'est moins sûr. Car une bête a élu domicile dans ces lieux bien avant votre arrivée, et a désormais bien l'intention de vous chasser ... tout en faisant de vous son prochain repas si possible !
Bête comme chou
Voici le pitch de Beast, un jeu du chat à la souris horrifique qui base tout son gameplay sur du 1 contre tous. Il faudra, avant de commencer, déterminer qui prend les rênes de l'une des 6 bêtes inclus dans la boîte de base, ayant chacun un fonctionnement propre et venant pour la plupart avec des standees des sous-fifres invocables durant la partie. Le ou les autres joueurs endosseront eux le rôle de chasseurs, chacun aux profils uniques, afin de réussir à mener à bien leur mission commune.
Tout cela est d'ailleurs dicté par le choix d'un plateau scénario, qui va vous indiquer la face de la carte générale à utiliser, vos ressources de départ et les conditions de victoire pour chacun des clans. Mais vous y verrez aussi le nombre de journées maximum que dure la partie, et les récompenses que vous pouvez obtenir si vous avez respectés des prérequis à la fin de chaque journée écoulée.
Beast, c'est avant tout un jeu de sélection d'actions via des cartes. Chaque journée débute toujours par l'Aube et une phase de draft fermée où tous les joueurs (bête comprise) vont se passer un paquet de main en main après avoir à chaque fois conserver une des cartes pour la phase de Jour à venir. C'est alors à ce moment là que, tour à tour, vous allez pouvoir décider d'en jouer pour leurs effets, fuir d'une case (en défaussant une carte) ou passer.
Les cartes, elles, contiennent toutes deux cartouches, l'un réservé au chasseur, l'autre à la bête. Vous ne pouvez à votre tour jouer maximum qu'une carte de chaque type (médaillon bleu ou rouge), et certaines peuvent demander un prérequis de type de terrain ou un montant en Rancune (la monnaie du jeu) pour être déclenchée.
Qu'est ce que vous pouvez faire avec ces cartes ? Déjà des actions plutôt classiques comme se déplacer, attaquer ou piocher des cartes du marché (type Équipement pour les chasseurs, Capacité Bestiale pour la bête). Selon votre profil, vous pourrez aussi effectuer des actions spécifiques comme déployer une invocation (méchant) ou chercher la créature sur votre position (gentils). Et c'est là où le gameplay va vraiment diverger.
Car si tous les mouvements que vous allez effectuer en tant que chasseurs seront visibles (il suffira de déplacer votre personnage sur la carte), ceux de la bête seront secrets jusqu'à tant qu'il attaque (un animal, un colon ou l'un des joueurs chasseurs), qu'il se révèle de lui-même (pour déclencher une carte le demandant), ou s'il est débusqué par un chasseur. Le monstre peut suivre ses déplacements à la fois par un système de cartes (Nord, Sud, Ouest, Est et Immobile) posées face non visible sur un emplacement dédié du plateau, et à la fois par une mini carte cachée derrière son paravent.
Reste que si le monstre se meut la plupart du temps dans l'ombre, il doit toutefois régulièrement lâcher des indices, en posant un jeton d'Empreinte dès qu'un chasseur arrive sur une case où il est récemment passé. Et dès qu'il se révèle, toutes les cartes de mouvement sont remises dans la pioche dédiée, les jetons Empreintes sont supprimés du plateau, et le standee du monstre est replacé sur sa dernière position connue.
Une phase de Jour prend fin dès que tous les joueurs ont passé, soit de gré (mais il faut pour cela avoir moins de cartes en main que chacun des autres joueurs), soit de force (plus rien en main). Vient alors une phase de Nuit durant laquelle on commence par résoudre les récompenses de contrat journaliers (plateau scénario), nettoyer les différents marchés et enlever les éventuels jetons blessures des animaux, colons et tours de guet.
Tous les joueurs peuvent ensuite investir des jetons Rancune dans des améliorations et récupérer leurs cartes compétences propres. Et on finit par remélanger les cartes actions pour préparer la journée suivante si le scénario ne doit pas prendre fin à ce moment là.
Bête de scène
Et vraiment pas facile de juger ce Beast, tellement je lui trouve objectivement autant de qualités fabuleuses ... que des défauts juste énormes.
Dans les gros points noirs, il y a déjà le livret de règles. Juste horrible. Non pas pour comprendre la base des règles (rassurez-vous), car l'apprentissage se fait aisément, et vous n'aurez normalement aucun problème après sa lecture pour vous lancer dans votre première partie. Mais celui-ci manque atrocement de détails sur le fonctionnement des mécaniques de base, notamment sur la pose des empreintes (est-ce que la case d'une bête révélée ou sujet à une carte Immobile avant un déplacement fait apparaître un jeton ?). Et il manque surtout une FAQ pour tous ces cas particuliers qui surgiront forcément au vue de la profusion d'effets uniques de cartes ou d'améliorations, et que finit par traiter de manière la moins illogique possible (tout en ayant perdu beaucoup de temps à quand même essayer de trouver l'info dans le livret).
Et faut parler aussi des scénarios de la boîte. Déjà 4 en tout, pour 2 en configuration 2-3 joueurs, et 2 pour une tablée pleine, c'est vraiment très peu. Mais le pire, c'est que trois ont exactement la même finalité, à savoir que la bête gagne si elle tue des colons, et les chasseurs l'emportent si la bête meurt ou atteignent la dernière nuit, avec en quasi toujours des plateaux ayant la même configuration de départ. C'est quand même très triste et rageant vous ne trouvez pas ?
Par contre, s'il y a un point où je n'ai aucun doute, c'est sur le travail d'immersion. Mais quelle claque visuelle, mes amis !
Beast a beau n'embarquer aucune figurine ni élément ostentatoire, le crayonné abrupte et sombre de Aron Midhall utilisé pour les différents éléments (cartes et plateaux) réussit à lui seul à générer une ambiance générale hostilo-mystique juste incroyable.
On se sent vraiment esseulé et livré à nous même dans ce monde énigmatique, et le tracé aussi fantomatique et sujet à beaucoup d'imagination (merci le brouillard ambient) des bêtes finissent par leur donner une prestance folle, malgré le fait qu'ils ne soient finalement imprimés que sur des standees de quelques centimètres de haut.
Ancien KS oblige, vous profiterez tout de même d'une partie de l'aspect premium initial, avec de plateaux double couches, de tours de garde en bois 3D et de meeples animaux en bois (avec détails en sérigravure). Des petits plus qui aident forcément à parfaire l'effet aventure que vous allez vivre avec cette grosse boîte.
Car Beast ne se contente pas de vous plonger dans un jeu de déduction, non. Faire progresser son héros, acheter de l'équipement, poser des pièges, installer des tours de guet d'un côté ... développer sa créature, chasser des animaux, récupérer des capacités bestiales de l'autre ... le titre offre une multitude de leviers pour rendre l'expérience aussi dense et épique.
Quel que soit notre camp, on se prend rapidement d'affection pour son avatar ludique, en essayant de le faire progresser individuellement tout en essayant de s'inscrire positivement dans le scénario que l'on se doit d'écrire. Je n'ai pas souvenir d'avoir vu autant de consistance dans un jeu du genre, et forcément, cela lui donne de sacrés clés pour se démarquer de la "concurrence" (plutôt centrée sur la dissimulation et la traque pour la plupart).
Pense bête
Mais y a quand même un petit truc qui me chiffonne. Ce genre de sensation un peu amère que peut générer un titre qui offre un panel de mécaniques extrêmement ambitieux, mais sans réussir à permettre aux joueurs d'en profiter pleinement.
Parce qu'il y a déjà ce format de partie très court (trois journées en général) qui font que l'on est souvent obligé de prioriser la mission et les contrats de journées à la quête de jetons Rancune, la ressource obligatoire pour se développer. Offrir la possibilité de se "stuffer" est aussi géniale en soi, mais peu de cartes d'actions nous offre ce cadeau, pour au final en tirer 3/4 grand maximum durant une partie. Et il y a ces "features" de pièges et tours de guet très sympathiques sur le papier, mais elles aussi sujettes à d'énormes contraintes (cartes Equipement voir un seul personnage ayant la capacité) qui font que l'on en profite finalement bien trop rarement dans nos parties.
Et tout cela fait que l'expérience pour les chasseurs est peut-être ... un peu moins fun qu'attendue.
Certes, il y a l'aspect coopérative de communication qui est vraiment jouissive. Essayez de deviner où va la bête, tenter de se synchroniser pour le prendre en étau sans qu'il comprenne ce que l'on veut exactement faire ... l'animation autour de votre côté de table sera là, c'est une certitude, et le plaisir d'être les David contre le Goliath offre une palettes d'émotions toujours vive.
Mais quand le jeu de la bête reste ultra adaptatif et riche, grâce à la composante cachée, la gestion des invocations, la traque aux proies tout en évitant les humains ... les chasseurs, eux, souffrent davantage : Des drafts aléatoires, qui vont souvent ne pas leur offrir assez d'attaques ou de Rancune pour agir et se développer ; De devoir dépenser énormément de cartes pour juste détecter la bête, ce qui limite vite ses possibilités de jeu ; Et de la véritable absence d'une contre mécanique cachée (par l'utilisation par exemple d'un certain nombre de trappes piégées ... ou pas) qui rendrait au final le gameplay des gentils un peu "étriqué", tout en vous convainquant définitivement de ne pas sombrer dans la facilité (juste attendre la bête).
Attention, ce dernier point reste plus de la déception qu'un reproche d'un joueur qui a eu (je l'avoue) un petit crush pour un jeu qui, au vu des retours positifs et d'un équilibre certain entre les deux camps dans la globalité de ses parties, démontre quand même un potentiel d'amusement et d'équilibrage réfléchi certain.
En fait le seul vrai point d'achoppement serait son prix, vraiment pas à la portée de toutes les bourses, et qui peut paraître un chouïa élevé vu le contenu de la boîte. Mais si vous êtes en quête d'un jeu de Un contre tous ultra thématique et riche en mécaniques, que vous attendez davantage un jeu de draft et d'optimisation tactique (limite wargame) avant un jeu de chasse à l'homme, et que surtout vous avez les moyens, Beast est fortement à considérer, c'est certain !
PS 1 : Beast est actuellement en précommande sur le site de Don't Panic Games
PS 2 : Studio Midhall (le studio originel) a mis à disposition des dizaines de nouveaux scénarios via une page dédiée de leur site officiel