La forêt tropicale, j'avoue que cela ne m'a jamais trop parlé. Une densité de végétation qui empêche de se promener tranquillement sans devoir jouer de la machette tous les 2 mètres, une humidité étouffante qui nécessite de changer de t-shirt toutes les 20 minutes, des animaux tous plus colorés que mortels rien qu'au contact visuel ... rien de vraiment jovial et d'aguichant selon moi, et c'est étonnamment un passionné de fougère qui vous le dit (j'en ai 1453 / 13000 pour l'instant dans mon herbier personnel, respect non ?).
Pourtant, Canopée, le dernier petit jeu pour 2 joueurs de chez Lucky Duck Games, m'a fait changé d'avis sur ces espaces sauvages et intrépides (oui j'utilise des mots qui ne veulent rien dire). Créer la biodiversité la plus prospère, faire des concours de celui qui a le plus gros arbre, tout en mettant le feu pour favoriser le développement de sa parcelle ou mettre le "dawa" chez celle du voisin … il n'y a pas à dire, cela n'est pas très respectueux des grands parents. Mais c'est quand même fendard !
Dans la jungle, terrible jungle ...
Canopée se joue en trois saisons (manches) et se base sur deux mécanismes classiques que sont la collection d'ensembles et la sélection de cartes, qui pour cette dernière utilise une petite dose de stop-ou-encore pour pimenter la sélection de ses trouvailles.
À son tour, un joueur a en effet la possibilité de consulter une-à-une les trois piles Nouvelles Croissances situées au milieu de la table. Si le joueur refuse une pile, on ajoute dessus une carte venant de la pioche et il passe à la suivante. S'il accepte un paquet, il est par contre obligé de prendre toutes les cartes qu'il contient et de les ajouter dans sa forêt personnelle.
Côté contenu, Canopée vient avec un large éventail de types de cartes "à collectionner".
Les premières sont les cartes Arbre (bouts de troncs et parties supérieures), qui permettent de gagner quelques points à chaque fin de saison pour chaque nouvel arbre complété, et de se rajouter un petit bonus si vous aviez fait pousser l'arbre le plus haut de la manche courante.
Les cartes Flore offrent elles des points en fonction du nombre de cartes identiques que vous possédez, selon des règles inscrites sur chaque exemplaire. Les cartes Faune fonctionnent de la même façon mais viennent par paire et proposent en plus une capacité spéciale sur l'une des cartes de chaque duo.
Les cartes Météo génèrent 5 points dès que vous arrivez à assembler une paire de cartes soleil et pluie, quand les cartes Menace sont plus nocives et peuvent provoquer selon leur nombre des effets négatifs à un joueur ou l'ensemble de la tablée. Reste les cartes Graines, qui permettent de tirer des cartes supplémentaires d'un paquet spécifique en fin de saison.
En plus du mode de base, le jeu vient avec un deck avancé dont on peut inclure certaines cartes à sa guise pour renouveler les parties. Ce paquet ajoute des plantes aux particularités différentes, des animaux aux capacités plus puissantes et des menaces moins évidentes à gérer. Et si vous voulez rajouter un peu plus de saveur à l'ensemble, vous pouvez jouer avec la variante de changements de saisons, qui ajoute via une carte tirée en début de saison une contrainte à suivre.
... le lion se ballade, peinard
Canopée ne joue clairement pas son va-tout sur son originalité mécanique. Récupérer des cartes, créer des familles pour remporter un maximum de points, il existe des centaines de jeu usant de ce principe sur le marché, et il est peu probable que vous tombiez de votre chaise en y jouant.
Mais la qualité de son défaut fait que cela en fait un jeu de collection profondément accessible. Hyper rapide à mettre en place, vous n'aurez aucun mal à y faire jouer un enfant ou un joueur occasionnel, tant les règles de base tiennent en quelques lignes et les logiques employées sont devenus presque universelles depuis l'avènement du jeu de société moderne.
Surtout que le thème de Canopée a de quoi illuminer un paquet de rétines, et ce dès l'ouverture de la boîte. De jolis animaux pour les plus jeunes, de l'exotisme et de la verdure pour les plus vieux (hashtag #lesdéprimésdelacrisessanitaire), le jeu réussit son pari de nous faire voyager tout en nous faisant apprendre des choses sur cet univers autant fantasmé que méconnu, par des petits textes instructifs inscrits sur une grande majorité des cartes.
Si Vincent Dutrait est un illustrateur qui nous a souvent habitué à de vrais parti-pris visuels (Lueur, Jekyll & Hyde, Lewis & Clark, ...), il propose ici une prestation plus mainstream mais qui à l'avantage de coller parfaitement au thème et de parler au plus grand nombre (tous les gosses adorent, j'en suis témoin !).
Et au delà du côté éducatif, Canopée pourrait même devenir inspirant avec son choix écologique discret (l'absence total de plastique dans la boîte) plus que bienvenu en ces temps troublés où l'humain semble complètement déphasé avec ses véritables priorités. Cela ne changera certainement pas la face du monde (même ludique). mais cela a le mérite de corroborer son sujet et de donner un peu à réfléchir sur notre façon de consommer nos ressources, surtout avec tout ce que l'on entend sur le réchauffement climatique en ce moment.
Reste que si vous cherchez de la consistance ludique, Canopée est un peu avare de ce côté-là. Le jeu a beau proposer une certaine variance de cartes (avec en plus un paquet additionnel), le fait qu'il ne propose qu'une façon de gagner (la course aux points) vous fera 99% du temps privilégier les plus grosses piles.
Bien sûr, il faut quand même souvent composer avec des questionnements du genre "dois-je prendre aussi tôt dans la saison une deuxième carte Bromélia ?" (en sachant que la troisième donne des points négatifs), "quand dois-je déclencher ce super pouvoir" ? ... mais vous rendrez vite-compte que la quantité est souvent à considérer, surtout si vous jouez avec les cartes avancées dont certaines offrent une capacité de défausse bien utiles.
Canopée est un jeu où, indiscutablement, la majorité de vos décisions sont plus évidentes que le stop-ou-encore laisse présager au début de votre première partie, "bien aidé" par des synergies qui ne s'opèrent en général qu'entre cartes de la même famille (il y a quelques cas particuliers, mais cela reste très simple d'utilisation).
On pourra aussi retoquer au jeu un équilibrage qui peut se montrer déceptif. Comme le jeu demande au départ de scinder en trois le paquet de cartes initial pour préparer les trois manches, il se peut que comme chez nous que le hasard vous glissent la majorité des arbres et des animaux à capacités dans le dernier tiers et rende votre partie beaucoup moins intéressante. Un défaut dont peut souffrir aussi très souvent le paquet saison (une des extensions), et il n'est pas si rare de voir l'ensemble des contraintes inopérantes ou peu impactantes selon les différents tirages réalisés.
Ceci-dit, cela ne vous empêchera pas de ressortir la boîte de temps en temps et de prendre plaisir à faire une petite partie de Canopée. Votre progéniture s'éclatera à aller à la chasse aux marsupiaux, vous adorerez le voir s'enthousiasmer tout en grattant un maximum de Fougère à Feuilles de Cuir (10 points pour la passion, cela ne se refuse pas !), surtout que les parties sont dynamiques et se montrent tendues jusqu'au bout (un retournement de situation est toujours possible, surtout avec les cartes avancées).
Et comme l'auteur a eu la bonne idée d'intégrer une astucieuse version 3 ou 4 joueurs, vous pourrez en profiter pour inclure dans votre moment ludique votre dame (qui fait une étonnante fixette sur les Orchidées Epiphytes) et votre cousin pyromane, qui aime passer son temps à déclencher toutes les menaces générales possibles.