Caral (la ville antique) est une énigme. Depuis la découverte de ses ruines dans la région de Lima en 2000, cette cité (nommée du nom du peuple qui l'aurait bâti) a en tout cas remis en question tout ce que l'on pensait savoir de l'émergence des civilisations anciennes au Pérou et l'Amerique en général.
Il faut dire qu'avant sa sortie de terre, on pensait que les plus vieux édifices urbains du continent remontaient à 3500 ans, alors que les datations donnent à Caral ... 5000 ans, faisant d'elle une contemporaine des grandes pyramides d'Égypte !
Créé par Klaus-Jürgen Wrede (l'auteur de Carcassone, excusez du peu !), Caral (le jeu) va vous faire revivre la construction de cette illustre cité. Récupérer de la pierre pour construire des pyramides, dresser des alpagas pour vous déplacer plus vite, stocker des ressources pour réaliser des actions bonus et faire des offrandes aux Dieux, seront votre quotidien dans ce jeu de placement d'ouvriers où vous allez faire évoluer un pion Famille sur une piste commune en spirale (ou en escargot dans le jargon technique maternel). À vous rappeler vos parties endiablées du jeu de l'Oie ?
Sachez avant d'en dire d'avantage qu'une partie de Caral se découpe ici en Années qui prennent fin dès qu'un meeple atteint la case centrale. Cela sera souvent le pion Famille d'un joueur, mais cela peut-être aussi l'Architecte, un pion neutre qui va se déplacer régulièrement en empêchant ceux derrière lui de réaliser des actions. Dans les deux cas, cela déclenche une grande cérémonie où chaque joueur va devoir satisfaire les cieux.
En commençant par le Grand Prêtre (le premier arrivé ou plus proche du centre selon le cas) et en tournant dans le sens des aiguilles d'une montre, le jeu demande de sacrifier un nombre de cartes ressources identiques et d'un type encore pas proposé (les Dieux n'aiment pas la redite). À la clé, un gros bonus de réputation pour le plus généreux et un malus de points pour ceux qui décideront de ne pas se soumettre. Mais aussi pour le Grand Prêtre le contrôle du dé Architecte, qui lui permettra de manipuler le déplacement du pion Neutre au début de chaque tour de table de l'Année à venir.
Une partie de Caral se termine elle à la fin de l'année de la construction du cinquième étage de l'édifice central, qui va s'élever au fur et à mesure que les joueurs finalisent des pyramides personnelles sur le plateau général. En jeu, il faut savoir que vous aurez toujours le choix de débuter un monument de 3 ou 5 étages, mais il faudra au préalable réserver un emplacement en y plaçant un de vos pions de Carali (meeple à tout faire, vous allez vite comprendre pourquoi), passer régulièrement sur les cases Carrière pour récupérer des Pierres (à hauteur d'une par étage) et déclencher des actions construction.
Et agir dans Caral est possible de deux manières. Un joueur doit toujours commencer son tour par se déplacer d'au moins une case jusqu'à un maximum indiqué sur son mini-plateau personnel, en comptabilisant les cases actions et sites de construction possédant au moins un niveau de pyramide. Ensuite, selon la case de destination, une ou plusieurs actions sont possibles.
Vous avez atterri sur une case Village ? Vous pouvez placer l'un de vos pions de Carali encore dans votre réserve sur le plateau, soit en tant que bâtisseur (sur une case Carrière), soit en tant que bâtisseur (sur un site de construction inoccupé), soit ou en tant que prêtre (sur une de ses pyramides de 5 étages terminée).
Une case Carrière permet de récupérer autant de Pierre que d'Ouvriers de votre couleur sur l'emplacement (dans la limite de 4), alors qu'une case Marché des Animaux offre un déplacement supplémentaire via un meeple Alpaga à palcer sur son plateau personnel. Et si vous êtes sur un site de construction de votre famille, vous avez la possibilité de construire un étage de pyramide, si vous pouvez en payer le coût, bien entendu !
Reste à évoquer les cases Culte, qui sont étroitement liées aux cartes Ressources du jeu, dont vous tirez 5 exemplaires en début de partie et dont on dénombre 4 versions différentes. Outre leur utilisation lors de sacrifices annuels, vous pouvez à tout moment de votre tour défausser 1 carte pour avancer d'une case supplémentaire, ou défausser deux cartes aux symboles identiques pour réaliser une action supplémentaire spécifique.
Construire un étage de pyramide supplémentaire (Pierre ou Argile), refaire l'action de votre case (Poisson) ou vous redéplacer de 3 cases maximum en déclenchant la case de destination (Alpaga)... elles offrent un vrai moyen de prolonger vos tours, tout en réalisant des enchaînements spectaculaires !
Et c'est indiscutablement la grande force de Caral. Sous sa couche de règles extrêmement basique à première vue, et qui permettent résolument de le sortir avec n'importe quel public, se cache un jeu beaucoup plus subtile qu'il en a l'air qui sait imposer sa masse de dilemmes complexes.
Outre le fait de devoir vous concentrer sur le développement de votre "empire" de pyramides, vous allez devoir constamment vous adapter au tempo fluctuant d'une partie. Un rythme dicté par la course à la position de Grand Prêtre (très puissante, il va s'en dire) et surtout aux déplacements de l'Architecte, qui pour rappel vous empêche de déclencher les cases Actions situées derrière lui !
Cela semble d'ailleurs un détail, mais je trouve hyper malin d'avoir laissé la possibilité de se déplacer vers l'arrière du circuit, car cela ouvre un champ de stratégies encore plus vaste, décuplant encore plus la richesse du jeu de base. Vous allez vite le voir venir le gars qui prend un max de pions Alpaga au départ pour se détacher rapidement des contraintes en début de chaque année ...
Et le pire dans tout ça, c'est que cette richesse est déjà offerte ... dans la configuration de base du jeu ! Car si vous n'en aviez pas assez, la boîte vient avec 5 mini modules que l'ont peut combiner et intégrer à l'envie. Alors clairement, je ne vous conseille pas de les mettre toutes, car Caral devient alors indigeste, que ce soit au niveau des règles, de l'iconographie et du rythme in-game.
Mais il y a vraiment de tout, et c'est ça qui est bien : Vous pourrez vite rajouter une ou deux évolutions "simples" (Anaconda, Tuiles de Progrès, Cartes Statuts) pour rajouter du sang neuf après plusieurs parties en "famille", ou configurer Caral pour des joueurs plus habitués en y adossant des modules comme Emissaires (arbre de compétences) et Tuiles Annuelles (objectifs). Une expérience à la carte qui colle parfaitement avec ce genre de titre intermediaire !
Après cette débauche de compliments, il faut tout de même que j'évoque le seul gros défaut du jeu (selon moi) : La surcharge visuelle des éléments clés du jeu.
Aucun reproche à faire sur la qualité du travail d'illustration général, qui met tout de suite dans l'ambiance tout en profitant d'un matériel très qualitatif. Mais au dela des cartes Ressources, dont la démarquation effets / visuel n'est pas assez tranchée, j'ai vraiment un souci avec ce plateau central qui priorise trop le thème par rapport à l'ergonomie du gameplay. Une piste un peu plus marquée (en largeur notamment), des cases accessibles plus évidentes (avec un système de tokens par exemples), ... cela aurait indiscutablement clarifié la vision générale de ses possibilités, surtout quand les derniers tours pointent le bout de leur nez et que la zone de jeu est envahie de dizaines de pyramides et de meeples de différentes couleurs.
Mais rien de grave rassurez vous, et surtout rien d'impossible à surmonter pour ne pas réussir à profiter des qualités et du plaisir indéniables que le bébé de chez Blue Cocker a à nous offrir.
Car ma boutade de début d'article n'était pas si innocente : Caral peut, comme chez nous, devenir VOTRE nouveau jeu de l'Oie. Vous savez, ce titre qui ravive parmi nous (les vieux) ces sensations d'évidence et d'universalité des jeux de notre enfance. Tout en permettant à tous de s'amuser à son niveau, tout en profitant d'une ambiance bon enfant so "eighties" qui fait un bien fou en ces temps de déprime générale.