
On dit souvent que c'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleurs soupes. Mais je ne pensais pas qu'un jour un jeu de société basé sur le principe éculé de la bataille trusterait les tops ludiques de fin d'année. Et le pire, c'est que je suis pour une fois d'accord avec la majorité !

Ce trouble fête, c'est Challengers, un jeu de cartes jouable jusqu'à 8 qui vous envoie affronter dans un tournoi mondial tous les meilleurs spécialistes de capture de drapeau. Vous allez enchaîner 7 duels (en rencontrant plusieurs fois certains adversaires selon le nombre à table) dans le but d'amasser un maximum de fans, avant de voir les deux concurrents ayant eu le plus de groupies se rencontrer dans une grande finale.
Et ces fans, ont peut les obtenir de deux manières différentes : Soit par la capacité de l'une de vos cartes personnages, soit en remportant un trophée de match mis en jeu (dont la valeur augmente à chaque manche).

Quoi qu'il en soit, une rencontre fonctionne toujours de la même manière.
Celui qui ne possède pas le jeton drapeau retourne des cartes de son deck (mélangé au préalable) jusqu'à ce que leur valeur accumulée soit au moins égale à celle de son adversaire. À ce moment-là, celui-ci renvoie les vaincus sur son banc en triant les cartes par nom (dans des slots placés sur le côté du tapis de jeu), puis contre-attaque en essayant de battre la dernière carte qui a finit par remporter le drapeau. Un jeu de ping-pong s'installe alors jusqu'à ce qu'un joueur n'a plus de cartes pour tenter de ravir le jeton drapeau, ou s'il est obligé de placer une nouvelle carte sur son banc et qu'il ne dispose plus de slot vide. Deux conditions qui signent alors sa défaite immédiate.
Simplissime ? Clairement oui, et vous pourrez sans souci sortir le jeu avec n'importe qui, du pur néophyte à votre marmot qui sait à peine lire. Scripté ? Oui aussi, difficile à nier, car vous allez surtout retourner des cartes et agir mécaniquement. Mais cela n'empêche que ce Challengers n'est pas dénué de prise de décisions.

Les choix importants sont effectuées lors du recrutement. Ce que je n'ai pas dis, c'est que Challengers autorise les joueurs, avant chaque rencontre, de recruter jusqu'à deux nouvelles cartes lors d'un tirage de 5 cartes (avec Mulligan autorisé) effectué depuis l'un des trois paquets du jeu (A,B,C). Vous ne piochez pas où vous voulez, non. C'est votre carte de gestion du tournoi personnelle, tirée au hasard en début de partie, qui indique quel tas visé, en plus de vous imposer à quel tapis de couleur vous devez vous asseoir avant chaque affrontement. Notez que ces paquets proposent des personnages à la valeur et aux capacités allant crescendo, et qu'une petite configuration initiale oblige à retirer une couleur de carte de l'ensemble, affectant le pool de cartes sur lesquels vous pouvez tomber.
La construction de son deck est le vrai jeu dans le jeu, surtout que beaucoup de ces cartes viennent avec des capacités assez variées. Certains personnages proposent en effet des effets qui peuvent se déclencher immédiatement à l'achat, au tirage, lors de la perte ou du gain du drapeau. Mais aussi de façon permanente tant que la carte est sur le banc. Avec des effets de jeu qui se montrent assez variés, du gain de valeur sous conditions à la manipulation de son deck, avec quelques pouvoirs affectant directement votre adversaire direct.

Et indiscutablement, cela fait de Challengers un jeu aussi universel que terriblement amusant. Même à 2 ou 4, on se prend vite au jeu d'une compétition chaotique où le vainqueur final peut être résolument n'importe qui (pour preuve, j'ai gagné une partie en m'étant qualifié en final in extremis lors de la dernière manche et en ayant jamais battu l'autre finaliste lors des rencontres préliminaires ...). Mais c'est vraiment à 6 ou 8 que Challengers révèle son potentiel fédérateur avec, si joué avec les bons groupes, une ambiance sans commune pareille. Et un pouvoir de nuisance sonore qui rendrait jalouse n'importe quelle chanteuse québécoise des années 90/2000.
Dans les deux cas, il ne faut pas s'attendre à avoir un contrôle absolu sur le déroulé des opérations. Le cœur du jeu reste de la bataille, et vous subirez davantage vos tirages que vous extasierez d'un achat de cartes réussi. Cependant, Challengers demande quand même à prendre quelques décisions dans la construction de votre deck, comme par exemple privilégier des cartes identiques pour avoir un banc moins vite rempli, optimiser au mieux une ou deux synergies offertes par des achats récents, profiter de la suppression gratuite de cartes pour avoir un paquet personnel restreint mais qu'avec des valeurs fortes, etc... des choix qui auront au final une vraie influence dans votre destinée.

Tout cela serait parfait si Challengers n'embarquait pas de vilains défauts.
Le plus marquant est sa "patte" visuelle, vraiment pas dingue. Autant les petits tapis sont chouettes, les drapeaux en bois très sympas, autant beaucoup des personnages des cartes ne ressemblent pas à grand chose, et ne donnent surtout pas l'impression de jouer à un jeu d'affrontement. Et ça c'est sans parler de la boîte, pas du tout compréhensible (on joue au golf ?)...
Bien sûr, je ne remets pas en cause le parti pris thématique mi-BD mi loufoque, qui à le mérite de proposer autre chose. Mais ici le trop classique (des chiens, des personnages lambdas ...) côtoie le grand n'importe quoi (des capsules, ...), ce qui ne donne pas vraiment l'impression de monter une équipe prêt à en découdre.
L'ergonomie, elle, est aussi un peu douteuse. La présence de sabots et le thermoformage de la boîte très sympa sont un peu trop contrebalancée négativement par l'absence d'une vraie logique dans le rangement (où je mets les cartes en trop ?), une traduction approximative de certaines cartes, et des 1 et des 7 qui se ressemblent beaucoup trop. Celui qui a perdu un max de points lors de notre première partie quand on s'en ait rendu compte ne vous remercie pas ...

Mais le vrai problème est peut-être à chercher dans la mécanique générale. Le hasard prépondérant du tirage, le fait que l'on ne récupère au final que très peu de cartes (rendant vraiment moins fortes les effets sur la présence de types de symboles), des personnages "over cheatés" ... tout cela participe progressivement à creuser un vrai déséquilibre au fil des parties qui peut rendre "colère" certains forts caractères. Et ce qui est bizarre, c'est que l'on arrive souvent au bout en ayant l'impression de ne pas avoir profité de ses synergies, de tout juste commencer à s'amuser avec son deck.
Mais le temps de quelques parties, on arrive tout de même à faire fi de tout ça. Car Challengers propose une découverte des cartes si fun, un concept général si stimulant et si frais, que l'on oublie vite que le jeu aurait pu avoir un gameplay plus riche, posséder une rejouabilité beaucoup plus affirmée.
Faite le découvrir à une tablée, et vous constaterez la même chose. Une première manche où le scepticisme côtoiera une certaine réticence à devoir lire autant de cartes. Puis des manches suivantes où vannes, cris de joies et de rages se mêleront à des sourires et de la mauvaise foi qui vous confirmeront que, oui, Challengers est un vraie bouffée d'air frais en ce chevauchement d'années.


