Depuis l'avènement de Dominion, pas une année passe sans qu'un semi cargo de jeux de deckbuilding déferlent dans les rayons de nos boutiques préférées. Et j'avoue, si je suis un grand fan de la mécanique, je ne suis pas loin aujourd'hui de friser l'overdose, tant le concept est usé jusqu'à la moelle et que les auteurs ont du mal à renouveler le genre.
Pour autant, je ne "crache" jamais sur une partie de Clank ! , un jeu qui a marqué mon esprit à sa sortie en 2017 (plutôt fin 2018 pour la VF), et qui garde encore aujourd'hui une magnifique place dans ma ludothèque.
Chut! dragon dort
Clank ! ne révolutionne pourtant pas le monde ludique par son principe. Un monde médieval-fantastique où il faut descendre dans un donjon gardé par un dragon pour récupérer un maximum de trésors, c'est vraiment du ultra-archi-méga classique.
Mais la première idée brillante de Clank ! , c'est que tout le concept du jeu repose sur le bruit (ou "clank" en anglais). Plus un joueur manque de discrétion (au travers de l'achat ou l'utilisation de certaines cartes), plus il se voit obliger de glisser des cubes de sa couleur dans le sac du dragon. Ce ne serait pas un problème en soi si le dragon n'avait pas tendance à se réveiller, ce qui entraîne une phase de pioche infligeant un dégât par cube de sa couleur tiré. Et quand on sait que chaque joueur n'a que dix points de vie au départ, la mort peut surgir plus vite qu'on ne le pense !
Et cette tension est magnifiée par la deuxième superbe idée du jeu, à savoir la présence d'un plateau physique représentant la-dite grotte. Dans Clank ! , chaque joueur se voit véritablement en train de descendre dans les abîmes de la folie (juste une façon de parler, le jeu est plus du genre mignon). L'immersion en est que plus vive, surtout que l'on se rend vite compte que les trésors les plus intéressants se retrouvent dans les galeries les plus profondes, et qu'outre le dragon il y a un paquet d'embûches à surmonter pour les atteindre.
Monstres, des portes fermées à clé, des cavernes qui arrêtent instantanément son déplacement, tout est fait pour enrayer votre progression. Fort Heureusement, le plateau offre aussi des cases "marchés" qui permettent d'acquérir, moyennant la monnaie du jeu, des trésors ou des objets utiles à notre quête (clé pour ouvrir certains chemins inaccessibles, sac à dos pour porter un trésor supplémentaire...).
Finalement, on se rend compte vite que le danger principal, c'est bien les autres. Car en plus d'instaurer la règle du "premier arrivé premier servi" à une multitude de niveaux (de la récupération de trésors ou d'artefacts à l'achat des meilleures cartes), le jeu a eu la riche idée d'offrir au premier joueur qui remonte avec au moins un artefact l'honneur de déclencher le décompte de fin du jeu.
Et ça, c'est embêtant. Car déjà ça a plutôt tendance à casser une stratégie et des plans parfaitement huilés (du genre j'irai bien chercher cet artefact après avoir récupéré une clé). Et surtout cela élimine purement et simplement de la course à la victoire chaque joueur qui ne profite pas des quatre derniers tours additionnels (où le dragon s'en donne à cœur joie, ce serait trop simple sinon) pour remonter au moins au delà de la moitié du plateau de jeu !
Du deckbuilding accessible
La partie deckbuilding ne surprendra aucun habitué du genre. Chaque aventurier commence avec un paquet de dix cartes identiques qu'il va tenter d'améliorer au fil de la partie. Au début de chacun de ses tours, il en pioche cinq, et peut en jouer autant qu'il veut et dans l'ordre de son choix (les cartes apportant un malus sont cependant obligatoires).
On retrouve trois types de ressources sur ces cartes. Les bottes servent à se déplacer, alors que les points de compétence et les épées servent respectivement à acquérir des cartes ou combattre des monstres sur le marché commun.
Bien sûr, un monstre vaincu a tendance à lâcher des bonus intéressants qu'il ne faut pas négliger, mais on peut aussi utiliser nos symboles épées pour traverser des chemins du plateau possédant des icônes de monstres sans subir de dégâts.
Si la construction de deck de Clank ! n'est pas révolutionnaire, elle a le mérite de servir parfaitement le cœur du jeu, à savoir une progression semi-hasardeuse sous un dilemme incessant. Il faut le savoir, une victoire dans Clank ! est soumise à davantage de hasard que dans un deckbuilding classique. Le jeu se veut aussi plus accessible, plus simple à prendre en main, ce qui peut décontenancer les puristes du contrôle et de la stratégie sur le long terme.
Reste que prendre telle ou telle carte, attaquer tel ou tel monstre... Clank ! s'avère toujours une affaire de prise de risques, de choix, jusqu'à pousser le vice dans celui de choisir....de ne pas prendre de cartes du tout. Car subtilité du jeu, dès qu'une carte de la rivière commune est achetée ou jouée, on la remplace en fin de tour par une autre. Et si une carte contient un symbole dragon, c'est à ce moment là que le monstre des lieux attaque. Et peut nous ôter notre dernier point de vie.
Toutes ces choses mises bout à bout font que Clank ! est pour moi un grand jeu. Car déjà, malgré une simplicité apparente, il propose une fabuleuse alchimie entre construction de deck et dungeon crawler qui combine admirablement deux concepts habituellement plus "hardcore gamers". Et séduit. Je ne compte pas le nombre de gens de tout horizon ludique (du joueur familial au gamer sérieux) que j'ai vu sortir de sa partie avec le sourire aux lèvres, et l'envie d'en refaire une petite.
Et s'il y a un point où Clank ! est incontestable, c'est sur l'ambiance qu'il sait créer autour d'une table.
Je ne sais pas si c'est de la malchance ou causé par un équilibrage quasi divin, mais je ne compte pas le nombre de parties jouées ou un joueur en fuite est passé de vie à trépas à un tour de sortir de la grotte. Intégrer du "bagbuilding" a ce niveau est lumineux est participe grandement à la tension constante et au fun permanent qu'offrent le jeu.
Un petit mot sur le design global un peu "oldie" de l'illustrateur Paul Dennen, qui peut déplaire à certains, mais que je trouve excellent pour ma part. Le côté humoristique insufflé dans la plupart des cartes rend d'ailleurs Clank !moins austère qu'un dongeon crawler classique, et le rend même plus facile à sortir avec un public moins habitué à l'héroïc fantasy.
Même si on aime un jeu, on peut quand même lui trouver des défauts. J'avouerai que pour que Clank ! soit totalement parfait à mes yeux, j'ai longtemps ragé de ne pas avoir des plateaux modulaires, d'avantage d'interaction directe entre les joueurs, ou plus de possibilités stratégiques de faire évoluer son paquet de cartes en cours de jeu (épuration de deck notamment). Mais cela se serait fait peut-être au niveau de l'accessibilité et la complexité du jeu, et je ne sais pas si finalement Clank ! en a vraiment besoin pour me plaire... et faire autant l'unanimité sur la toile.