
Les passionnés vous le diront, un Eurogame digne de ce nom met toujours en scène une nation dans sa période glorieuse, et plein d'entités avides de profiter de cette nouvelle prospérité.
Clans of Caledonia, sorti en 2017 via KS avant que Pixie Games ait la bonne idée de l'éditer en français, avait bien compris l'astuce en plongeant les joueurs dans une Ecosse du 19ème qui, en pleine phase d'industrialisation, sentait qu'il y a moyen de faire tourner ses fabriques de pain, ses fromageries et (surtout) ses des distilleries de whisky a plein régime pour en faire profiter toutes les régions alentours (et s'enrichir au passage).

Ce qui est sûr aussi, c'est que Juma Al-JouJou (l'auteur du jeu) a visiblement beaucoup aimé Terra Mystica, et a bien compris aussi que reprendre l'essence de ce jeu mythique et tenter de la bonifier pouvait être une stratégie payante.
Les similitudes entre les deux titres sont d'ailleurs assez marquées. Déjà, la base de chaque monde est un grand terrain à hexagones commun sur lequel chacun va essayer de se développer, tout en pouvant profiter de coups de pouce en construisant près d'un voisin. On retrouve ensuite la même structure de tour, qui permet à chaque joueur de jouer une action à la fois jusqu'à ce que tout le monde décide de passer.
On peut encore noter que les joueurs contrôlent des factions ayant chacun une petite subtilité unique imposant sensiblement la façon de la diriger (si tant est que vous souhaitez l'emporter). Tout en finissant par parler des plateaux personnels, qui révèlent progressivement votre capacité de production au fur et à mesure que vous retiriez vos ressources pour les placer au centre de la table.

Mais l'ombre du géant ne cache que ceux qui croient en l'existence de créatures imaginaires (ou moins métaphoriquement ceux qui ont joué à ce jeu). Et il est difficile de reprocher quoi que ce soit à Clans of Caledonia tant il apporte son lot de différences, tout en essayant de créer un condensé sincère de ce que pourrait être l'Eurogame ultime. Deux critères qui légitimisent à eux seuls sa pleine existence.
Et Clans of Caledonia vaut déjà le coup d'œil rien que pour son système économique marqué, adossé à un marché capable de générer une interaction démentielle autour de la table. Toute action entreprise dans le jeu nécessitant de l'argent, cette ressource s'avère être le véritable nerf de votre guerre contre la recession d'agissements. Vous avez beau être serein sur votre capacité de production à un instant T, le jeu vous pousse constamment à surveiller le cours des différentes ressources afin de tenter de profiter de bonnes opportunités, prévoir le futur pour modifier vos chaînes de production sur les denrées d'avenir, voir de manipuler le marché pour créer la confusion dans les stratégies de vos adversaires directs qui vous semblaient bien trop huilées !

On peut aussi louer au titre son excellent mécanisme de contrats. Le plateau des exportations propose en tout temps de 6 à 7 tuiles (selon le nombre de joueurs) qui s'acquièrent en troquant généralement des denrées simples ou de la viande, nécessitant le sacrifice de vos troupeaux et des pertes de territoire sèches sur le plateau.
En plus de cela, il faut savoir que le prix des tuiles grimpe significativement entre les tours, et que l'on ne peut gérer qu'un contrat à la fois, sans possibilité de vous débarrasser d'une tuile en cours ! Le jeu en vaut tout de même la chandelle, car vous gagnerez en échange de l'argent, des points de victoire et de la progression sur les pistes des marchandises rares, LE baromètre principal qui décide souvent du gagnant en fin de partie.
Mais ce qui fait définitivement le sel de Clans of Caledonia, c'est cette sensation incroyable d'expansion continue. Quel plaisir de voir son clan grandir, voir une boulangerie naître à côté d'un élevage, tout en s'approchant d'un port qui pourrait donner un coût de boost à son économie ! Mais la tâche ne sera pas simple.
Car plutôt libre d'agir lors des premiers tours de table, nos choix sont vite rattrapés par un plateau ingénieusement trop exigu pour contenter tout le monde. Se jeter en premier sur les parcelles les moins chers, s'étendre au centre de la carte tout en fonçant sur les gratifiantes tuiles de ports disposées dans les coins ... chaque mouvement demande une réflexion minutieuse, surtout quand le jeu offre de juteux points de fin de partie pour les colonies (groupe d'unités) à portée d'expédition les unes des autres.

Et malgré sa complexité mécanique, Clans of Caledonia se montre beaucoup plus accessible que ses modèles directs et nombre de ses pairs. Entre les 5 manches divisées chacune en 4 phases bien définies (préparation, actions, production, scoring intermédiaire), les 4 actions de jeu limpides (construire, commercer, acquérir ou remplir un contrat) et 2/3 améliorations de plateaux dont les répercussions deviennent évidentes une fois expliquées, Clans of Caledonia s'apprivoise vite.
Alors c'est sûr, il faudra employer son cortex cérébral une fois lancé, mais le jeu fait davantage dans l'adage "facile à appréhender, difficile à maîtriser". Et ce qui aide à tout ça, c'est le matériel fou du jeu. Une centaine de meeples en bois ultra thématiques, plein de tuiles de différentes tailles en carton épais, auquel il faut rajouter les illustrations de Monsieur Agricola / Caverna qui imposent immédiatement son sujet, on en prend plein les yeux, tout en oubliant vite que la boîte est bien trop petite pour son contenant (avant les jeux labelisés Shem Phillips je n'avais jamais vu ça).

Ce qui donne quand même l'impression que Clans of Caledonia pousse tous les potards de qualité, et ce à tous les niveaux. Un jeu sévère mais juste ; Un sujet que l'on prend à bras le corps habillant des mécaniques éprouvées mais qui sonnent juste une fois que l'on se tient devant la table ; Un matériel au niveau de son exigeance .. non vraiment, il n'y a rien à dire sur la proposition globale.
Mais alors, si le jeu est si qualitatif, pourquoi une note aussi basse ? (je vous ai vu scroller en bas de la page avant de lire, hein petits saligauds).
Parce qu'un truc me dérange profondément dans Clans of Caledonia : Ses parties stéréotypées.
Et pourtant ce n'est pas faute de proposer un melting pot de variables agréables, entre le plateau central modulaire, les clans asymétriques, les tuiles de port ou de scoring intermédiaire tirés au hasard. Mais rien n'y fait, quelque soit votre pouvoir ou votre stratégie, vous serez obligés au départ de prioriser vos bûcherons et mineurs pour vous assurer un minimum de revenus entre chaque tour. De débloquer rapidement une ou deux cases d'expédition pour vous laisser des chances d'avoir les meilleures terres. De résoudre au minimum un contrat par tour pour ne pas être largué au scoring jusqu'à la dernière manche, où il faut alors passer en mode conquête totale pour s'assurer un certain nombre de colonies.
Tout cela limite, forcément, les stratégies possibles, surtout quand on sait qu'un plateau des expéditions aussi aléatoire oblige en plus à une réadaptation régulière frustrante de sa chaîne de production.

Fort heureusement, la présence de nombreuses zones de conflits indirects créé un peu d'aléatoire bienvenue. Entre la guerre de positions constante, le combat sur le ring du marché, la course aux meilleurs contrats et cette lutte finale sur les pistes de denrées rares, il y a de quoi renverser un paquet de parties. Et de faire en sorte qu'aucune soirée ressemble à un autre.
Ce qui fait que Clans of Caledonia jouit (de façon méritée) d'une aura folle. Et si le titre a beau est trop "dirigiste" pour moi, j'avoue que je prends toujours plaisir à m'asseoir à une table quand je le vois, le titre réussissant toujours à m'émoustiller pour son aspect économique agressif et son thème parfaitement retranscrit.

