
Daimyo, c'est un univers à part. Si le post-apocalyptique n'est pas un thème inhabituel, l'une des grosses sorties boutiques 2021 de la Boite de Jeu propose ici un japon futuriste revenu aux codes moraux du Bushido, des luttes d'influence entre clans en quête de popularité qui vouent un certain culte aux anciennes reliques technologiques du passé.

1, 2... 10 mécaniques
Daimyo est une œuvre étonnante qui survole un nombre incroyable de mécaniques classiques du jeu de société moderne. Vous aurez à récupérer et gérer des ressources, afin d'acheter des bâtiments et recruter de nouvelles forces vives dans votre clan. Vous aurez à collectionner des morceaux de puzzles pour réaliser des reliques rémunératrices en prestige. Vous devrez composer avec un pool de dés pour choisir les actions à effectuer. Beaucoup de points de victoires passeront par une lutte constante de majorités sur un plateau gigantesque segmentés en plusieurs îles. Vous devrez user de vos héros et en récupérer d'autres via un système de deckbuilding et de marché liés. Tout cela sans jamais être à l'abri d'une attaque frontale d'un pion ombre adverse qui pourra vous délester d'un gouverneur habilement placé.

Une partie se déroule en 5 tours fixes. Chaque tour débute par un lancer de tous les dés général (par le premier joueur), et se conclut par un calcul intermédiaires des majorités sur chaque île, qui permet d'en savoir un peu plus sur la renommée des divers factions. Quand c'est à votre tour de jouer, pas le choix : Il faut prendre un dé du pool commun, et l'affecter sur l'un des emplacements de la même couleur de votre plateau personnel.
Avec un dé bleu, vous aidez les villageois du continent, et vous gagnez en retour le droit de piocher un héros de votre paquet, d'augmenter d'un cran votre capacité de stockage de reliques, d'effectuer une des actions spéciale du plateau centrale, et de récupérer le jeton casque audio de premier joueur.
Le dé vert, lui, permet au choix, de faire produire tous vos gouverneurs et techno-fermes présents sur le plateau général, afin de récupérer les ressources indiquées sur leurs cases. Ou de déplacer votre meeple fouilleur sur deux îles différentes pour récupérer un des trois morceaux de reliques toujours disponibles.

Avec le dé rouge, vous avez aussi deux possibilités, recruter et construire, autant de fois que vous pourrez payer les ressources demandées. Si les gouverneurs et les tours radios permettent de gagner 2 points d'influence sur leur île de destination, seuls les premiers servent (comme les techno-fermes) à l'action de production. Les personnages ombres, limités à 3 par joueur par partie, permettent de supprimer un gouverneur adverse et ses 2 points d'influence, tout en en empochant un au passage. Dans tous les cas, chaque île du plateau des emplacements spécifiques et en nombre limité pour chaque type de pion, qu'ils soient personnages ou bâtiments.
Reste un dernier emplacement joker qui, en échange de n'importe quel dé, offre deux jetons riz. Une maigre récompense quand chaque tour de Daimyo ne permet de jouer que 3 fois.

En plus de l'action sélectionnée, un joueur peut effectuer l'action de l'un de ses héros en main si sa valeur coïncide avec le total d'un certain nombre de dés présents à l'instant T sur son plateau personnel. Il peut aussi déclencher son pouvoir spécial de clan (unique à chaque famille) si d'aventure il arrive à obtenir un total de dés strictement supérieur à 12.
Quand tous les dés sont attribués, on procède à ce fameux décompte intermédiaire. Pour chaque île du plateau, seuls les deux premiers joueurs reçoivent chacun une certaine popularité, indiquée sur le compte tour. Tous les joueurs peuvent ensuite glaner quelques ressources supplémentaires et procéder à l'achat de héros, via la monnaie du jeu. Après les cinq tours, le jeu se termine par un décompte général, qui ajoutent des points de popularité en fonction du nombre de reliques complètes, de son prestige (cartes héros + argent), des bâtiments construits, et des lots de 5 ressources que l'on a conservé.

Du post-japo pur souche
C'est sûr, on pourrait que tout ce méli-mélo de mécaniques et de styles de jeux pourrait se montrer confus et lourd en jeu. Mais à l'usage il n'en est remarquablement rien, bien aidé par un thème original à la croisée de deux mondes (quand l'ère du Japon féodal et de Fallout) qui réussit à lier l'ensemble et le rendre admirablement crédible et convainquant.
Daimyo est vraiment porté par une direction artistique marquante. Rien que le visuel de boîte, totalement dans ce style post-japo impromptu, en jette. Et quand on y rajoute les illustrations de cartes sublimes, le paquet de meeples et jetons en bois de différentes formes très bien finis, et des mini plateaux dans le ton, on obtient un jeu qui a une âme bien à elle. Et si vous êtes accros, il est même possible de s'offrir, contre quelques deniers supplémentaires, un lot de très belles figurines personnages et bâtiments qui finissent par donner un caractère affirmé à chacun des clans du jeu.
Ce serait littéralement parfait sans le plateau général, qui lui n'est vraiment pas dingue. Beaucoup trop surchargé en couleurs et visuels, avec des îles aux contours et zones trop peu marquées, le plateau s'avère aussi peu lisible qu'ergonomique (je ne compte pas le nombre de fois où j'ai vu des joueurs se planter pour le positionnement des bâtiments et des ombres). Il en deviendrait presque moins pratique avec les figurines, et on cherche toujours l'endroit le moins pire pour placer le pool de dés.

Était-ce la condition sine qua non pour garder une cohésion entre les différents éléments matériels ? Je pense qu'on pouvait quand même faire mieux. Mais il n'y a vraiment rien de rédhibitoire, on s'y fait, surtout que le jeu en lui même a une originalité et des grandes qualités à faire valoir.
Car ce mélange entre mécaniques de jeu à l'allemande, avec sa gestion serrée de ressources, son développement de plateau avec les tuiles actions bonus que l'on débloque en construisant les bâtiments, son jeu de pouvoirs de héros, avec des composantes très "Ameritrash" dans l'âme (jeu de majorité, interaction vive), est juste magistrale. La réflexion y est toujours vive, rien que pour mener à bien ses projets avec si peu d'actions à sa disposition, en plus d'amener par plusieurs leviers des jeux de course qui vont encore densifier l'expérience.
Pour son premier jeu, Jérémy Ducret a réussi à proposer une utilisation des dés vraiment innovante, avec une façon d'activer des cartes et faire vivre une composante deckbuilding que je n'avais jamais vu ailleurs. Toutes les mécaniques vivent ensembles de manière intuitive, permettent de marquer des points de multiple façons, tout en offrant des parties vraiment fluides, bien aidées par une restriction de choix par le nombre restreint de dés qui empêche de bloquer la réflexion d'un joueur plus que de raison.

Reste que si Daimyo est un jeu profond et vraiment bien pensé, son amalgame de mécaniques détonant est indiscutablement du genre clivant. À ne pas choisir l'un des deux mondes, il se prive forcément de l'adhésion de tous les joueurs qui ne cherchent pas forcément une expérience aussi originale. De plus, un joueur expert pourra aussi rager de voir que les reliques, le levier le plus puissant pour mener son clan à la victoire, soit sujet à autant de hasard, avec des parties qui peuvent tomber à l'eau en ne réussissant pas à tirer les pièces manquantes.
Cela ne sera pas un défaut avec des joueurs plus "casu" ou lors d'une partie de découverte, mais forcément, cela peut nuire à sa rejouabilité avec une tablée qui aiment d'avantage le contrôle, surtout sur un jeu qui propose des parties d'au moins 2h.


