Si vous aimez un tant soi peu la science-fiction, vous connaissez au moins de nom Dune. Initié par une série de romans du prolixe Frank Herbert, la saga a connu un vrai virage avec le film de David Lynch (1986), qui a permis aux Vers de sable et autres Harkonnen de s'asseoir définitivement à la table de la pop culture fantastique.
Suite littéraire (écrit pas le bambin), séries, jeux vidéos (5 entre 1992 et 2001), une poignée de jeux de société ... la franchise revient depuis régulièrement sur le devant de la scène. Avec deux gros projets attendus depuis des années, le film remake de Denis Villeneuve, qui ne cesse d'être repoussé à cause de la Covid-19. Et ce Dune : Imperium, un projet étroitement lié mixant toutes les mécaniques plaisant aux joueurs avertis.
L'en-ver du décor
Dune : Imperium reprend en grande partie l'art et certains personnages du film à venir, dans un jeu qui surfe sur le sujet phare de la franchise : Le combat pour la domination de la planète désertique d'Arrakis, et sa précieuse épice secrétée par des gigantesques vers qu'il ne vaut mieux pas approcher de trop près.
Chaque joueur prend le contrôle ici de l'un des huit chefs de l'une des quatre grandes maisons disponibles (Atreides, Harkonnen, Richese et Thorvald), et va pouvoir entre autres créer des alliances avec 4 factions en place pour gagner de l'influence, le but avoué du jeu.
Dune : Imperium offre une part importante au combat : Un conflit est résolu à la fin de chaque manche du jeu, et offre des avantages précieux dégressifs en fonction de sa "place" dans le classement du calcul des forces en présence. Avant cela, beaucoup du jeu consiste à envoyer ses Agents (ouvriers) sur des emplacements libres des quatre grandes zones du plateau principal pour glaner des ressources (eau, solari ou épice), recruter et déployer des garnisons, améliorer son aura auprès des factions ou profiter d'améliorations diverses.
Chaque joueur débute son aventure avec un plateau dirigeant (qui possède deux capacités uniques différentes), un groupe de deux agents (augmentable jusqu'à trois en cours de partie) et surtout un paquet composé des mêmes dix cartes, qu'il va pouvoir faire évoluer comme dans tout bon deckbuilder qui se respecte.
Chaque manche débute avec le retournement d'une carte conflit, qui annonce le lieu du prochain conflit et la liste les récompenses en jeu. Les joueurs sont ensuite amenés à tirer cinq cartes de leur deck, et à choisir tour à tour entre réaliser une action "agent" ou "révélation".
Effectuer une action "agent" permet d'envoyer l'un de ses ouvriers sur le plateau général et profiter de son effet, à la condition qu'il puisse se départir d'une carte possédant le même symbole que la zone du lieu visé. Se rendre sur un espace dirigé par l'une des quatre factions permet en plus de gravir un échelon sur la piste correspondante, et peut-être ravir un point ou un jeton influence en bonus.
Si un joueur choisit de ne plus jouer d'action "agent" ou ne peut simplement plus le faire, il doit se révéler, en dévoilant toutes les cartes qui lui restent afin de profiter de leurs effets d'acquisition. Ils existent majoritairement deux types d'avantages : des points de persuasion (chiffre dans un losange bleu), qui permettent d'acquérir de nouvelles cartes en allant piocher dans le marché commun, remis à jour après chaque achat. Et des épées, qui permettent d'augmenter d'autant ses points de force dans le conflit à venir.
Celui-ci se résout d'ailleurs une fois que tous les joueurs ont passé leur tour. Chaque joueur qui possède au moins une troupe en jeu lors de cette manche peut ajouter la force de combat de ces troupes (2 par cube) à son compteur de force, et peut y ajouter les bénéfices de cartes Intrigue récupérées auparavant (et dévoilées pour l'occasion).
Une fois le conflit résolu, les gagnants reçoivent leurs récompenses, toutes les troupes en jeu retournent auprès des joueurs, de nouvelles épices arrivent sur les emplacements désertiques non visités lors de cette manche... et on recommence jusqu'à ce qu'un joueur atteigne les 10 points d'influence, ce qui déclenche sa victoire immédiate.
Un petit grain de sable
S'il y a bien quelque chose que l'on ne peut pas reprocher à Dune : Imperium, c'est la qualité globale de son système de jeu. Le livret n'a beau faire qu'une grosse dizaine de pages (dûment illustrées), on est en face d'un vrai bon jeu, riche et complet dans ses choix stratégiques, et qui dans le même temps ne sacrifie rien de son accessibilité.
Car malgré quelques subtilités à apprendre, Dune : Imperium se montre étonnamment facile à appréhender et à expliquer, bien aidé par une iconographie aux petits oignons. Tellement bien que l'on explique 22 zones d'actions en moins de deux minutes chrono !
Ce que j'aime avec ce Dune : Imperium, c'est qu'il réussit admirablement à valoriser, à totale équivalence, les deux mécaniques phares que cette grosse boîte nous propose de dompter durant une partie de jeu. Alors certes, le côté deckbuilding n'est pas le plus combinatoire qui soit, et on peut regretter qu'avoir le consentement de "factions" ne facilite pas plus la récupération de certaines cartes, ou une asymétrie plus marquée qui n'aurait vraiment pas fait tâche dans le monde très tourmenté de Dune.
Mais si on le compare aux Ruines Perdues de Narak, son "concurrent" actuel pour qui cherche un jeu récent jouant du deckbuilding et du placement / actions, Dune : Imperium propose clairement la gestion de cartes la plus satisfaisante. Elle oblige constamment à surveiller le marché pour faire les achats les plus judicieux, tout en contrôlant au mieux la taille de son deck.
Mieux, la dualité constante entre les deux façons de jouer une même carte créée une vraie tension palpable en jeu. Dune : Imperium est un jeu résolument dynamique, qui ne souffre d'aucun temps mort, même si les premières parties peuvent durer un peu plus que de raison (surtout à 4).
Là où Dune : Imperium se démarque vraiment, c'est par son niveau d'interaction assez élevé, fait plutôt original pour une machinerie jouant sur ces terrains mécaniques. Ceci est dû en grande partie à la composante combat, rendue incontournable par le nombre non négligeable de points d'influence qu'elle peut fournir le temps d'une partie complète. Et ce qui étonne d'avantage, c'est qu'en concentrant en une unique zone de conflit à chaque manche, et en obligeant à se départir de toutes les troupes prenant au combat, on se retrouverait presque avec un fonctionnement d'enchères !
Dune : Imperium en a donc dans le moteur, c'est une certitude. Paul Dennen, le papa du génialissime Clank !, connaît la recette pour faire un jeu de deckbuilding sur plateau qui tient la route, et le démontre ici admirablement bien. Si vous aimez de base les mécaniques que le jeu s'évertue à employer, vous prendrez sans nul doute plaisir à découvrir ce titre et enchaîner les parties.
Reste que si le jeu est bon mécaniquement, l'aspect visuel m'a lui beaucoup moins convaincu.
Car si les illustrations de cartes plutôt jolies (sans transcender) et les différentes pièces de qualité, on se retrouve finalement avec un design global qui favorise un peu trop l'ergonomie et la lisibilité au détriment de l'immersion. L'exemple le plus criant est à chercher du côté du plateau principal. Certes on a tous les codes de la SF et de la licence, qui permet très rapidement de comprendre où en est le jeu. Mais il ne me donne pas du tout l'impression de me balader sur une planète dangereuse, miné par des conflits entre clans, et de sauter entre lieux de conflits pour asseoir mon autorité.
Et j'irai même plus loin dans la provocation : Est-ce qu'on a l'impression de vivre une aventure dans l'univers de Dune en jouant à Dune : Imperium ?
Avant d'aller plus loin, il faut avouer qu'à sa décharge, le jeu localisé par Lucky Duck Games n'est vraiment pas aidé par les aléas de ce monde qui ne tourne plus très rond depuis deux ans, et qui a obligé Dune : Imperium à sortir bien avant un film qui aurait permis d'attiser la hype. Jouer avec des "gueules" de personnages que l'on a vu évoluer, s'imprégner de l'ambiance du film de Dennis Villeneuve, auraient forcément simplifier l'implication joueur à l'heure de sortir la boîte.
Et pour être tout à fait honnête, on retrouve les gros marqueurs qui font la licence : Les Fremen sont bien les maîtres de l'eau; Le CHOM est toujours arrangeant quand il s'agit de jouer avec les marchandises ; La Guilde spatiale reste le chemin le plus rapide pour engranger un maximum de troupes... tout comme dans les bouquins.
Mais j'ai la vague impression que l'âme, toute la folie que fait Dune, est elle un peu absente : Les gigantesques vers du mythe n'ont aucune incidence sur nos actions ; Les épices (ce pour quoi tout le monde vient sur Arrakis !) sont réduis à une denrée comme une autre ; Le jeu de alliances et des trahisons qui prédominent dans l'œuvre de Herbert sont insignifiants...
Ce sera un détail pour beaucoup de joueurs, qui se "contenteront" largement d'un excellent jeu dans l'ensemble qu'il serait impudent de dénigrer outre mesure. Mais j'entends déjà certaines langues fallacieuses clamer que la réédition l'année dernière du jeu culte de 1979, qui avait pourtant son semi-remorque de défauts, était lui beaucoup plus cohérent vis à vis des jeux de pouvoirs chers à la licence, et du monde globalement dingue de la licence. Mais est-ce que l'on peut vraiment les en blâmer ?