
Dune : Un jeu de conquête et de diplomatie est le jeu qui a peut-être généré à ma table d'habitués la partie la plus folle enregistrée ces derniers mois. Mais aussi la sensation la plus vivace que ce n'était pas un titre que l'on ressortirait de sitôt.

Pourtant, l'idée de départ était bonne : Remettre au goût du jour le mythique jeu Dune de 1979, trop long, trop empli de règles fastidieuses, trop mou à moins de 6 joueurs, pour en faire une boîte plus en adéquation avec les joueurs pressés et avides de dynamisme d'aujourd'hui, tout en profitant de la sortie du film de Denis Villeneuve pour tenter d'attirer un maximum de curieux.
Si vous avez déjà goûté à l'ancien, la composante conquête de ce nouveau cru reste sensiblement la même. Contrôler trois des cinq forteresses de la surface d'Arrakis avec vos troupes à la fin d'un tour reste la condition pour remporter instantanément la bataille. Si personne n'y parvient au bout de cinq tours, c'est l'addition des points de forteresse (cinq par base contrôlée) avec vos réserves d'épices (la monnaie du jeu) qui décidera de l'issue de la partie.

Pour cela, chaque joueur prend en main la destinée de l'une des grandes factions iconiques de la saga (Atréides, Harkonnen, Fremen et l'Imperium), aux ressources de départs asymétriques et dotées de capacités et points forts propres. L'essentiel du jeu va consister à faire atterrir et mouvoir ses troupes sur un grand plateau général représentant la surface de la planète sous la forme d'une carte circulaire, structurellement identique à son prédécesseur, tout en évitant une une grande tempête qui se déplace régulièrement et les apparitions des célèbres vers des sables qui ne sont jamais (à part pour les Fremen) une bonne nouvelle.
On retrouve quasi à l'identique le même découpage par phases d'un tour, à savoir le déplacement de la tempête, l'apparition aléatoire d'épices, la récupération de cartes combat et marché, la possibilité de réanimer des troupes, transférer et déplacer des escouades, résoudre les éventuels affrontements et récolter des épices (si vous possédez des troupes sur une zone en contenant).

Par contre, en plus de menus réglages ici et là pour supprimer beaucoup de la lourdeur et de l'ambiguïté "de l'ancêtre", Gale Force Nine a vraiment tranché dans le vif pour faire rentrer possiblement vos parties sous la barre des 60 minutes. Que ce soit le bon notable de zones d'épices sur la planète, la perte moins dommageable des troupes, la disparition de la phase d'enchères au profit d'un accès facilité et réguliers aux cartes donnant des avantages, tout a été fait pour simplifier la gestion quotidienne et donner encore plus la part belle aux combats, qui vont vous occuper le plus clair de votre temps de jeu.
La partie affrontement repose d'ailleurs toujours sur l'excellent système de roue de l'original, en demandant de choisir secrètement un nombre de troupes envoyés, et d'y glisser un jeton chef (qui augmente sa valeur d'attaque) ainsi qu'une carte d'attaque et de défense (optionnelles). Avant de comparer le niveau de puissance de chaque joueur pour connaître le vainqueur, on peut perdre le bénéfice de votre commandant des armées si votre carte défense n'est pas compatible avec la carte attaque de votre assaillant et vice-et versa (système pierre-feuille-ciseaux simple mais efficace). Et on peut aussi subir une défaite immédiate si par chance son adversaire a en son possession une carte traitre avec le faciès de votre chef dessus !

45 ans après, cette mécanique est toujours aussi fendard, et demande toujours de creuser mentalement dans l'esprit de son adversaire tout en essayant d'investir le strict minimum (car on perd forcément toutes les troupes engagées, que l'on gagne ou perde la bataille). Trop assurer et se retrouver avec un bataillon brisé par la victoire, ou être trop confiant et perdre un avantage territorial (bastion ou zone d'épices) décisif pour la suite de la partie, cette phase reste l'apanage des choix cornéliens et des retournements de situation qui font grandement le sel de ce Dune : Un jeu de conquête et de diplomatie.
Mais à trop simplifier un gameplay, on s'expose à perdre une richesse et des spécificités qui pouvaient rendre un titre marquant.

Et à ce compte, ce Dune 2021 perd (volontairement ou non) sa composante diplomatie dans l'effort. Les mécaniques n'intégrant plus aucune discussion et un titre n'offrant aucun crédit à entreprendre des actions communes, il n'y a plus que les alliances d'urgence (genre un joueur qui pourrait récupérer sa troisième forteresse dans le tour) qui donnent encore l'illusion d'un jeu de négociation. Et le souci dans l'histoire, c'est Dune : Un jeu de conquête et de diplomatie devient alors un jeu de contrôle de territoires hyper classique qui n'arrive plus à soutenir mécaniquement une si riche licence.
La tension inhérente aux choix durant les bataille reste toujours agréable, mais avec si peu de troupes possibles, si peu de déplacements autorisés, si peu de tours de jeu pour pouvoir bâtir une stratégie gratifiante, l'aspect épique que l'on pourrait attendre d'un conflit dans le monde de Dune reste souvent au stade du fantasme. On pourrait d'ailleurs presque sourire du fait que la grandeur et l'isolement parfaitement retranscrites par Denis Villeneuve n'a jamais été aussi bien retranscrite dans un jeu. Avec une planète bien trop grande, des éléments bien trop peu marquants, un urgence d'agir bien trop présente. Mais ici ce n'est malheureusement pas une qualité.

Et ce qui n'aide pas, c'est que le crédit donné aux cartes et à la traitrise rendent du coup le jeu beaucoup plus hasardeux, en donnant souvent un avantage prédominant au joueur ayant la main heureuse lors de ses tirages et confrontations directes.
Dune : Un jeu de conquête et de diplomatie reste un titre accessible, rapide pour le genre, fun pour son système de combat mythique. C'est de plus un jeu capable d'animer une tablée par ses rebondissements et peu exigeant en termes de prise de décisions, ce qui a le bon ton de maintenir une dynamique constante en partie (même si un enchaînement de combats où l'on ne prend pas part peut faire paraître le temps un peu long) à même de satisfaire un public qui ne veut pas trop s'employer.
Mais que vous cherchiez un jeu sous licence Dune ou un titre interactif où vous allez gaiement pouvoir vous mettre sur la tronche, je ne vois vraiment pas dans quelles circonstances je vous recommanderai en priorité ce Dune : Un jeu de conquête et de diplomatie. Il y a bien mieux ailleurs, surtout à ce prix un peu prohibitif pour le travail de (re)création et le matériel (propre mais pas dingue non plus) fournis.

