
Créer le Heroquest 3.0. C'est en résumé le défi fou que s'est lancé le tout jeune studio rouennais Arkada Studio avec son premier jeu auto-édité Erune.
Le challenge était loin d'être gagné d'avance, car les frenchies ont décidé tout simplement de mêler l'accessibilité d'un dungeon crawler à l'ancienne à une application désireuse de révolutionner l'expérience par ... la reconnaissance vocale. Un parti pris fort risqué, mais finalement réussi ?

Ce que je peux déjà dire avec certitude, c'est que la première partie du plan est cochée au feutre indélébile. Vous allez vous enfoncer dans des donjons sordides qui vont progressivement se révéler à vous, dézinguer du monstre par brouettes entières tout en récupérant un maximum d'artefacts et objets précieux. Et ceci avec votre petit archétype de héros fantasy (guerrier, magicien, archer, "nain" bricoleur), sa fiche personnage, quelques extensions (cartes, plateaux de sorts) en fonction de son profil et une petite fiche de gestion (inventaire / vie).
Comme tout bon jeu du genre qui se respecte, les dés vont contrôler beaucoup de choses dans votre destinée. On en lance pour les combats bien sûr, que ce soit pour attaquer ou vous défendre. Mais vous aurez aussi à jouer avec vos petits cubes quand vous voudrez rajouter des cases supplémentaires à votre déplacement de base, réussir certains de vos sorts, déclencher certaines aptitudes ou vérifier qu'un tir ne s'est pas perdu après une grosse prise de risque.

Si vous êtes déjà au fait du genre, vous n'aurez aucun mal à comprendre le fonctionnement d'Erune. Vous choisissez un scénario, chaque héros prend un perso et le paquetage correspondant, et vous êtes partis pour enchaîner les phases monstres (automatique ou avec un maître du jeu, au choix) et les phases joueurs jusqu'à ce que les gentils réussissent leur mission ou périssent dans d'attroces souffrances.
Au delà des composantes expérience / or qui auront surtout un impact si vous enchaînez les scénarios, un joueur a trois caractéristiques à gérer (vie, stamina et mana) et la possibilité de réaliser 2 actions de base à chaque tour, à choisir parmi se déplacer, combattre, détecter des pièges, fouiller et se reposer à un feu de camp.

Du grand classique, auquel on peut tout de même rajouter un système de talents spécifiques à chaque profil type qui permet de customiser un personnage sur le long terme, et quelques actions gratuites peu courantes comme utiliser une rune ou désamorcer un piège.
Mais pour la grande "révolution", faut jeter un œil à l'appli d'Erune. Et surtout lui parler.

Car tout ce que vous feriez manuellement avec une autre interface de jeu, il faut le faire ici en donnant des mots clés précis. Ouvrir une pièce et révéler son contenu, fouiller un point d'intérêt, détecter d'éventuels pièges ... tout ceci se rajoute à la scénarisation que la voix off ne manquera d'agrémenter à chacun de vos pas marquants.
Parler à son téléphone, c'est fun, c'est sûr. L'immersion gagne quelques points, c'est indéniable. Le fait que l'on puisse accéder à des explications de règles est un gros plus, c'est certain. Et la démonstration technique ne devrait pas manquer d'ébahir slash amuser les plus jeunes ou les moins habitués à la modernité ludique sur les premiers tours.

Mais malheureusement, sur le long terme, elle finit par nuire à la fluidité de la partie. Indiscutablement, la reconnaissance vocale a le mauvais ton d'alourdir inutilement l'expérience, en faisant perdre beaucoup de temps à dire et redire (l'appli est très pointilleuse) des choses simples que l'on pourrait déclencher avec de simples clics.
L'application n'est en plus pas très aidante par son style fil d'actu (qui nécessite des longs "scrolls" réguliers à la recherche d'une info oubliée) et surtout l'absence étonnante d'une résumé des phrases "disponibles" facilement accessible à ce moment de la partie.

Et là cela peut vite provoquer un drame. Vous aviez souvenir qu'il fallait dire "Le gardien ouvre la porte du couloir" pour la belle porte en face, et après 3 essais infructueux cela révèle une salle placée un peu plus loin dans le niveau, vous gâchant beaucoup de surprises autant que cela vous colle à vie l'étiquette de tricheur, même involontaire !
Ce n'est pas courant rassurez vous, mais quand cela vous arrive, vous êtes bien dégoûtés, je vous l'assure.
Et forcément, cela vous fait sortir peu à peu du jeu, surtout qu'à côté de cela, l'histoire contée est un peu basique, les combats sont un peu trop rudimentaires, et on ne peut pas dire que les règles sont toujours très précises et fluides au vue du "poids" du jeu.

Erune à tout de même de quoi trouver son public, car à côté de cela, le matériel "en jette" (surtout dans son édition légendaire incluant des meubles en 3D), l'intérieur de la boîte est très bien étudié (même si pas faciles de sortir les figurines), et chaque scénario bénéficie d'une intro et conclusion vidéo travaillée.
Il n'y a certes pas assez pour des fans hardcore du genre, mais le jeu a toutes les chances de faire passer un bon moment à une tablée qui veut explorer du donjon sans se prendre la tête avec de la tactique trop prononcée, tout en entendant la voix française de Morgan Freeman. C'est pas la classe ça non ?

