
Je le confesse : Photosynthesis fait partie de mes jeux abstraits préférés. Faire pousser des arbres, tout en jouant du déplacement du soleil autour du plateau pour optimiser la lumière que reçoit chacun de mes bébés vert et marron (oui on s'attache vite), est un concept qui est aussi jouissif qu'il donne ensuite une furieuse envie d'aller se rouler tout nu dans les fougères. Ne trainez d'ailleurs pas trop autour de chez moi, vous pouvez vraiment être choqués ...
Je ne sais en tout cas pas ce qui a motivé Hjalmar Hach, le génial auteur du jeu, mais il a décidé de réimplémenter la sève de son gameplay dans Evergreen, son tout nouveau jeu de scoring arboricole. Et il a vu les choses en grand.

Car dans Evergreen, on n'évolue plus ici au niveau d'une forêt, non, mais à l'échelle de "sa" planète. Chaque joueur possède en ce sens un plateau personnel montrant un astre divisé en 6 biomes différents, autour duquel tourne une piste de score individuelle tout autour, des pistes d'évolution finissant le décorum. Selon l'ordre de jeu prédéfini au départ, les joueurs commencent avec une avance différente au scoring, mais doivent débuter avec la même position du jeton soleil, placé à un des quatre encarts points cardinaux de son plateau.
Une partie se déroule en 14 tours répartis en 4 saisons, pour 4 décomptes intermédiaires où vous allez scorer des points avec chaque Arbre et Arbuste touchés par la lumière et grâce à la taille de votre forêt principale (incluant les arbustes).

Vous obtiendrez aussi en fin de partie des points avec vos pions Arbres en fonction du multiplicateur de fertilité de chaque Biome. Ce tableau de valeurs est préconstruit avec un tirage de cartes juste avant le premier tour de jeu, est est enrichi au fur et à mesure de la partie avec toutes les cartes mises de côté par les joueurs.
Si chaque saison propose un nombre de tours variable (rappelé en bas à gauche de chaque plateau personnel), chaque tour débute par la mise en place d'un marché commun d'autant de cartes que de joueurs plus une. Dans le sens horaire, et en partant du possesseur du jeton feuille, chaque joueur est invité à prendre une carte de ce marché.

Chaque carte affiche un paysage qui indique dans quel Biome de son plateau le joueur va pouvoir déclencher l'une des 3 actions principales du jeu, qui sont de planter jusqu'à trois Pousses, appliquer jusqu'à deux effets de Croissance ou réaliser la combinaison de 1 Pousse et 1 Croissance. Une quatrième action permet de planter 1 Pousse ou 1 Croissance, mais dans un Biome différent.
Chaque carte propose aussi l'un des six symboles qui correspondent aux pistes de votre plateau de jeu. C'est une action bonus que vous allez pouvoir réaliser avant ou après l'action principale, et que vous déclencherez à la hauteur du numéro indiqué sur la piste après l'avoir fait progressée d'un cran.
On y retrouve un peu les mêmes effets, comme l'action Croissance pour des étapes précises (passer de Pousse à Arbuste ou de Arbuste à Arbre). Ces pistes intègrent aussi de nouveaux effets comme Planter un Buisson ou Placer un Lac, qui déclenche une effet Croissance sur 2 espaces différents placés orthogonalement au pion.

Et quelle fraîcheur mes aïeux ! Evergreen s'avère être un véritable bonbon sucré, un nuage de douceur dans un monde de gobelins et de vaisseaux spatiaux (en tout cas dans ma ludothèque).
On est ici sur un petit jeu de stratégie élégant qui déborde de qualités, tout en trouvant un équilibre agréable entre un minimalisme affirmé et une vraie profondeur de réflexion.
Il y a déjà cette mécanique de placement ultra grisante, qui prend sa force dans du draft classique mais bien suffisant pour faire préchauffer les neurones. Et qui vient se conjuguer à un jeu de projection d'ombres (pour les calculs intermédiaires), demandant de vrais talents d'anticipation et d'optimisation de l'espace pour ne pas rapidement passer de la satisfaction explicite à la désillusion difficile à contenir.

Ce rajoute à cela la stratégie long terme imposée par la zone de fertilité. Comme la majorité des cartes laissées en fin de tour peuvent augmenter ou diminuer la valeur d'un Biome, de vrais choix sont déjà à faire régulièrement sur quoi abandonner, tout en surveillant très attentivement l'évolution générale et les plateaux voisins pour ne pas subir de mauvaises surprises au décompte final.
L'interaction n'est certes pas la qualité première d'Evergreen, mais tout ce qui entoure la partie Fertilité, ainsi que la draft, demande suffisamment de s'intéresser aux autres joueurs pour que l'on ne se sente pas seul face à son destin divin.
On ne peut en tout cas pas parler des qualités d'Evergreen sans parler de son apparat. Un dessin crayonné du plus bel effet, des petits meeples tous sublimes que l'on vient insérer dans des plateaux double couche aussi géniaux qu'indispensables (je n'ose même pas imaginer le jeu sans...), Evergreen tient juste du travail d'orfèvre, et ce soin apporté au plaisir des yeux et des doigts ne fait que décupler l'extase que l'on a à effectuer ses premières parties.

Car c'est là le seul défaut du jeu (et pas des moindres) : Sa personnalisation vraiment limitée. Très peu de types de pièces et d'effets de cartes différents, aucune possibilité de modifier les contraintes de scoring, des plateaux à la disposition gravée dans le marbre ... la boîte n'intègre pas grand chose pour renouveler sensiblement l'expérience de jeu.
Est-ce que le manque d'envie d'y revenir peut très rapidement pointer le bout de sa branche ? Possible, surtout une fois que l'on comprend un peu ce qui fonctionne ou pas pour faire une planète qui "score".
N'empêche qu'Evergreen reste un sacré bon jeu. Bien conçu, avec des mécaniques très agréables et surtout magnifique, il offre un plaisir de la découverte (et de le faire découvrir) juste incroyable. Ce qui aurait carrément pu faire exploser les compteurs sur le site si le titre avait su prolonger l'effet waouhhh au delà des premières années "toujours vertes" ... pour un troisième volet ?


