En temps normal, quand on évoque le terme wargame, on pense irrémédiablement à des plateaux chargés, des affrontements entre des dizaines d'unités, un investissement en temps aussi conséquent cérébralement qu'en temps, et des règles pointues cherchant à s'approcher au plus près du réalisme de la guerre ... Fighters of The Pacific, un projet initialement sorti via Kickstarter début 2022, est arrivé avec son format plus condensé dans le but d'offrir au plus grand nombre les sensations des affrontements militaires sur table, et ce sans sacrifier une certaine exigence du terrain.
Et du côté de l'accessibilité, on peut dire que Fighters of The Pacific coche déjà toutes les cases annoncées. La boîte recense un matériel contenu composé de huit grandes tuiles terrain, trois types d'avions par camp, quelques véhicules marins des mini plateaux d'aide et de suivi. Il y a bien un gros sachet de tokens en plus, mais l'essentiel est commun et plutôt évident à comprendre, comme les jetons de notification de dégâts, les canons DCA, les projectiles et différents marqueurs d'objectifs et d'activation.
Une partie débute toujours par le choix de l'un des 10 scénarios du livret du même nom. Chaque double page propose une immersion historique, demande un montage spécifique des tuiles, et donne à chaque joueur un certain nombre d'unités, leur placement initial ainsi qu'un ordre de mission complet (avec leurs moyens de scorer). Le livret donne en sus des indications sur la configuration du plateau compte tours, qui impose selon les scénarios des parties plus ou moins longues et l'apparition (ou non) de renforts à des points clés donnés.
L'initiative est la clé de voute d'un tour de jeu de Fighters of The Pacific. Elle est donnée avant chaque phase d'activation au joueur ayant le moins de points de handicap à ce moment là, qui correspond au nombre de groupe d'avions en haute et en basse altitude (ces derniers valant doubles), plus un point par avion endommagé encore en jeu. Si la logique de base impose aux joueurs d'activer chacun à leur tour un groupe d'avion ou une batterie antiaérienne (DCA), le joueur possédant l'initiative peut passer autant de fois qu'il le souhaite la main à son adversaire.
Côtés mécaniques de jeu, elles suivent une logique immuable. Activer un groupe d'avions, c'est effectuer unité par unité les points de manœuvre (PM) correspondant à la vitesse du modèle de véhicule joué. Chaque aéronef dispose d'une réserve de 2 ou 3 points qu'il doit effectuer complètement en choisissant dans le panel des mouvements autorisés comme Avancer, Glisser ou Virer (1 PM chacun).
Il faut savoir que tous les avions possèdent deux faces distinctes (fond bleu et fond blanc) qui symbolisent les deux altitudes possibles du jeu, et les mouvements Monter (2 PM) et Piquer (1 PM) nécessitent donc de retourner l'unité sur la bonne face afin de bien signifier la manœuvre réalisée.
Quelque soit sa trajectoire, un avion ne peut déclencher un tir qu'une fois l'intégralité de ses PM consommés. Si au moins une cible est à distance de sa Zone de Tir et respectent les contraintes d'altitude et d'arme (on ne peut par exemple faire des dégâts à un porte-avions qu'avec des bombes ou torpilles), celle-ci doit jouer un PM d'Esquive s'il n'a pas encore été activé. Dans tous les cas, un avion qui survit à une attaque peut immédiatement riposter sur son assaillant si celui-ci se trouve dans sa Zone de Tir.
Un tour prend fin quand tous les groupes d'avions (et unités spéciales selon le scénario) ont été activés. Chaque joueur met alors de côté tous les marqueurs d'activation placés à côté de ses véhicules et le compte-tour est avancé d'un cran. Si on atteint le cadran orangé, c'est la fin du jeu, et il suffit de calculer ses points en fonction des règles inscrites sur la page scénario. Sinon, on déclenche des renforts si jeton spécial et effectue un nouveau calcul d'initiative avant d'attaquer la phase d'actions suivantes.
Une partie peut bien sûr prendre fin avant son terme "officiel" si le joueur répond totalement à sa mission, comme anéantir tous les avions ennemis, évacuer son dernier avion encore sur pied... ce qui n'empêche pas le recalcul des points, car une guerre peut se gagner même si on pense que tout est perdu !
Alors, c'est sûr, on pourrait trouver à redire sur quelques petits soucis ergonomiques. Si le gameplay est plutôt évident, il manque quand même des précisions dans le livret, dont des exemples concrets pour venir ôter définitivement des doutes sur certains cas particuliers.
Il y a aussi une représentation visuelle de certains avions tellement proche (avec par exemple juste une histoire d'échelle pour deux unités japonaises) qu'elle peut occasionner une vraie gêne à la mise en place, autant que de grosses erreurs d'appréciation en jeu. Et je peux aussi dire que je ne suis pas entièrement convaincu par ce système de dégât, qui se montre aussi graphique que peu pratique sur des zones chargées.
Mais si on met ces détails de côté, on touche totalement au but selon moi.
Déjà par ce que Fighters of The Pacific trouve le parfait équilibre dans son gameplay. Mises bout à bout, les règles tiennent pourtant sur un post-it, et tout ce qui concerne le fonctionnement de chaque avion (le plus sujet à erreurs) a été intelligemment placé sur des petites fiches d'aides cartonnées. Mais bien aidé par une mécanique d'initiative aussi maline que stratégique, on a ici une logique de jeu aussi facile d'accès pour le tout venant que suffisamment profond pour permettre le développement de tactiques de combat expertes.
Par contre, si vous cherchez le frisson du retournement de situation par le hasard, ce n'est pas ici que vous le trouverez ! Fighters of The Pacific est totalement déterministe : Pas de dés, pas de tirage ici, 100% de vos décisions décideront de l'issu de votre affrontement. Ce que l'on perd avec la folie, l'imprévu et les rires du hasard, vous le gagnerez ici dans la satisfaction d'avoir été le meilleur planificateur, d'avoir mieux anticipé que votre adversaire, d'avoir été un vrai Général pour votre armée.
Et ce qui ne gâche rien, c'est l'immersion au top. Rien que visuellement, si on a beau n'être essentiellement que sur du carton, le style retro slash bande dessiné guerrier, mélangé à quelques photos d'époque, donne au jeu une super tronche sur une table. Et que dire de la cover de la boîte, juste parfaitement dans le ton !
On pourra peut-être juste être déçu par des plateaux qui affichent si peu de détails (deux trois îles et nuages qui surnagent dans une mer de bleu infinie ...). Mais d'un côté, quand on essaie de retranscrire les batailles de 42 en plein océan, les choix ici sont plutôt pertinents vis-à-vis de la réalité.
Mais ce qui m'impressionne le plus, c'est le sens du détail qui transpire à plein de niveaux. J'avoue de vraies lacunes sur cette page de l'Histoire contemporaine (faut dire qu'en Europe on nous parlait surtout de notre continent, déjà bien animé...). Et grâce au jeu j'ai vraiment pu prendre conscience des différences de philosophie de combat, de machinerie entre les deux armées américaines et japonaises, qui sont habilement retranscrites ici juste avec quelques valeurs et capacités spéciales !
Et je finirai par parler de la rejouabilité, trois étoiles. Si les premiers scénarios vous initient au système avec seulement quelques avions à manœuvrer, vous allez vite devoir apprendre à gérer des porte-avions, des destroyers, des canons DCA, ... le tout en essayant de lancer des torpilles sur des cibles précises, pour finir par devoir gérer des situations folles qui ajoutent des petites règles supplémentaires qui m'ont l'air savoureuses.
Car oui, j'ai du me spoiler pour vous donner ces informations, preuve que je suis hyper pro (où juste trop sympa). Mais n'empêche que si on se croise sur un plateau de Fighters of The Pacific, je ne vous ferai aucun cadeau !