
On a tous dans notre ludothèque des jeux qu'on se languit de sortir depuis des mois, mais qui reste emmurés dans la Kallax à cause de leur longueur, de leur complexité apparente, ou de leurs particularités qui les cantonnent à un certain type de joueur.
J'avais ce souci avec Forbidden Stars jusqu'à ce que, hallelujah mes frères et demi sœurs par alliance, les étoiles (interdites) s'alignent enfin ce mois-ci et que je puisse enfin tester mon joli joujou.

Et vous n'allez pas sortir le jeu avec tata Hortense et son dernier petit fils Barnabé, et pour cause : Forbidden Stars est un jeu d'affrontement spatial pour 2 à 4 joueurs prenant place dans l'univers de Warhammer 40K. Un nouvel amas nommé Hérakon a été découvert aux confins de l'univers, et même si elle est en proie à de dangereuses tempêtes cosmiques, quatre factions (les Ultra marines, leurs pendants diaboliques les Spaces Marines du Chaos, les Orks et les Eldars) ont décidés de se mettre sur la tronche pour arguer le contrôle de la zone.
Le jeu met l'accent sur l'offensive et l'aspect conquête, en vous demandant d'aller récupérer des jetons de votre faction disséminés un peu partout sur le terrain de jeu (constitués de tuiles secteurs modulables de quatre "cases" chacune). Récupérez en autant qu'il y a de joueurs à table et vous remportez immédiatement la partie. Sinon le huitième tour de jeu sifflera la fin des hostilités, et donnera la victoire au joueur le plus avancé dans sa progression, que ce soit en terme de jetons ou en planètes conquises.

Comme souvent avec FFG, on a le droit à une boîte bien grosse, bien lourde et bien pleine. De la centaine de figurines (unités, bâtiments communs) aux cartes et tuiles superbement bien illustrées, il n'y a vraiment aucun mal à se sentir immergé dans ce 41ème millénaire en guerre. Forbidden Stars est sublime une fois en place, et on a qu'une hâte, c'est de prendre le contrôle d'une des races asymétriques, chacune possédant sa capacité spéciale, ses forces, ses faiblesses et surtout ses propres designs de troupes.
Petite mention aux Orks affublés d'un language sommaire qui montre que beaucoup de neurones ne se touchent plus à force de se prendre des gifles. Cela ne sert absolument à rien en jeu, mais cela démontre encore une fois le souci du détail d'un éditeur qui aime toujours jouer la carte du thème à fond.

Si le jeu fait bien sûr la part belle aux combats, l'aspect tactique est extrêmement prononcé, que ce soit par le développement des capacités de sa faction (via l'achat de cartes ordre ou combat) ou la gestion de son territoire. Contrôler un maximum de planètes est d'ailleurs une étape incontournable, car elles vous permettent tout au long de la partie d'extraire des ressources et des avantages pour développer votre armée et récupérer du matériel (la monnaie du jeu) à la fin de chaque tour de jeu.
Qui dit développement dit bâtiment, et Forbidden Stars offre plusieurs possibilités, des bastions défensifs aux cités pour gagner de la prestance et pouvoir acheter des unités plus puissantes, aux usines permettant de construire au plus proche de ses zones d'actions.

En plus d'être riche, Forbidden Stars fourmille d'un tas de bonnes idées. Et il y a nulle doute que la meilleure provient de son système d'ordres, qui fonctionne en deux temps.
Au début de chaque tour, chaque joueur doit placer quatre jetons directives secrètes face cachée sur des tuiles du plateau. Si une tuile est déjà occupée, le jeton est placé par dessus l'existante, formant une pile. Il n'y a aucune limite au nombre de jetons que l'on peut placer (au delà du nombre disponible de base par joueur), la seule contrainte a respecter est d'être présent physiquement sur une des cases de la tuile (espace ou planète), soit d'être à portée sur une tuile adjacente.
Une fois cette étape faite, chaque joueur doit, à tour de rôle, dévoiler l'un de ses jetons, en ayant pour obligation d'en sélectionner un (à lui) qui est au sommet de sa pile. Et c'est peut-être la meilleure représentation de ce que peut être une mécanique de programmation dans un jeu. Bluff, jeu de pouvoirs, anticipation et stratégies avancées, ce système est grisant et permet surtout toutes les folies. Le plus drôle, c'est qu'elle entraîne aussi son lot de ratages savoureux, du jeton inutile après le déroulée des trois jetons adverses placés au dessus, au joueur qui doit patienter trois rondes avant de pouvoir jouer. Absolument jubilatoire, même si l'analysis paralysis guette souvent au coin de l'astéroïde, et participe nettement à la longueur des (d)ébats.

Le système de combat, subtile mélange de hasard des dés et de deckbuilding, est quand à lui aussi savoureux. Les deux joueurs commencent par lancer autant de dés qu'ils totalisent de puissance d'attaque avec leurs unités impliquées, et pioche ensuite cinq cartes de son paquet personnel. Jusqu'à trois fois, chaque joueur va choisir une de ses cartes et la dévoiler simultanément. Chaque carte peut afficher des symboles qui s'ajoutent à ceux de ses dés, et permet souvent de lancer des capacités spéciales. Gagner un dé supplémentaire ou des boucliers, obliger la relance de tous les dés offensifs chez son adversaire, ... chaque faction a "son style" , chaque carte peut surprendre et a la possibilité de faire basculer l'issue du combat.
J'ai vraiment eu un gros coup de cœur pour ce système d'affrontement, à la fois tactique, dynamique et qui offre son lot de retournements, même quand le combat paraît déséquilibré de prime abord.
Reste que forcément, quand seuls deux joueurs sont impliqués, l'attente pour les autres peut paraître longue (c'est la critique qui revient souvent concernant Forbidden Stars). Pour ma part je n'ai étonnamment pas été choqué par ce point, et j'avoue avoir même pris un certain plaisir à suivre, en mode beauf devant son film d'action du dimanche, les chamailleries de mes "copaings de tablée". Pour moi, le drame n'était pas là.
Car oui, dans ce plaisir intense que fut cette expérience, un mal sournois guettait tapis dans l'ombre, et n'attendait que de nous surprendre pour briser définitivement notre excitation à mi-parcours, j'ai nommé : la limite d'unités par case.

Pour vous la faire courte, il ne peut pas y avoir dans Forbidden Stars plus d'unités sur une planète que de symboles têtes de mort dessinés dessus (maximum 4), ou plus de trois vaisseaux dans un vide spatial. On passera le côté épique de la chose, même si je partais avec un apriori positif, ayant goûté à la fastidiosité des gigantesques combats de fin de parties de jeux comme Eclipse ou Star Wars Rebellion (je vais me faire plein d'amis je le sens ...). Mais le pire, c'est qu'en plus de rendre l'offensive difficile quand une zone est déjà bien occupée, nous avons rencontré le cas où un secteur ne pouvait plus être traversé ou attaqué parce que la limite de toutes les cases était atteinte !
J'entends déjà les professionnels du jeu retorquer qu'il faut justement anticiper le sur-armement défensif, en la jouant plus fine ou en progressant plus vite. Et en parcourant le web, il semblerait qu'il y ait spécialité à plier une partie en trois tours en la jouant attaque éclair (pas Pikachu, plutôt débarquement en jouant de sa chance à éviter les coups du sort). Mais c'est quand même ballot de subir trois derniers tours à se regarder dans le blanc des yeux car nos derniers objectifs sont bloqués. Et casser une hype de "newb" qui se prenait vraiment pour le roi de son empire stellaire de trois cailloux.

Reste que malgré ce gros écueil,Forbidden Stars est une réussite de thématisation, et une merveille de mécaniques d'affrontement. Je ne ne comprends toujours pas pourquoi ce modèle d'ordres cachés est encore si peu répandu, alors que généralement les bonnes idées sont pillées dès qu'elles montrent le moindre bout de succès...
Malheureusement, FFG ayant perdu les droits de gérer la licence depuis quelques années, Forbidden Stars ne connaîtra jamais d'extensions ou de quelconque V2 lui permettant de s'asseoir sans contestation sur le trône du meilleur jeu de tatanes spatiales. J'ai cependant cru lire quelque part que l'auteur plancherait depuis quelques temps sur un jeu re-thematisé dans un tout autre genre et qui reprendrait tout le bon (et il y en a !) de son poulain. Et j'avoue que cette idée me fait frétiller comme un Eldar !


