Edit : Critique un peu retouchée, suite à une partie récente à beaucoup où quelques défauts sont remontés...
Super Meeple est un éditeur que je suis avec beaucoup d'attention en ce moment. Après de très grosses sorties l'année dernière (Maracaïbo, Glen more II : Chronicles), les parisiens enchaînent ces derniers mois les jeux intermédiaires de qualité, passant avec réussite du jeu enfant (New York Zoo) au plus abstrait (Gorinto).
Genesia, le premier jeu édité d'Eric Labouze (un ancien chercheur reconverti dans la création de jeu, il fallait oser), reprend beaucoup d'ingrédients des jeux de civilisation "légers" (à la 7 Wonders, Hadara). Le jeu se joue en trois Âges distincts, chacun lié à un paquet de cartes différent. La victoire se décide aux points, qui peuvent se récupérer via plusieurs leviers. Et chaque tour de jeu débute par une phase de draft, où chaque joueur commence avec six cartes et va débuter l'Âge finalement avec cinq (la dernière étant écartée définitivement).
Mais Genesia ajoute aussi un plateau modulaire suivant le nombre de joueurs à table. Et cela change énormément de choses dans la façon d'appréhender le jeu.
Une histoire de territoires
La partie placement fait le cœur du "game", et s'avère être le meilleur pourfendeur de points dans votre lutte pour la victoire finale. Chaque joueur débute devant un plaque vierge possédant une terre natale à sa couleur, et va pouvoir conquérir des terres de plus en plus éloignées jusqu'à Genesia, la zone centrale commune, qui propose les terrains les plus gratifiantes et forcément les plus disputées.
Chaque joueur dispose dans sa réserve de départ de deux sortes de "figurines" : Des jetons clans (ronds), qui correspondent à des groupes d'hommes et qui peuvent être empilés à l'infini sur une même terre. Et des jetons villes (rectangulaires), qui peuvent être créées gratuitement en fin d'Âge sur toute terre qui contient au moins deux clans de votre couleur.
L'interactivité est l'un des gros points forts de Genesia. Car si la conquête peut se faire de façon pacifiste (premier arrivé, premier servi), elle peut aussi se faire en initiant des combats, afin de ravir des terres adjacentes adverses à nos troupes.
Le fonctionnement des affrontements est d'ailleurs simpliste : L'attaquant doit être au moins égal en nombre à son adversaire pour initier une rixe, et décide alors du nombre de troupes perdues de chaque côté. Et si d'aventure il ne reste au défenseur qu'une ville, l'attaquant peut alors l'échanger avec une cité de sa couleur moyennant de se défausser d'un jeton clan supplémentaire.
Les combats ne se font par contre qu'en fin de tour, suivant un système "rigolo" de jeton Guerre et Paix : Tous les joueurs sont invités, en simultané, à révéler leur face préférentielle, offrant à tous ceux qui ont choisi la guerre d'effectuer un seul combat. Le processus se répète autant de fois qu'un joueur décide d'en venir aux armes, la paix totale signifiant (enfin) le passage à un décompte intermédiaire de points et un passage au prochain acte.
Avant cela, il faut quand même jouer nos cartes. Et deux phases s'enchaînent, où chaque joueur vont tour à tour (dans l'ordre défini en début de manche) pouvoir jouer des cartes croissance (vertes), pour faire apparaître des troupes, et des cartes expansion (rouge), pour les déplacer. Avec la possibilité, à tout moment, de dépenser 2 pièces d'or pour ajouter un clan sur l'emplacement d'une ville qu'il possède.
Les paquets de cartes aussi dans le jeu des cartes attaque / défense (noires), qui ne peuvent être invoquées que lors d'un affrontement, et des cartes fin d'Âge (jaunes), qui ne se déclenchent, elles, qu'à la fin d'une ère.
Du combat sinon rien
Si Genesia offre un côté conquête très prononcé, la partie développement de civilisation "pure" est par contre beaucoup moins présente. Vous ne trouverez dans le jeu ni gestion de ressources, ni pistes d'évolution, ni arbres de technologie. Le jeu intègre pourtant un semblant de progression via quelques cartes qui procurent des avantages, mais elles ne restent que le temps d'un Âge, et ne permettent pas de faire évoluer des caractéristiques (science, culture, etc...) de sa "tribu" sur le long terme.
L'argent est finalement la seule variable d'ajustement du jeu. Mais là aussi, si les pépètes restent une denrée rare et obligent bien à sous-peser toutes ses dépenses (la majorité des cartes ont un coût de déclenchement), les joueurs profitent d'une rentrée automatique entre chaque Âge (15 pièces). Et peuvent à tout moment revendre des cartes pour quatre pièces chacune, permettant de pouvoir se concentrer plus sereinement sur la guerre de territoires.
Ce sont des choix qui forcément, ne plairont pas aux gestionnaires dans l'âme, avides de remplir leurs entrepôts de tonnes de ressources, contrôler le cours du foin, créer des combos de dingue qui dure 10 minutes ou développer en cachette l'arme à fission. Et cela explique en grande partie les avis tranchés au sujet de Genesia. Soit on accroche au concept, soit on a les poils qui se hérissent, et il n'y aura véritablement qu'une partie de test pour vous permettre de vous faire votre avis.
Pour ma part, je trouve ce parti pris très intéressant, surtout qu'à part Inis, Kemet, Blood Rage (en plus touffu) ou notre maître à tous, Risk (joke, vous pas envoyer colis piégé svp...), il n'y avait pas beaucoup de jeux de développement orientés "affrontement". Le jeu est toutefois très différent selon la tablée : À deux ou trois, les parties sont fluides, dynamiques, tout en se montrant très tactiques (on peut facilement anticiper ce que vont faire vos adversaires). À quatre ou cinq, le jeu s'avère en revanche beaucoup plus lent et réflectif, avec souvent un troisième Âge ultra dense stratégiquement (=long), avec pour conclusion une phase d'affrontements qui peut tourner au pugilat mondial. Ou à l'attentisme le plus total, dans l'espoir que le décompte des points leur sera favorable.
Deux salles deux ambiances comme on dirait au night club, mais qui laissera sur le carreau ceux qui n'aiment pas voir leur heure de développement détruit en quelques secondes, ou qui ne comprennent pas qu'on ne puisse pas envahir une ville vide hors combat (j'ai eu le cas, je préfère en parler).
Une immersion qui fait débat
Si j'avoue prendre beaucoup de plaisir avec Genesia, je trouve quand même dommage que le curseur évolutif n'ait pas été un peu plus poussé un poil plus haut. L'idée de jouer avec trois périodes historiques aussi espacées (la préhistoire, le Moyen-Âge et le futur) est une super idée à la base, mais le changement d'ère ne se voit ni visuellement (avec des vraies différences d'illustrations par exemple), ni dans l'absence un peu dommageable d'un système de progression de ses troupes ou villes, même léger.
L'immersion en pâtit, et le jeu n'est en plus vraiment aidé par des cartes un peu fades, par des plateaux pas très beaux et qui manquent de variance et de "réalisme". J'aurai vraiment adoré des zones de départ asymétriques, quelques cases montagnes ou marécages plus complexes à conquérir, ou disponibles seulement avec certaines cartes. Quand on met tout bout à bout Genesia passerait presque pour un jeu abstrait déguisé à force ...
Je finirai par causer de ces jetons troupes et villes en "plastique moche" beaucoup plus ergonomiques que charismatiques.
Tous ces défauts n'entravent bien sûr en rien le plaisir que l'on peut prendre à jouer (si vous accrochez à son positionnement), car il reste une pièce intéressante à sortir avec des joueurs plus occasionnels ou "bourrins". Mais des fois, ce sont l'ajout des petits riens qui font des touts que l'on peut beaucoup moins discréditer. Et il aurait eu certainement meilleure presse.