La Fédération des Chemins de la Guerre de Cent Ans, cela vous parle ? C'est pourtant une jolie association qui se bat depuis 2011 pour la conservation et la valorisation d'une trentaine de sites médiévaux situés entre le sud du Berry et le nord du Limousin, entre l’est du Poitou et l’ouest du Bourbonnais. Un espace frontalier entre le Royaume de France et l’Aquitaine anglaise historiquement dense qui a connu d'âpres combats durant le XIVème siècle.
Et si Guyenne est longtemps été un cri de guerre féodal utilisé durant cette guerre historique, c'est désormais le nom d'un jeu d'affrontement avec des cartes qui a, à terme, vocation à promouvoir ces lieux touristiques. Un projet avec un but légitime, un engagement plus que respectable, en plus d'être la belle histoire de fans de jeux de société essayant d'allier leur passion à leurs convictions. Mais suffisant pour en faire un jeu qui compte dans le paysage ludique ?
C'était pas ma guerre
Ce qui est certain, c'est que Guyenne est un jeu très accessible qui met aux prises deux joueurs pour la conquête de cartes châteaux, situés en ligne entre les deux rivaux. Si un joueur arrive à récupérer le bénéfice des six forteresses avant qu'une pioche personnelle est vide une deuxième fois, il l'emporte instantanément. Sinon, un décompte de points est fait en prenant en compte les châteaux conquis, plus les cartes encore disponibles en main et dans son propre deck de cartes.
Et la dépense de ses cartes troupes est un enjeu plus crucial qu'il n'y paraît dans Guyenne. Chaque joueur débute en effet son combat avec une pioche de 20 cartes allant de 2 à 5 à l'effigie de son camp plus un héros (français ou anglais), et doit gérer continuellement l'envoi de ses troupes sur le champ de bataille même s'il remet sa main à niveau (5 cartes) à chaque début d'un tour.
Un tour, justement, se compose de deux phases. Lors de la première, la phase de déploiement, chaque joueur doit placer tour à tour autant de cartes face cachée qu'il le désire devant l'un des châteaux de la ligne de front. Si le château est neutre ou appartient à son ennemi, il est considéré comme attaquant, et doit placer ses cartes dans le prolongement de la carte château (sens "portrait"). Sinon on considère que le joueur tente de défendre son château, et il doit alors "engager" ses cartes, dans le sens "paysage".
Quelque soit le statut du joueur qui vient d'agir, son adversaire doit répondre immédiatement en mettant des cartes face cachée en face du même château, en suivant les mêmes règles de pose pour déterminer s'il est attaquant ou défenseur du lieu.
Une fois que deux châteaux se voient contestés, vient la phase de résolution de combats. Pour chaque château attaqué ce tour ci, l’attaquant retourne la ou les cartes qu’il a jouée(s). Le défenseur a lui le choix de révéler la valeur de ses cartes ou d'abandonner le combat en les défaussant directement. Celui qui réussit à obtenir la plus grande valeur ou joue son héros gagne le bénéfice de la propriété s'il ne l'avait pas déjà (en tournant la carte du château pour avoir la flèche pointant vers son camp), tout en écartant définitivement du jeu sa carte la plus forte s'il était attaquant et venait de conquérir un château dirigé par l'autre joueur.
On défausse ensuite toutes les cartes suivantes, la tuile premier joueur change de sens, et on repart sur un nouveau tour jusqu'à arriver à l'une des deux conditions de fin de parties vues plus haut.
La Guyenne, ça vous gagne ?
Si Guyenne est un jeu à la mécanique de base aussi simplissime à comprendre qu'à mettre en œuvre, elle n'est pas dénuée d'intérêt tactique. Dans ce jeu, il va falloir autant compter sur sa capacité à garder le compte des forces vives de son deck (les matheux apprécieront) que de tenter de lire en toutes circonstances le jeu de son adversaire, bien décidé à ravir au plus vite les 6 châteaux avant vous.
Et vu l'objectif final, Guyenne est un jeu où la qualité du bluff et de la désinformation visuelle font souvent la différence entre le vainqueur et le vaincu.
Jouer votre héros dans un lot de 3 cartes de faible niveau ou remporter une place forte avec un maximum de petites cartes sont quelques exemples de ces coups de maître qu'il va falloir bien négocier durant la partie, surtout quand on voit fondre au fur et à mesure son deck comme neige sur un champ de bataille piétinés par des chevaux en furie.
Savoir ne pas trop "dépenser" ses cartes fait partie d'un apprentissage de longue haleine, souvent traître lors de premières joutes qui n'arrivent pas à une victoire franche. Mais clairement, cette montée en compétence se montre gratifiante quand, au fur et à mesure de parties courtes et incisives, on commence à prendre la mesure d'un adversaire en sachant doser parfaitement ses coups, même devant un château ultra stratégique.
Reste que si le plaisir ludique de Guyenne est là (autant mon fils de 11 ans qu'un pote ont pris plaisir à s'y essayer avec moi), je pense que Guyenne aurait du mal à s'imposer en boutiques face à des jeux d'affrontement similaires qui ont pour eux des illustrations plus vendeuses, des livrets de règles plus visuels et une variabilité davantage affirmée favorisant leur rejouabilité.
Passé l'aspect hasardeux du tirage (logique au vu du type de jeu), on pourra regretter l'absence de petits leviers mécaniques optionnels (des capacités uniques activables sur chaque château, des cartes avec des "pouvoirs" ...) qui permettraient de renouveler l'expérience après plusieurs parties de chauffe.
Par contre, ce qui est sûr, c'est que l'on ne peut reprocher ni à Guyenne sa qualité de fabrication (les cartes sont d'excellente facture), ni à ses deux auteurs l'amour qu'ils portent à leur jeu et à cette région autochtone reculée du monde (quand on est Alsacien, tout ce qui est en dehors de sa région est hostile ... :p). Au delà du background historique disséminé au dos des cartes châteaux, Laurent et Jean-Baptiste Journaux mettent tout en œuvre sur les "internets" pour prêcher la bonne parole autour de La Fédération des Chemins de la Guerre de Cent Ans, et faciliter l'accès à leur jeu, via moult vidéos et règles illustrées.
Alors c'est sûr, un joueur qui ne cherche qu'à acquérir le meilleur jeu d'affrontement 1 vs 1 ne se tournera pas forcément vers Guyenne. Mais il y a des projets qui méritent d'être mis sur le devant de la scène, des auteurs qui méritent d'être soutenus, pour le cœur qui les anime, pour leur passion qui donne envie de les suivre. Et surtout pour cet amour de la France et cette fraternité qui se perdent malheureusement beaucoup trop en ce moment, que ce soit à tous les étages de la fusée Bleu - Blanc - Rouge, ou dans tous les recoins de nos rues.
[Complément d'infos ]
N'hésitez pas à visiter le site officiel pour connaître les points de vente du jeu, télécharger les règles au format PDF ou jeter un œil à la présentation vidéo de Guyenne !
Et pour les auteurs en herbe, un post recensant des vidéos très intéressantes sur l'évolution du jeu Guyenne, du prototype au jeu final !