
Uwe. En temps normal, si vous n'avez pas de la famille germanique ou scandinave, il y a peu de chance que vous ayez déjà entendu ce prénom d'origine inconnu (c'est pas moi qui le dit, c'est le net). Mais pour nous les joueurs experts, c'est différent : on pense tout de suite au maître des jeux agricoles, grâce auquel on se délecte depuis des années de développer une ferme, faire pousser et moissonner des champs, tout en élevant divers animaux que l'on va ensuite gaiement transformer en nutriments à vendre sur les marchés locaux.

Hallertau est le jeu censé clore avec panache le chapitre "boudiou, tomates cerises et tracteur Massey Ferguson 8S.265 (avec option jantes chromées)" du maestro allemand. Après au moins 5 jeux sur le thème, cela peut se comprendre.
Et si vous êtes connaisseur de son œuvre, vous allez retrouver dans Hallertau une grosse partie de ses gimmicks ludiques. Du placement d'ouvriers pour sélectionner vos actions, du plateau individuel pour gérer sa parcelle, des ressources diverses à "créer" et utiliser pour développer votre économie, des cartes pour faire évoluer et surtout spécialiser votre activité ... un bon jeu de gestion marron comme il se doit et qui se déroule en 6 tours prédéfinis.

Mais si vous n'avez tâté que du Agricola (un beau bébé déjà en soi), vous pouvez être surpris du contenu d'Hallertau. 10 ressources différentes (5 animales, 4 végétales et 1 minérale), un plateau général proposant pas moins de 20 actions possibles, 4 types de cartes, des tours découpés en 10 phases ... le titre offre une certaine profondeur technique pour va de pair avec l'éventail des choses que vous allez y faire, de la culture de champs au développement de votre centre communautaire.
Fort heureusement, les logiques employées sont assez évidentes, et tout est prévu (de l'iconographie travaillée aux aides de jeu très clair) pour que vous soyez acclimatés au gameplay global dès la fin de la première ronde.

Vous disposez d'un plateau grille où la position verticale de chaque champ indique son rendement à venir; Vous disposez d'un système (toujours vertical) d'étales qui gère le nombre de vos ressources sans avoir un meeple par unité; Votre plateau étables permet d'héberger et gérer la vie de vos moutons; Chaque case action dispose de plusieurs points d'entrées demandant de plus en plus d'ouvriers, simulant astucieusement l'offre et la demande ... il n'y a pas de doute, c'est rapidement clair, et le plaisir de choisir des actions et piocher de multiples cartes viendra diligemment à quiconque s'intéresse un minimum au thème.
Et Hallertau ne s'arrête pas là. Il sait aussi offrir de jolies trouvailles mécaniques comme celui dédié à l'élargissement de votre ville.
Tout le système repose ici sur un plateau personnel horizontal sur lequel vous allez tenter de déplacer le plus possible un bâtiment vers sa droite pour accroître votre nombre d'ouvriers disponibles à chaque début de tour, ainsi que vos points bonus en fin de partie.
Mais son déplacement est assujetti à 5 tuiles artisans (menuiserie, brasserie, glacière, boulangerie, fabricant) placés à sa droite bloquant le passage, et dont il faut payer régulièrement un coût en ressources pour les décaler et libérer le passage. À cette idée s'ajoute des rochers gênant la progression, et qui demande à activer des jetons outils récupérés en amont pour les décaler eux aussi.

Rayon côté positif, je finirai par dire haut et fort qu'Hallertau est un très beau jeu. Bien sûr, vous n'échapperez pas aux dominantes colorimétriques vertes et marronnasses, aux cubes pour ouvriers et au travail d'illustration qui nous plonge dans le monde rural allemand du milieu du 19ème siècle (quoi Ingolstadt, cela ne vous fait pas rêver ?). Mais le jeu propose un pêle-mêle de couleurs vraiment agréable, les meeples aux formes réalistes sont un plus indéniable dans l'appropriation du sujet, et les multiples plateaux aux formes différentes créent un système intriguant qui rend l'ensemble attirant une fois assis à table.

Malheureusement, malgré toutes ces / ses qualités, Hallertau déçoit. Déjà, par ce qu'il complexifie des choses pour un intérêt ludique peu évident une fois l'analyse de sa partie en cours. La variété des cartes en est le meilleur exemple, avec la présence de cartes Bonus et Point logiques mais une différentiation cartes Portail et Fermes peu marquée et surtout impactante.
On pourrait aussi parler de cette gestion des moutons vraiment trop lourde, un compteur bijou qui aurait clairement pu être placé sur un plateau existant, des cailloux qui "renaissent par magie" (qui auraient été plus logiques de pouvoir détruire définitivement) etc...

Ce qui est dommage aussi, c'est qu'Hallertau n'offre aucune indication visuelle que son monde s'agrandit, un plaisir que l'on a habituellement avec les titres d'Uwe. Ici exit les quelques champs et (beaucoup de) ressources que l'on voit apparaître au fil de la partie, ce qui fera la différence entre une partie ratée ou réussie sera souvent l'emplacement final de son habitation, sur cette fameuse frise horizontale avec laquelle j'aurais aimé plus d'imbrication avec les actions du plateau (les artisans sont notamment totalement déconnectés du jeu).
C'est maigre, en plus de rendre cela abstrait pour les moins imaginatifs d'entre nous.

Mais ce qui me pose le plus problème, ce sont les parties totalement scriptées qui ne donnent finalement trop peu l'envie d'y revenir. 70 points si votre habitation atteint l'extrême bord droit du plateau, c'est bien trop énorme pour ne pas prioriser cet objectif au delà de tous les autres pourvoyeurs de points, surtout quand beaucoup propose une rentabilité décevante (ressources, trésors).
Votre stratégie va donc très rapidement se tourner vers l'amassage par kilotonnes de ressources que vous allez souvent réserver pour la phase d'amélioration (9). Et le truc, c'est qu'à 2 cela est aussi simple que cela s'avère un vrai chemin de croix à 4, du à un plateau actions vite limité en place dans ses configurations hautes.
Mais dans l'ensemble, une chose demeure : Ces cartes trop fades, trop circonstancielles, qui manquent en outre de cette puissance combinatoire et de spécialisation que peuvent offrir les améliorations d'Agricola.

Et pourtant, dans l'ensemble, Hallertau propose des idées intéressantes dans un emballage flatteur (pour le genre). Mais le jeu ne semble pas assez abouti, fluide et rejouable pour prétendre être le jeu agricole qui mettra tout le monde d'accord, œuvres de l'auteur compris.

