Quand on est un passionné de sculpture cubique grisâtre, on n'a pas grand chose à se mettre sous la dents depuis la sortie de Minivilles, un jeu de collection (rentré désormais dans le panthéon ludique) qui vous demande de bâtir la ville de ses rêves à base de dés et de cartes bâtiments. Un oubli réparé en ce début d'été par Cocktail Games et la sortie de Happy City, un jeu de Toshiki Sato et Airu Satode, bien décidés à rendre le sourire à tous les joueurs avides de constructions en milieu urbain !
Le bonheur est dans le béton
Happy City est un jeu dans la plus pure tradition Cocktail Games (petit, court, intuitif) où les joueurs sont amenés à construire la ville qui génère le plus de bonheur. Ce critère plutôt subjectif dans la vie réelle se jauge ici par deux composantes extrêmement claires : La joie qu'apporte la présence d'un bâtiment (représenté par des smileys), multiplié par le nombre d'habitants de la future mégalopole en devenir ... c'est tout !
Le premier joueur qui réussit à construire son dixième bâtiment déclenche la fin de partie, et ce comptage est réalisé une fois que tous les joueurs ont effectués le même nombre de tours de jeu.
Mais revenons aux études d'avant projet. Chaque architecte débute la partie avec un un Happy Market face blanche visible dans sa zone personnelle et deux pièces. Le plateau commun propose en continu trois zones où l'on peut récupérer des bâtiments : Le marché central, les habitations et les bâtiments spéciaux.
Le marché central est le cœur du jeu et proposent trois decks de cartes à coûts croissants : De 1 à 3 pièces pour le premier, de 4 à 5 pièces pour le deuxième, et de 6 à 9 pièces pour le troisième.
Les habitations regroupent les maisons, immeubles et résidences de luxe à hauteur de 1 carte de chaque exemplaire par joueur moins 1 (ex : trois maisons pour 4 joueurs). À noter qu'une fois qu'une pile est vide, il n'y a plus possibilité d'acheter d'occurrence de la carte.
Les bâtiments spéciaux peuvent eux se récupérer à tout moment de son tour quand on arrive à satisfaire à ses contraintes (la présence d'un nombre défini de cartes de chaque couleur principale dans sa zone de jeu). Il rentre dans la "comptabilité" de sa ville et peut aussi déclencher la fin de partie.
Un tour débute toujours par une phase de revenus, où chaque joueur va récupérer autant de pièces que ses bâtiments en génèrent (chiffre situé en bas à gauche de chaque carte, mais toutes n'en produisent pas). Ensuite, chaque joueur a le choix entre acheter une carte du marché central ou une habitation (en respectant son coût indiqué en haut à gauche et ne récupérant jamais plus d'un exemplaire de chaque bâtiment) ou passer son tour, ce qui lui permet de prendre une pièce de la réserve au passage.
Mais avant cela, il a la possibilité d'influer sur le marché, qui a pour contrainte de ne proposer, en tout temps, que 3 cartes maximum. Le joueur peut donc, avant d'agir, défausser n'importe quelle carte face visible du marché, mais a ensuite l'obligation par contre de compléter le marché à hauteur de trois cartes, en les piochant de n'importe quel deck et en panachant s'il le désire (prendre une carte du deck 1 et du deck 3 par exemple).
Beaucoup de la réflexion du jeu tourne d'ailleurs autour de cette mécanique. Dois-je défausser ou acheter une carte ardemment désirée par ma belle mère jouant après moi ? Si je ne possède que six pièces, dois-je tenter de tirer des cartes du troisième deck (les "gros" bâtiments), au risque de ne tomber que sur des édifices coûtant de 8 à 9 pièces ? Quelque soit votre stratégie initiale, Happy City n'est en en tout cas pas avare en petites prises de risque et coup bas intéressés.
La beauté est dans l'extrême simplicité
Je ne sais pas si c'est l'euphorie de revoir des serveurs qui font la tronche aux abords des terrasses de café, mais Happy City m'a extrêmement séduit par son design chaleureux. Tout, de la cover bonbon acidulée de la boîte aux illustrations des bâtisses mêlant design minimalisme geek et références pop culture en tout genre, donne irrémédiablement le sourire dès que l'on se lance dans une partie.
Et que dire du carton de rangement intérieur "customisé", qui en plus d'être vraiment pratique donne le ton d'un jeu qui rend heureux. Quand je pense que je n'avais pas du tout été emballé par les photos du jeu avant achat, avoir le produit dans les mains m'a radicalement fait changer d'avis et complètement sombrer du côté cul-cul la praline de la force "nipponisante". Comme quoi, même les plus blasés peuvent changer d'avis ...
Et cette "bonhomie", couplée à des règles qui s'expliquent en deux minutes chrono, font de Happy City un jeu parfait pour séduire les foules. Une compagne et des enfants qui n'ont pas trop l'habitude de jouer ? Des oncles et tantes de passage qui passent leur temps à se faire la gueule ? Une conférence philosophique qui se finit plus tôt que prévue ? Sortez Happy City, vous allez vite rallier tout le monde à votre cause et passer une petite demi-heure sous un arc en ciel d'amour et d'allégresse.
Sur ca cible familiale, Happy City touche en plein cœur. Il fait partie clairement de ces jeux mignons, simples à instruire et offrant un plaisir immédiat que vous pouvez emmener partout, que vous pouvez sortir n'importe quand n'importe qui, et dont la parure et l'immédiateté attireront toujours l'œil, de 7 à 77 ans, du complètement novice en ébats ludiques au joueur régulier ayant plus de 132 parties de Monopoly.
Reste par contre que ceux qui cherchent un vrai challenge ou un minimum d'interactivité resteront par contre sur leur faim. Cocktail Games a pourtant eu l'excellente idée d'intégrer au jeu original un mode expert, qui apporte une petite asymétrie au départ (un Happy Market coloré) et des bâtiments spéciaux plus évolués pouvant déclencher des effets immédiats ou des surprises en fin de partie. Mais cela ne suffit malheureusement pas à donner assez de consistance pour déclencher le tourbillon neuronal attendu.
Car Happy City, de par son fonctionnement très simple, se veut très dirigiste. On commence toujours en début de partie par se créer un petit moteur financier suffisant pour atteindre le troisième paquet et se ruer ensuite sur les cartes les plus intéressantes. Le fonctionnement du jeu étant assez "simpliste" et ne proposant aucun système combinatoire (sauf pour l'obtention des bâtiments spéciaux), les décisions restent très légères, les choix de cartes se montrent toujours évidents, et on prend régulièrement la carte que l'on peut payer et qui rapporte le plus de symboles (cœur ou habitant). Quand le hasard ne s'en mêle pas.
Car à contrario d'un Minivilles où les mauvais lancers de dés peuvent être un minimum atténués par un achat de cartes variées, vous ne pourrez rien faire contre le tirage de Happy City si d'aventure vous enchaînez les "bad beats" (chers à Patrick Bruel).
Ce n'est pas un défaut en soi, car c'est souvent la composante qui nivelle les niveaux et qui fait rire aux éclats les enfants quand vous jouez en famille. Mais tout cela fait que, malgré ses qualités, Happy City n'arrive pas au niveau de Minivilles pour quiconque cherche le jeu de construction de ville au ratio accessibilité / complexité le plus parfait.