Huns
Huns fait partie de ces jeux à la trajectoire déroutante. A l'époque de sa sortie en 2018, il semblait faire l'unanimité, pour sa personnalité affirmée, ses mécaniques bien ficelées et son interactivité prononcée. Mais depuis ce temps béni, plus un semestre passe sans qu'on le voit brader à 50% sur les sites de ventes en ligne, où qu'on le trouve par pelletée sur le marché de l'occasion.
Qu'est-ce qui fait que le sort s'acharne sur ce "gentil" petit peuple d'Asie centrale qui n'a rien demandé ?

Beauté et efficacité
En tout cas, en y jouant pour la première fois il y a juste une semaine, je n'ai rien à dire sur les qualités entrevues par tous les "spécialistes" de l'époque.
Déjà oui, effectivement, Huns est beau. La boîte est joliment illustrée, les cartes sont superbes, le matos est vraiment au niveau. Le thème guerrier, un peu sombre tout en étant assez coloré pour ne pas rebuter la majorité, est vraiment bien intégré. Et le jeu donne envie de se jouer, surtout que le thermoformage est aux petits oignons, et permet de déployer / ranger le jeu en quelques pouillèmes de secondes (à la louche bien sûr).

Sous la croupe du cheval, rien à reprocher non plus. Huns compile des mécanismes évidents, simples à prendre en main, pour un plaisir immédiat.
Cinq dès de couleurs différentes sont lancés avant chaque début de manche. Chaque joueur en sélectionne un à tour de rôle et choisit d'effectuer l'une des deux actions possibles, en liaison avec la couleur et la valeur du dé. Soit il pioche des cartes du paquet de couleur correspondant (en ayant la possibilité d'en conserver une), soit il récupère des cubes ressources, qu'il doit ensuite placer au choix sur ses wagons personnels ou certaines cartes spécifiques de son plateau de jeu.

C'est fluide, c'est instinctif, tout en ne manquant pas d'une certaine technicité, car chaque couleur de carte a son fonctionnement et utilité propres :
- Les bleus (équipements) procurent un avantage permanent jusqu'au terme de la partie.
- Les jaunes (trésors) offrent des multiplicateurs de scoring supplémentaires.
- Les rouges (raids) permettent d'activer un effet puissant utilisable une seule fois.
- Les vertes (mercenaires) offrent une action spéciale jouable une fois par manche, une fois la carte activées en y ajoutant le nombre de ressources demandées.
- Les noirs (malédictions) s'envoient directement chez un adversaire et lui procurent un effet négatif tant qu'elles ne sont pas désactivées (par l'ajout de 5 cubes ressources).
Ces différents "pouvoirs" font vraiment tout le sel de Huns, et offrent une certaine dose de tacticité à chaque joueur, sous peu qu'il arrive à se dépêtrer de mécanismes très orientés opportunisme (par le choix des dés) et adaptabilité de tous les instants (par le tirage de cartes et les décisions des autres joueurs).

Huns pourrait d'ailleurs presque être classé dans les jeux d'ambiance. Car si la priorité est d'engranger un maximum de points avant la fin d'un paquet de cartes ou d'un tas de ressources (ce qui sonne le glas de la partie), il faut continuellement jeter un regard attentif à ses adversaires, dont le jeu et les envies impactent forcément le vôtre. Et gare à vous surtout si vous semblez trop fort trop vite, une pluie de cartes noires peut rapidement se déchaîner sur vous !
Huns plus Huns ne font qu'Huns
Malheureusement, si la première partie de découverte de Huns est vraiment jouissive (assurément), on remarque vite que le jeu souffre de vrais problèmes "d'équilibrage" de ses mécaniques.
Le défaut le plus agaçant, c'est cette trop grande part laissé aux dés, qui avantagera toujours le premier joueur du tour et ceux qui arriveront à récupérer les plus fortes valeurs. Oui c'est un jeu de dés, donc il y a une part de hasard, mais il manque vraiment la possibilité de modifier la priorité du jeu, changer les valeurs et aider les plus malchanceux pour assurer une vraie construction de partie un temps soit un peu voulue.

La course au remplissage de chariots, le but annoncé du jeu, est un peu décevante, car elle ne crée pas assez de différences dans une partie (surtout à 2 ou 3 joueurs) par rapport aux cartes trésors par exemple, qui elles sont beaucoup plus soumises au hasard (on y revient !).
On peut aussi se demander aussi s'il fallait vraiment intégrer un système de malédiction aussi puissant et impactant dans un format de jeu aussi rapide. Car une personne prise pour cible, c'est sa défaite assurée. Un concours de tatanes à distance continuel, c'est une partie qui s'enlise jusqu'à l'ennui. Dur d'en trouver finalement l'intérêt, même si elle offre cette touche d'interactivité qui sied parfaitement à la thématique même et donne un vrai attrait à Hun.

La rapidité du jeu pose d'ailleurs question. C'est une qualité indéniable pour beaucoup de situations. Mais dans un jeu de construction de moteur, c'est moins évident, surtout que dans Huns elle donne l'impression qu'une partie se termine au moment où notre moteur commence vraiment à se mettre en place et à donner des idées.
Reste la question de la re-jouabilité, mise à mal par le faible nombre de cartes par couleur. Un joueur qui aura enchaîné quelques parties en fera vite le tour, et pourra vite ne plus donner l'envie d'y revenir.
Et ce qui est étonnant, c'est que malgré tous ces défauts, Huns n'est pas un mauvais bougre, et se laisse jouer sans aucun déplaisir. Mais clairement, c'est pour surprendre sa tablée d'habituée qui veut finir une soirée arrosée en rigolant un bon coup, pour faire découvrir le jeu de collecte sans prise de tête à un public de néophytes, ou pour le jouer un dimanche pluvieux avec ses plus jeunes, qui aime sa simplicité et son côté mauvais garçon.
On le sort finalement trois ou quatre fois, et on le revend malheureusement ensuite, même si on apprécie son matériel, sa fougue, ses parties débridées. Car on veut faire de la place à d'autres jeux beaucoup mieux calibrés !

