Préambule : Jeu joué lors d'une réunion de joueurs, donc pas de photos détaillés à proposer avec ce test. Désolé d'avance !
Un jeu de civilisation rapide, simple à prendre en main, tout en gardant une profondeur que l'on attend de ce genre de titre : Une arlésienne qui fait fantasmer les joueurs et les professionnels du jeu depuis une décennie. Khôra, une adaptation d'un jeu nippon nommé Polis sorti en 2017, est le dernier pari de Iello dans le genre pour sa gamme experte. Sera-t-il l'élu ?
Il y a du choix dans les rayons
Dans ce jeu issu de cerveaux d'un collectif de club de jeux de société de l'Université Keio au Japon (cela ne s'invente pas !), les joueurs dirigent des villes antiques de Grèce célèbres en quête de la domination absolue. Chaque joueur récupère, au départ, un paquetage couleur (multiples marqueurs plus deux dés) et un plateau générique, qui va lui permettre de gérer ses niveaux d'économie, de culture et militaire. Il choisit ensuite une tuile cité, prise parmi 7, qu'il place dans un encart spécifique de son plateau et qui propose une liste de 4 développements qui lui sont propres.
Khôra nécessite la mise en place d'un plateau central qui gère les valeurs de Citoyens, d'Impôts, de Gloire et d'Armée de chacun, tout en proposant un grand lot de jetons connaissances et succès à récupérer durant la partie. Les Citoyens permettent de modifier la valeur de ses dés, alors que les Impôts permettent de gagner des Drachmes à sa valeur lors de chaque phase du même nom. La Gloire offre des Points de Victoire en fin de partie, via la multiplication de ce taux avec le nombre de jetons connaissances majeures récupérés. Alors que la valeur d’Armée indique à quel jeton Connaissance le joueur peut prétendre lors d'une Action Militaire.
Une phase de draft initiale permet à chaque joueur de débuter avec une main de 5 cartes politiques. Ces cartes puissantes permettent de donner une orientation à sa civilisation, mais n sont par contre activables qu'en effectuant une action particulière.
Chacun des 9 tours de jeu inclut pas moins de 7 étapes. Dans sa quête de fluidité, beaucoup du jeu peut se réaliser en simultané, même si certaines actions demandent à être jouées selon l'ordre des joueurs. Au début de chaque tour vient toujours la révélation d'une carte évènement, qui peut s'appliquer immédiatement ou avoir des répercutions en fin de manche. Après une rapide phase de collecte des Impôts, liée à la piste dédiée, les joueurs procèdent à une phase individuelle de lancer de dés et d'affectation de ceux-ci sur leurs plateaux personnels.
À cet effet, le plateau joueur dispose de 7 encarts actions, numérotés de 0 à 6, et jouables une fois par tour. Pour activer l'une des ces actions, il faut forcément que le dé utilisé soit d'une valeur égale ou supérieure à celle de la tuile, ou que le joueur dépense autant de citoyens que la différence le demande. Les actions sont ensuite résolues dans l'ordre des numéros, et ce manière collégiale.
L'action Philosophie (0) permet de récupérer 1 jeton du même nom, un bonus puissant pour obtenir plus facilement des citoyens, des cartes politique ou du progrès. L'action Législation (1) offre deux citoyens et le choix d'une carte politique parmi deux du parquet. Les actions Culture (2), Commerce (3) et Militaire (4) permettent d'engranger respectivement des points de victoire, de l'argent et des troupes via des règles sur les jauges Culture, Économie et Militaire. Ces deux dernières actions permettent en sus de récupérer des jetons connaissances, qui peuvent être de plusieurs couleurs.
C'est l'action Politique (5) qui offre le droit de jouer une carte en main, alors que l'action Développement (6) permet de débloquer le prochain pouvoir spécifique de sa nation en payant le coût indiqué.
Un fois toutes les actions passées au crible, chaque joueur peut dépenser un certain nombre de ressources pour progresser sur l'une des trois pistes majeures de son plateau personnel, à savoir Économie, Culture ou militaire. Si à la fin du tour un joueur respecte les conditions d'un jeton Exploit, il peut en prendre possession. Une routine qui, après sa neuvième occurrence et une dernière possibilité de gagner des points supplémentaires, offre le trophée de la cité la plus prospère à celui qui a gagné le plus de points !
Grosse promo sur les suppos
S'il y a bien quelque chose que l'on ne peut pas reprocher à Khôra, c'est qu'il embarque tous les marqueurs que l'on trouve habituellement dans des jeux de civilisation. Déjà, car le leader en herbe a vraiment le choix de ses axes de développement : Booster sa puissance économique ou culturelle pour jouer sur ces biais là, pousser sa population pour bénéficier de plus de libertés d'action, tout miser sur une armada militaire pour engranger un maximum de connaissances, développer les spécificités de sa civilisation pour gagner de nombreux avantages ....
Cette richesse est accentuée par la présence de cartes Politiques puissantes qui donnent la possibilité de personnaliser de manière importante votre style de jeu. D'ailleurs, entre bons joueurs, la phase de draft préliminaire à la partie en deviendrait presque la phase la plus importante de votre affrontement à venir, tant démarrer avec des cartes en adéquation avec sa stratégie offre un avantage conséquent (mais pas irrémédiable, fort heureusement).
S'il est difficile de dire que Khôra respecte son objectif principal d'être un jeu rapide, les parties durant facilement 2h avec 4 joueurs qui aiment quand même réfléchir un minimum à leurs coups, on ne voit pas le temps passer. Une qualité due au rythme que le jeu sait créer par une fluidité naturelle des étapes (quelques tours de rodage sont quand même à prévoir), et par le fait que les joueurs peuvent effectuer un grand nombre d'actes en même temps que les autres. Et il y a pas à dire, Iello oblige, l'édition se montre au niveau, avec un soin apporté à toutes les strates, des plateaux double couches du plus bel effet, aux meeples tops. En passant par des illustrations rendant parfaitement grâces à la période évoquée.
Mais voilà, Khôra ne m'a pas offert l'expérience de "civ" que j'attendais. Mon premier souci, c'est son dirigisme un peu trop exacerbé. Dès le début de partie, le jeu vous oblige pratiquement à foncer vers la récupération du troisième dé, et donc le droit à une troisième action gratuite par tour, mettant à mal tout autre prologue qui pourrait surprendre vos adversaires. Enfin vous pouvez toujours essayer, mais le manque d'une cartouche supplémentaire se fera vite sentir, surtout avec seulement 18 actions de base par partie et des adversaires qui risquent de prendre un avantage rapidement irréversible.
Surtout, je trouve vraiment dommage que l'aspect militaire soit si puissant, et soit le seul levier permettant de récupérer ces fameux multiplicateurs de points de gloire qui font exploser les compteurs en fin de partie. Alors oui, Khôra a cette intelligence d'offrir la sensation de faire évoluer sa civilisation, par le prisme des cartes Politique, d'Exploits de multiples curseurs. Mais rien d'assez puissant selon ma maigre expérience (je peux me tromper) avec l'aspect Militaire, bien trop prépondérant, surtout qu'ici la jouer pacifiste ou scientifique mène véritablement à la défaite assurée.
Et c'est ça qui me pose le plus problème avec Khôra : Ce n'est pas vraiment un jeu de civilisation. En fait, dans Khôra, on passe surtout son temps à courir : À réaliser les conditions requises pour récupérer des jetons exploits; À se grouiller de faire monter sa jauge Militaire pour ravir les meilleurs jetons Connaissances avant les autres.... On passe ses tours à optimiser, à trouver la meilleure combinaison menant à des objectifs à se partager, sans se soucier d'adversaires qui nous embêteront juste à nous piquer des objectifs ardemment désirés.
Si les mécaniques sont tournées vers l'urgence, le rythme l'est encore plus : Car si la partie peut donner l'impression de prendre son temps, on ne fait finalement pas grand chose avec 9 tours d'actions (avec 3 actions dans le meilleur des cas). On doit donc aller à l'essentiel, en privilégiant les gains quasi-immédiats plutôt que la réflexion au long court.
Tout le contraire d'un jeu de "Civ" où, quelques soit ses choix et sa stratégie, on termine sa partie avec au mieux le sentiment du devoir accompli, au pire l'impression d'avoir au moins tenter de créer quelque chose visuellement. Et sur cet aspect, c'est encore pas dingue : S'il est difficile d'imputer cela à l'absence d'une carte monde (d'autres classiques comme 7 Wonders ou Through The Ages réussissent à donner ce sentiment d'évolution sans cet aspect), Khôra ressemble trop à un fichier de données, avec ses milliards d'icônes dans tous les sens, toute une dramaturgie et d'émotions liés à des choix importants remplacés par des montées et descentes de chiffres ...
Il reste dans cette belle boîte un jeu de course pas déplaisant. Mais malheureusement, dans cette catégorie, il y a selon moi beaucoup plus équilibré et riche en sensations pour en faire un hit du genre. Le drop entre les deux piliers du Panthéon était pourtant bien tenté. Le ballon finit malheureusement dans la tête du guide touristique norvégien ...
Nota : Tous les goûts sont dans la nature. Donc que mon avis soit positif ou négatif, si un jeu vous interpelle, que ses mécaniques vous donnent envie, que vous appréciez le travail de l'(des) auteur(s) et de l'éditeur, achetez-le / empruntez-le / volez-le (en le rendant après) pour vous faire votre propre avis !