Kitara fait partie de ces jeux qui, même s'ils sont loin d'être parfaits, même s'ils ne conviendront pas à tous les joueurs, donnent la banane, par leur envie de bien faire et d'apporter quelque chose de nouveau à leur genre.
Ce qui m'a frappé en premier avec le bébé de chez Iello, c'est vraiment le soleil qui illumine de son thème. Le jaune, le orange, le marron, les variantes d'ocres, donne de la couleur à un jeu qui propulse les joueurs dans une guerre de tribus aux allures fantastiques, bien décidées à conquérir l'Empire de Kitara(ancienne gloire du premier siècle après jicé) par l'intimidation ou la force si besoin.
De la boîte aux différents plateaux de jeu (à choisir selon le nombre de joueurs), la direction artistique est juste dantesque. Le jeu est beau, donne envie d'être ouvert et joué, et met parfaitement les plaines arides du continent chéri par (feu) Johnny Clegg à l'honneur.
Cet effet waouhh est aussi rendu possible grâce à un matos aux petits oignons. Si vous avez déjà ouvert la boîte, vous savez que je parle des meeples en bois, tout petits mais vraiment ultra méga craquants. Même si en pleine partie je ne peux m'empêcher d'appeler les centaures des chaises, mais rien ni personne ne peut arrêter l'humour (ou la dégénérescence maculaire liée à l'âge, au choix).
Le thermoformage n'est pas en reste, avec sa frise 3D qui colle à l'ambiance, et son découpage intérieur qui permet de dégainer une partie plus vite que son ombre. Un plus indéniable, quand on sait que le jeu se veut nerveux, accessible et rapide à jouer.
Kitara propose en effet des mécaniques de majorité et de conquête de territoires des plus épurés. Pas de pouvoirs, de dés ou de choses complexes à gérer ici. On grapille des points à chaque tour en occupant des forêts (avec des centaures), en possédant dans son jeu des rouages et en remportant des batailles avec un héros.
Les affrontements sont d'ailleurs réduits à leur plus simple expression : Si vous êtes adjacents à la zone visée et que vous posséder plus de troupes que votre adversaire, vous pouvez l'envahir et le chassez purement et simplement ! Pas de mort définitive ici, les troupes vaincues doivent juste rejoindre la zone "amie" la plus proche, et pourront fomenter tranquillement une vengeance des plus sournoises.
Léger ne veut pas dire absence de tactique, et un tour de jeu de Kitara demande quand même une certaine réflexion. Le jeu repose entièrement sur un système de cartes possédant une variété de symboles, que l'on va récupérer et placer face visible à la droite de son plateau personnel (qui ne donne essentiellement qu'un visage à notre tribu et un récapitulatif des actions possibles). A notre tour, on commence toujours par piocher l'une des cartes de la rivière commune à hauteur du nombre de symboles disponibles dans la ligne "piocher" de nos cartes (si vous en avez deux, vous pouvez prendre une des deux premières par exemple).
Ensuite, on déroule les autres actions directes possibles (recruter, se déplacer) avant de finalement scorer et passer la main à notre voisin de gauche. Kitara est d'ailleurs pour cela un modèle d'ergonomie : Il suffit de compter les icônes correspondantes sur chaque rangée de cartes pour connaître le nombre de fois où l'on pourra réaliser l'action (sauf recruter, qui ne concerne que la dernière carte récupérée). Malin et pratique.
Notez quand même qu'il y a un petit twist pas piqué des hannetons (hashtag expression moderne) en fin de tour, avec l'obligation de "nourrir" ses cartes, en occupant autant de cases savane (jaune) avec au moins 1 guerrier que de cartes possédées, au risque de devoir procéder à une défausse. Un superbe idée qui rajoute de la réflexion et oblige à bien optimiser son tour afin de le rendre rentable, tout en évitant de perdre la moitié de ses troupes ou ses avantages à la fin.
Un tour dans Kitara est donc un vrai belle exercice de funambule, qui peut s'avérer vraiment jouissif quand on enchaîne les conquêtes et les points. Malheureusement, sur plusieurs tours, le jeu peut s'avérer beaucoup plus frustrant.
Parce que déjà, le plateau change tellement sans cesse qu'il est impossible de vraiment prévoir ses coups au delà d'un voir deux tours. Même avec toute l'anticipation du monde, le dynamisme du jeu et le système de scoring sont tels qu'on passe finalement notre temps à concevoir une stratégie la plus efficiente possible sur notre tour actuel, sans vraiment pouvoir se protéger ou planifier pour la suite.
D'ailleurs, la mécanique de combat est ainsi faite que vous pouvez gagner 3 territoires sur un tour, et en perdre 4 le tour suivant. Cela à le mérite de rendre le jeu extrêmement dynamique, certes. Mais aussi beaucoup trop mouvementé pour imaginer gérer quoi que ce soit sur le long terme.
Mais ce qui m'embête le plus, c'est la trop grosse part donnée au hasard. Vous allez voir que le tirage de cartes peut se montrer pernicieux et condamner un joueur dès le départ, en ne lui proposant pas un héros dans les premiers tours de sa partie. Mais ça ce n'est rien par rapport au système de points de victoire cachés. Le jeu permet en effet à un joueur remportant un combat avec un héros de tirer un jeton d'un sac, qui ne sera dévoilé qu'à la fin de la partie.
Et cela rend le jeu totalement unidirectionnel, ce système offrant tellement de points qu'on comprend vite qu'il faut passer son temps à agresser au détriment de toute logique territoriale. Et cela rend le gain de la partie totalement aléatoire, un joueur ayant deux jetons pouvant avoir plus de points que quelqu'un qui en a cinq.
Pour résumer, je dirais que Kitara est aussi plaisant tactiquement à court terme, que hasardeux et dénué de stratégie sur le long terme. Cela en fera une très mauvaise pioche pour ceux qui cherchent un minimum de contrôle, je le conçois, et j'inviterai ces personnes à se tourner vers Smallworld ou des titres comme Blood Rage (hashag les extrêmes) pour quelque chose de plus cérébral.
Mais je garde une certaine affection pour Kitara, qui reste néanmoins extrêmement plaisant dans un cadre moins "serious gamer", surtout si on cherche un jeu plus léger beau, fun et où le plaisir de jouer est plus important que celui de gagner. J'ai d'ailleurs eu l'agréable surprise de voir que le jeu se prenait bien en main avec des très jeunes joueurs (occasionnels à partir de huit ans), et cela a permis par chez nous des parties familiales vraiment très drôles et agréables.