La Famiglia
Qu'est ce qui est pire qu'une mafia ? Deux familles mafieuses qui s'associent. Et c'est l'étonnante Sicile des années 80 que nous dépend La Famiglia, un jeu d'affrontement et de domination territorial qui base son concept sur des parties uniquement en deux contre deux.
Vous aurez ici quatre manches pour réussir l'objectif, à savoir dominer 5 mandamenti (grandes régions de l'île) seul, ou 6 en cumulant celles des deux coéquipiers. Si au bout des 4 manches la condition n'est pas remplie, c'est l'équipe qui contrôle le plus de mandamenti qui l'emporte, ou à défaut celui qui contrôle Bronte. Et si toujours égalité, bah je ne sais pas, mais c'est vraiment que vous ne voulez pas gagner hein ...
Une manche se découpe toujours en deux phases. Dans la phase de Planification, les joueurs vont tour à tour pouvoir déplacer un jeton d'influence de la zone supérieure du plateau général sur une case du tableau d'actions situé en contrebas. Entre chaque manche, ce tableau est déplacé sur la partie supérieure (en laissant les jetons dessus) pour révéler à chaque fois un tableau d'actions plus dense juste en dessous.
Il existe 5 familles d'actions, à savoir (avec mes mots) gestion des miliciens, déploiement d'équipement, donner un ordre, exercer de l'influence et blanchir de l'argent, qui ont toutes une couleur de fond spécifique, pour environ le triple d'icônes différents à comprendre pour maîtriser l'éventail des possibilités du jeu.
Je mettrai tout de même l'accent sur deux actions très importantes. La première, c'est révéler une case de son plateau personnel Famille, et ainsi améliorer définitivement l'une des quatre capacités de son clan. Celle-ci peut aussi permettre de débloquer un nouveau jeton d'Ordre qui, combiné avec l'action dédiée, permet de placer une tuile face cachée sur l'un de ses territoires occupés.
Celles-ci ne sont révélées que lors de la phase de Rencontre, et activées dans l'ordre du chiffre d'influence indiqué dessus, mais surtout par type. Tous les Ordres de Logistique sont exécutés en premier, et offrent généralement des actions de placement d'unités ou des rentrées d'argent. Les Ordres d'Attaque eux permettent d'engager des déplacements ou des attaques à distance, menant toutes sur une résolution de combat par une succession d'étapes liée au type de conflit déclenché.
Il faut savoir aussi que pendant la phase de Planification, il est aussi possible de retirer tous les jetons d'une colonne d'un coup pour déclencher la suite d'actions imprimées au dessus. Un mouvement puissant qui a cependant un coût pécunier non négligeable, puisque il faut s'acquitter de 1 dollar par pion déplacé et 1 dollar au propriétaire de chaque pion déplacé (sauf vous et neutre). Reste à préciser que la vérification des majorités se fait à la fin de chacune des deux étapes, et peut donc désigner un vainqueur avant la fin d'une manche.
Et après seulement une partie au compteur, je peux déjà vous affirmer La Famiglia est pétri ... de défauts.
Vous avez du temps à perdre, viendez à table, vous allez vous délecter de 3h de jeu minimum en mode Analysis Paralysis de dingue. Déjà parce qu'avec deux humains qui doivent se synchroniser tout en essayant de ne pas se saborder l'un / l'autre, cela explose le compteur cognitif. Mais surtout parce qu'avec un couple carte / plateaux d'actions en perpétuel mouvement, vos certitudes de la minute passée seront souvent à mettre aux oubliettes pour vous réadapter à la situation.
Et le rythme de jeu n'est pas aidé par un système de combat lourd ... mais lourd ! Rien que pour l'attaque classique (je débarque sur un territoire avec les armes), on enchaîne un précombat puis un affrontement où deux stratégies différentes sont possibles. Pourquoi faire si compliqué, surtout quand tout prône le déterminisme. Et surtout pourquoi rajouter un système de cartes bluff vraiment pas fun (et évité à chaque fois à notre table) seulement pour un cas de figure.
Je passerai l'équilibre des moyens d'attaque, des factions et l'intérêt de certaines options (les bateaux, heu...) pour toucher un mot sur l'ergonomie liée à la communication,. Alors oui des aides pour pouvoir consulter facilement la disposition des plateaux adverses ou se montrer des choses discrètement sur la carte, c'est top. Mais je ne comprends pas l'absence d'un ensemble surface effaçable et des feutres, voir des marqueurs et un paravent commun pour s'échanger plus facilement des informations. Tout le gameplay repose la dessus, et si vous malheureusement vous n'aviez pas appris le Morse à l'école, il vaudra souvent choisir de se parler sous la table ou se donner rendez-vous aux toilettes pour finaliser vos stratégies.
Et pourtant, malgré tout ça ... que La Famiglia est frais et fun ! Cela faisait longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir à me faire fondre le cerveau sur une mécanique de contrôle de zones (mon petit péché mignon), qui plus est avec une composante "coopérative" (mon gros péché bougon).
Indiscutablement, la mécanique de sélection fait énormément dans la tension et la tacticité du jeu, même si on ne va pas se le cacher, contrôler quelque chose ici reste très temporaire. Hérité du très mésestimé Magnastorm (du même auteur), elle trouve une place beaucoup plus évidente ici, et permet au titre de déployer une vraie guerre psychologique, comme dans tout bon wargame qui se respecte, sur fond de coups fourrés et de mouvements géniaux.
Le sujet, difficile et qui ne sera pas au goût de tout le monde (le jeu parle quand même d'une période très sombre de l'Histoire du sud de l'Italie), a au moins le mérite d'être retranscrit par tous ses prismes. Fabriquer des laboratoires de drogues pour gagner de l'argent, envoyer une voiture piégée, déployer une vedette (le bateau, pas une célébrité) pour faciliter les déplacements, recruter puis déployer des miliciens (cela se fait en deux temps) ... La Famiglia vous immerge dans son monde, et ce n'est pas le petit manque de clareté du design et des icônes qui vous sortirons du thème.
Alors c'est sûr, manque peut-être un système de combat plus évident, des familles aux points forts plus marqués, un système de rattrapage pour éviter que la partie soit pliée dès la moitié du temps de jeu (que les cartes Avantages n'aident pas du tout)...
Mais déjà comme ça, La Famiglia mérite que l'on s'y attarde (ou qu'on n'y revienne, surtout avec la même tablée). Car la prise de risque et l'originalité mécanique sont résolument là. Et le plaisir de jeu aussi !


