
Vous avez toujours eu envie de rentrer en force chez l'élu du coin pour lui expliquer votre vision des choses sur sa politique actuelle ? Ou à l'inverse enfiler une tenue de CRS et défendre les intérêts de la mère patrie, tout en refaisant quelques dentitions au passage pour l'amour du geste ?
Le Cortège va vous permettre d'enfiler les deux costumes, et ce dans la joie de la pichenette, et la bonne humeur du jeu de dextérité !

Le pouvoir du palais
Le Cortège est un jeu d'affrontement tactique où deux joueurs vont tour à tour prendre le rôle des services publics et de la population en colère pour savoir qui gère le mieux une situation de crise.
La mission du Pouvoir est simple, mettre sous les barreaux tous les dissidents, en faisant généralement en sorte qu'un de ses palais bleus rentre directement en contact avec un des palais rouges de son adversaire (ce qui fait monter par la même occasion la piste Arrestations).

Chaque capture aura par contre pour conséquence de faire monter la jauge de l'Opinion publique qui, une fois totalement éveillée, offrira la victoire au Contre-Pouvoir. Ce dernier a en plus la possibilité de l'emporter en faisant entrer trois de ses personnages en colère dans le bâtiment Etatique, un grand cercle dessiné du côté du clan bleu, et dont chaque réussite permet de faire progresser d'un cran la jauge Bâtiment.
Un duel débute néanmoins toujours par une phase d'infiltration où le Pouvoir va tenter de capturer l'un des deux Jetons clés du clan rouge, à savoir le Blak Blok ou le Photographe. Le Contre-Pouvoir doit écarter l'éventuelle "victime", faire progresser la jauge d'Opinion, et les deux joueurs sont ensuite invités à placer tour à tour et une unité à la fois dans la zone autorisée de leur côté de jeu.

C'est là que commence véritablement la partie. En commençant par le clan du Contre-Pouvoir, et de manière alternative, chaque joueur a le droit d'effectuer une pichenette sur l'une de ses unités. Les règles essentielles ici sont que seul l'éventuel pouvoir de l'unité joué est actif, et que cette capacité ne s'applique que s'il touche un palet adverse au premier contact et dont la couleur du fond correspond à sa cible d'effet.
Défausser l'unité adverse, bloquer l'utilisation de l'unité pour un tour, augmenter ou diminuer la jauge d'opinion... sont les quatre effets que vous allez rencontrer dans Le Cortège. Mais si le palais ne propose pas de capacité ou ne touche pas le bon adversaire, rien ne se passe de plus que les conséquences physiques du lancer.

Côté subtilités, il y a l'obligation de replacer tout palet qui sort du plateau dans le coin libre le plus proche. Le Cortège ajoute une dernière règle avancée permettant de remplacer à tout moment le Passant (côté Contre-Pouvoir) par le jeton Photographe ou le Syndicaliste, s'il a déjà été éliminé.
Le jeu se déroule ainsi jusqu'à ce qu'une des conditions de fin de partie se déclenche, ou qu'il n'est plus possible d'en résoudre une entièrement. On conserve alors l'état de trois pistes principales de jeux grâce aux anneaux de marquage, puis les joueurs sont sommés de changer de côté et de refaire une manche dans ces nouvelles conditions.

Ce n'est qu'à la fin de la deuxième manche que la victoire est désignée, et elle revient en priorité à celui qui a envoyé le plus de palais rouges dans la zone Bâtiment. En cas d'égalité, on vérifie alors celui qui avait l'Opinion la plus favorable, et si encore égalité, la piste d'Arrestations. Et si les deux joueurs n'ont pas réussit à se départager, pas le choix : Vous êtes obligés de rejouer !
L'Etat de situation
Et que dire d'autre que ... qu'est ce que cela fait du bien de voir sur sa table une proposition si rafraichissante sur une table de jeu !

Je ne vais portant pas vous cacher que j'étais le premier circonspect au vu du mix détonnant entre jeu de dextérité, qui en fait sur le papier davantage un outil d'amusement pour les enfants, et thème de la manifestation, aussi difficile à traiter que ne parlant pas du tout à mon esprit vagabond préférant largement s'évader dans des univers fantastico-poétiques que dans les tristes considérations de notre réalité froide et morose.
Le Cortège surprend totalement, en jouant de deux extrêmes qui accouchent au final d'un gameplay bien plus subtil qu'il n'y parait et qui réussit en plus, à tirer le meilleur de la puissance narrative de ses deux mondes !

Car indiscutablement, le choix de faire un jeu de pichenette permet au titre d'atténuer totalement l'impact émotionnel négatif que peut soulever ou rappeler ce genre d'événements. Oui le jeu est éminemment politique (l'auteur ne s'en cache pas dans le texte d'introduction du livret), oui on envoie des policiers sur des civils, mais le fait d'enrober cela dans une mécanique aussi ludique permet au titre de créer une distance mentale suffisante pour éviter le mauvais goût.
De plus, Le Cortège a la très bonne idée d'obliger les joueurs a jouer les deux camps, ce qui empêche toute prise de partie volontaire ou non, tout en permettant rapidement aux deux protagonistes de se concentrer sur un aspect tactique qui lui est loin de faire de la figuration.

Envoyer une lacrymo pour gêner la progression d'un manifestant, prendre le risque de faire monter trop favorablement l'Opinion par un tir de LBD, faire fuir les journalistes par un envoi de cocktail molotov ... chaque palet est une réussite thématique a lui tout seul, et permet autant d'écrire une vraie histoire que de permettre de prendre l'ascendant ou retourner une situation lors d'une partie disputée.
Et ce qui ne gâche rien, c'est encore cette grande qualité du jeu de nous faire enchaîner les deux camps. Car en fonction des événements de la première partie, il peut être extrêmement profitable de permettre à son adversaire d'aller au bout de la piste Opinion ou laisser le Pouvoir capturer ses palets restants ... pour finalement l'emporter !

Le Cortège pourra cependant pêcher un peu sur la durée par une variété d'approches tactiques pas aussi riche qu'espérée. L'absence d'une deuxième condition de victoire côté Pouvoir peut vite se faire sentir dans le plaisir de jouer cette "faction", et le fait d'avoir peu de pièces pouvant faire "barrage" pour se se prémunir d'agressions directes décuple un peu trop l'importance de la dextérité quand on joue du côté Contre Pouvoir. Tout en cassant rapidement le suspense si le joueur n'arrive à envoyer aucun de ses palets rouges dans le Bâtiment du pouvoir (la condition de victoire numéro 1)...
Des défauts de "jeunesse" réels, mais en aucun cas un frein dans le plaisir de jouer. Car au delà de l'incroyable exercice de style et un étonnant support d'apprentissage pour les plus jeunes, Le Cortège est un jeu facile à sortir et diablement fun. Qui aurait dit cela sur un titre qui met en exergue le caractère contestataire de l'Homme ?


