Concevoir des jeux distribués uniquement dans leur pays de fabrication : C'est le défi que s'est lancé la toute jeune maison d'édition française Les Tontons Joueurs.
Si la démarche peut sembler folle au vu d'une mondialisation écrasant toutes velléités de sauver réellement notre planète, Tontons Alain (Ollier) et Tony (Rochon), les deux maîtres à bord, ont eu le mérite de se lancer dans l'aventure. Et surtout d'avoir réussi à tenir leur pari sur leur premier titre, Les Apaches de Paris !
Un Paris animé
Dans ce jeu de bluff, de déduction et de majorité, vous allez contrôler des gangs parisiens de la Belle Epoque cherchant à rafler le maximum de pépètes à travers la capitale. Lors de chacune des trois manches du jeu, il est possible de rafler une récompense par quartier, et seul celui qui aura envoyé le plus d'hommes aura la primeur de repartir avec. Mais n'allez pas croire que le pactole se terre à chaque coin de rue : Si on peut trouver dans ces "butins" des billets de banque ou la possibilité d'aller piquer dans les caisses de chacun de ses adversaires, on peut aussi subir des désagréments plus fâcheux, comme une visite à l'hôpital, un passage en prison ... voir la mort définitive !
Tout le système de Les Apaches de Paris, hérité en grande partie du jeu de cartes The Boss commis par ce duo de "tontons" auteur / illustrateur en 2010, repose ici sur un grand plateau de Paris qui indique quelles types de récompenses peuvent être trouvées dans chaque quartier. Au début de chaque manche est retirée une tuile butin aléatoirement de chaque quartier pour servir de récompense, puis les joueurs vont procéder à plusieurs tours de table pour se répartir les autres tuiles comme informations sur ce qu'il n'est pas possible de récupérer (logique).
À son tour, un joueur à la possibilité de soit placer autant de ses meeples Apaches dans un quartier, soit déplacer 1 ou 2 Apaches venant d'1 ou 2 quartiers vers 1 ou 2 quartiers adjacents, et ce sans jamais créer d'égalités numériques. Quelque soit sa décision (il ne peut rien faire s'il le souhaite), le joueur doit par contre révéler ensuite l'une des tuiles butins dont il avait pris connaissance au départ, ce qui va au fil des tours permettre de déterminer la nature du butin dans chaque coin de la ville.
Les Apaches de Paris intègre deux quartiers sans planques qui fonctionnent un peu différemment. On a d'un côté le quartier des bourgeois (numéro 9), qui offre à son vainqueur le droit de prendre un jeton dont le contenu ne sera dévoilé qu'à la toute fin de la partie. Et il y a aussi le quartier du receleur, qui permet au joueur de majoritaire de remporter un bonus de 250F par cambriolage réussi lors de la même manche.
Lorsque vient le dernier tour d'une manche (chaque joueur n'ayant plus qu'un jeton tuile devant lui), l'ordre du tour est modifié de telle sorte que le joueur qui a le plus d’Apaches encore en réserve joue en premier, et celui qui en a le moins joue en dernier. Après la détermination des vainqueurs de chaque quartier, toutes les tuiles sont remélangées face cachée et replacées sur le plateau, et on repart pour une manche (si ce n'était pas la dernière) !
Le gang fait bang*
Les Apaches de Paris est indiscutablement une bien belle surprise. Derrière ses règles simplissimes à assimiler se cache un joli jeu d'ambiance qui ne manque pas d'une certaine assise tactique. Un aspect que l'on retrouve à la fois dans la mécanique de contrôle de territoire, qu'il va bien falloir négocier avec seulement 7 Apaches permanents (qui reviennent entre chaque manche) et 3 Apaches novices (une utilisation) pour toute la partie. Mais surtout en essayant de jouer au maximum de subterfuges pour tromper ses adversaires afin de les aiguiller sur de mauvaises pistes, tout en essayant de cacher son jeu et se garder des possibilités de se déplacer en masse en fin de manche quand les bonnes planques se révèlent.
Je ne vous cache pas qu'il vous faudra peut-être quelques dizaines de minutes pour oublier cette impression (usurpée) de jouer à l'aveugle, et réussir à prendre un peu le dessus sur un hasard qui biaise forcément l'équilibre de la game (je me mets au canadien, bonne résolution de l'année). C'est sûr que si vous tirez par exemple toutes les mauvaises tuiles de deux quartiers en début de manche, vous obtenez un certain avantage stratégique sur un joueur qui lui n'aura réussit à obtenir qu'une information lambda sur chaque coin de la ville.
Mais cela ne veut pas dire que la partie est actée, et Les Apaches de Paris promet assez de rebondissements (via le jeu du bluff, des intox et des majorités directes qui peuvent vite tout renverser) pour offrir des parties animées où le vainqueur ne se décidera souvent que dans les derniers tours.
Pour toutes ces raisons je ne peux trop vous conseiller de jouer à Les Apaches de Paris que dans sa configuration maximale (4 joueurs), qui est vraiment la seule à valoriser au mieux l'interaction indirecte qui fait le sel du titre. Dommage par contre que l'on ne puisse y jouer à plus (au moins 6), c'est bien le genre de jeu malin, hyper facile à sortir et communicatif qui se prêterait idéalement à des grandes tablées de fin de repas chargés.
Et comme si le plaisir des mécaniques ne suffisait pas, j'aimerai louer la grande qualité matérielle de Les Apaches de Paris, des meeples au rendu très sympa jusqu'à la boîte à ouverture atypique qui fait son petit effet. Le travail d'illustration général, à la fois coloré et retro, sied lui aussi parfaitement à l'esprit de cette période folle que Tony Rochon a bien fait d'édulcorer pour rester bon enfant (pas sûr que les habitants de l'époque dormaient sur leurs deux oreilles avec autant de gangs sans limites traînant dans les rues ...). Un choix gagnant, puisque malgré son thème "rude" le jeu a clairement toutes les chances de plaire à la majorité, tout en ne choquant personne.
Un jeu qui prouve au final qu'avec de belles idées mécaniques, de réelles convictions et une vraie passion, il est possible de sortir du lot de la masse tout en proposant des titres marquants. Reste à accepter de s'acquitter de quelques euros de plus par rapport à la moyenne pour participer un tout petit peu à la préservation de notre lieu de vie. La balle est dans votre camp !
*je ne l'assume pas forcément celle-là, mais faute de mieux ...