
Malgré ce que les larges sourires affichés sur la boîte du jeu semblent affirmer, la ruée vers l'Ouest américain de personnes en quête de richesse (ou au moins d'un avenir meilleur) n'a jamais été une promenade tranquille. Vols, famine, conditions météorologiques désastreuses, maladies, ... ces aventuriers intrépides se sont frottés à des dangers peu enviables, en ayant toujours cet infime espoir d'arriver à destination et de débuter une nouvelle vie.
C'est à ce voyage périlleux que va vous confronter Les Pionniers, un jeu de course aux points mêlant draft de dés et micro gestion de ressources. Où votre but va être de profiter du voyage pour développer votre expédition, améliorer votre renommée, tout en gardant en vie votre bétail et les habitants qui accepteront de vous accompagner !

Alerte intempéries
Les Pionniers c'est d'abord l'addition d'un plateau individuel par joueur (pour le développement de sa colonie) et d'un double plateau central, pour le scoring général et la gestion des actions, des villes, des habitants et des équipement. Et un jeu qui s'inscrit dans un cycle fixe de 20 tours, découpés en 4 semaines de 5 journées chacune.
Avant le début de chaque semaine, tous les dés sont remis dans le sachet opaque si besoin, et le plateau principal est renouvelé avec une nouvelle salve de cartes villes, pionniers et équipements, qui pour ces deux derniers viennent remplacer ceux déjà sélectionnés ou qui n'ont pas trouvé preneur lors de la semaine précédente.
Au lever du soleil, le joueur disposant du "fer à cheval" tire autant de dés qu'il y a de joueurs plus un supplémentaire et doit les lancer, avant que chaque joueur à son tour en sélectionne un. Chaque face de dé coïncide avec l'un des six emplacements distincts du plateau principal, et permet au choix de réaliser l'une des trois actions activables de la case que sont prendre l'argent indiqué à son sommet, effectuer l'action de l'icône ou recruter l'éventuel carte Pionnier situé juste en dessous (si encore disponible).

Ces actions, hors celle bonus qui permet de choisir celle que l'on veut, sont chacune liée à l'obtention d'une des ressources du jeu, à savoir piocher 1 jeton or du sac jaune, sélectionner 1 tuile équipement disponible ou prendre 1 bétail, 1 bois ou 1 remède de la réserve. Chaque grande ressource récupérée lors de la partie doit être stockée dans un emplacement libre de l'un de vos chariots (alors que les petites peuvent être stockées par paire), hors bétail qui suit votre
À noter qu'à tout moment, un joueur peut dépenser trois pièces pour changer la valeur du dé choisi si ce dernier ne lui convient pas et acheter autant qu'il le peut de petit et grand chariot, moyennant 5 ou 8 pièces chacun.
Reste que le dernier dé restant participe à ce qui fait la "dramatique" de Les Pionniers : Faire avancer d'une case le jeton désastre correspondant à sa couleur, voir les quatre en même temps s'il s'agit d'un redoutable dé noir. Dès qu'un marqueur de "calamité" atteint la fin de sa piste, il peut déclencher selon la couleur une tempête, un pillage, une famine ou une maladie, pouvant impacter respectivement vos chariots, votre argent, votre bétail ou vos habitants si vous n'avez pas une ressource correspondante 1 pour 1 à vous délester (seul le vol ne peut-être contré).

Si plusieurs désastres sont déclenchés au cours d'un même tour, ils sont effectués dans l'ordre de haut en bas de la piste. Dans tous les cas, le jeton désastre correspondant est remis ensuite au début de sa piste. Lorsqu'une journée prend fin, tous les dés utilisés sont écartés, et le joueur à gauche du précédent tireur récupère le "fer à cheval" qui lui permet d'effectuer un nouveau tirage de dés... à moins qu'il y en ait plus dans le sac, signe que le week-end est arrivé.
Vient alors une phase intermédiaire où chaque joueur va pouvoir profiter une fois de chaque condition de troc indiquée sur les cartes villes pour gagner des faveurs, des jetons échangeables en fin de partie contre des points de victoire, puis ensuite remporter un point par bétail encore vivant sur son plateau personnel. Avant de passer à une nouvelle semaine.
Si par contre on venait d'atteindre la fatidique fin du mois, une phase d'ultimes désastres vient incrémenter chaque marqueur désastre d'un carn avant de passer normalement à la visite des trois villes disponibles pour la fin du jeu. On procède alors au décompte final, qui tient compte du pécule déjà récupérée durant le jeu auquel au ajoute 2 points par faveur, 1 point par pépite visible sur ses jetons or et les points de ses colon. On retranche ensuite les éventuels malus liés aux dégâts de chariot (à cause des tempêtes), et le plus haut score désigne le meilleur pionnier !

L'autoroute du soleil
Les Pionniers a cette grâce de raconter admirablement une histoire. Celle de personnes en quête de renouveau qui partent à l'aventure au départ avec leur petit chariot, quelques objets et surtout beaucoup d'espoir. De fil en aiguille, de rencontres qui vont faire grossir vos rangs, de trouvailles qui vont vous permettre d'investir, d'escales qui vous vous aider à vous créer un statut, votre chariot va devenir caravane, votre saut dans l'inconnu va devenir véritable projet, vous simple paysan allez devenir quelqu'un.
Avec finalement peu d'artifices mécaniques, Les Pionniers sait embarquer dans son monde tout en offrant matière à prendre des décisions. Les règles restent néanmoins accessibles et permet au jeu de trouver le bon équilibre entre planification court / long terme et la chance des dés, finalement pas si impactante que cela vu les nombreuses possibilités d'esquiver son courroux (avec notamment les faces bonus voir la possibilité de payer pour retourner un dé).

Cette course à la renommée se montre malheureusement assez solitaire dans l'ensemble. On développe du bétail, on achète des fournitures, on développe son cortège véritablement dans son coin, sans pouvoir agir de face avec ses compagnons de voyage pour leur mettre des bâtons dans les roues. Mais reste tout de même qu'une certaine interaction indirecte est tout de même présente pour animer le périple de chaque troupe. Car si la course aux meilleurs équipements et "habitants" hantera tous vos choix, il ne faudra jamais oublier la possibilité qu'aura le dernier joueur de laisser un dé pouvant provoquer volontairement un désastre !

À cet égard, le jeu peut peut-être d'ailleurs se montrer un peu intimidant pour des moins joueurs, par cette tension que peut provoquer ces catastrophes et le fait de devoir passer son temps à anticiper pour ne pas se retrouver sans les bonnes ressources à l'heure de subir la vengeance des éléments. Mais le tempo du jeu, alternant les phases de développement et de préparation aux désastres se prend finalement rapidement en main. Et fait de Les Pionniers un titre totalement dimensionné pour correspondre au plus grand nombre, les cercles d'amis ou familiaux ayant déjà un pied dans le jeu moderne en cible prioritaire.

En tout cas, le jeu jouit d'une thématisation visuelle impeccable. Quelque part entre le tracé main levé de Colt Express et la gaieté pastelle d'un Discoveries, les illustrations des nouveaux-venus Sergi Marcet et Guille Longhini tapent indiscutablement dans le mille, faisant presque passer cette fuite en avant au futur largement compromis comme une promenade estivale bucolique à laquelle on aimerait tous participer. Si on peut regretter quelques choix ergonomiques fâcheux (avec certaines couleurs et le rangement), le matériel a été pensé avec soin, les pièces en carton quintuple épaisseur en tête !

J'apprécie dans Les Pionniers la vraie rejouabilité offerte par la présence d'une palanquée de personnages aux conditions de départ légèrement différentes, et que l'initialisation requiert le tirage de deux paquets d'habitants aux caractéristiques variées. Par contre j'ai quand même un doute sur l'équilibre globale des moyens de scorer.
Après quelques parties, certaines stratégies axées sur les faveurs et l'or, impossibles à perdre, me semblent en effet beaucoup plus prolifiques que celles autour des trop hasardeuses ressources pouvant souffrir des désastres comme le bétail, le bois ou les remèdes. L'argent, c'est peut-être le pire, car il se montre étonnamment inutile dans le comptage final, alors que je reste pas mal convaincu qu'un pionnier ne cracherait pas sur un petit pécule de départ dans sa nouvelle vie.
Une impression "douce-amère" qui ne doit pas gâcher le plaisir de s'essayer à Les Pionniers qui, à défaut de ne pas pousser le curseur du labeur du voyage assez loin pour un fan de reconstitution historique, laisse une assez grande place au hasard pour rendre le voyage surprenant. Et lui permet surtout de trouver une place au rayon des très bon jeux poids moyen tout terrain et tout plaisir de cette année !


