Je suis un vrai gosse des années 80. Et de ce fait, il suffit de la simple évocation d'un héros avec un fouet et un chapeau, d'un temple perdu au fin fond d'une jungle pas très amicale, pour que je pense tout de suite à Indiana Jones.
Un personnage culte du cinéma de l'époque qui aura marqué mes yeux d'enfants, a tel point de murir en moi des rêves d'archéologie, de découvertes de civilisations perdues et de trésors inestimables ... rapidement mis à mal par un système scolaire qui ne proposait pas l'option balade à travers le monde, et une certaine aversion pour les avions.
Alors forcément, Les Ruines Perdues de Narak, avec son explorateur tout heureux de découvrir un dragon en pierre sur la boîte, a remué une certaine nostalgie en moi. Jusqu'à me faire regretter de ne pas avoir suivi une voie toute tracée (au moins dans ma tête) ?
La dernière croisière
Les Ruines Perdues de Narak propulse les joueurs dans les bottes d'explorateurs intrépides et surtout cupides, bien décidés à ramener moult pactole en explorant l'île mystérieuse ... d'Arnak (dans sa version originale), renommée exclusivement pour le marché français à cause de consonnances il faut le dire un chouïa contre-marketing. On est d'accord.
L'objectif du jeu est courant pour le genre, être le joueur avec le plus de points de victoire à la fin du cinquième tour de jeu. Et pour cela pas le choix : vous allez devoir passer l'île au peigne fin, récupérer le plus de ressources possibles afin de les échanger contre des connaissances et des artefacts légendaires. Et ainsi prouver que vous méritez bien votre troisième flocon... euh masque maya en archéologie moderne !
Les Ruines Perdues de Narak fusionne deux mécaniques phares du jeu de développement, que sont la construction de deck et le placement d'ouvriers. Le plateau de jeu principal se divise en trois zones que sont la carte de l'île, la piste de recherche et un double marché objets / artefacts de six cartes maximum, et dont la répartition évolue au fil des tours.
Chaque joueur débute sa partie avec un petit plateau de gestion individuel et le même paquet identique de six cartes, dont il en tirera 5 au début de chaque tour. Chaque carte peut être utilisée soit pour ses capacités, soit pour ses icônes de locomotion - il y a quatre symboles différents en tout, la marche, la voiture, le bateau et l'avion -, qui permettent de rejoindre les différents sites de l'île.
Découvrir un site vierge et excaver un site connu sont deux actions de déplacement qui nécessitent ces icônes plus la pose d'un ouvrier sur l'un des emplacements libres du site visé. Les deux permettent de récupérer le lot de ressources indiqués sur l'emplacement. Mais la première, si elle peut permettre de récupérer en plus un jeton idole (offrant divers bonus et pouvant servir d'action gratuite ultérieure), oblige le tirage d'une tuile gardien aléatoire, qui doit être vaincue durant le tour courant sous peine de récupérer une carte peur dans son deck (action vaincre un monstre).
Jouer une carte de sa main (pour sa capacité) ou acheter une carte du marché sont deux des six actions principales possibles. Toutes les cartes récupérées sont placées directement au sommet de sa pioche personnelle. Les cartes objets sont achetables via des pièces, et ne sont activables qu'une fois piochées. Alors que les capacités des cartes artefacts, qui demandent à dépenser des boussoles, s'activent automatiquement et peuvent être réactiver ultérieurement une fois de retour en main, en payant le coup supplémentaire en tablettes (l'une des trois ressources de progression avec la pointe de flèche et le joyau).
Je finirai par évoquer l'action Rechercher, qui permet de faire progresser au choix son jeton loupe ou calepin sur la piste du même nom. Rendu possible en payant le coût indiqué au bas de la case visée, elle octroie un bonus particulier en plus d'un éventuel jeton ressource si on est le premier à l'atteindre. C'est par ce biais uniquement qu'un joueur peut récupérer jusqu'à deux assistants sur son plateau personnel, des tuiles aux capacités exclusives que l'on peut déclencher ensuite en plus de son arsenal de base.
Dans tous les cas, un joueur est obligé (quand il doit agir) de réaliser une action principale, puis choisir d'effectuer ou non un nombre illimité d'actions gratuites (symbolisés en général par un éclair). Avant de passer la main à son voisin de gauche.
Si à un moment donné il ne peut plus effectuer d'action ou ne souhaite plus en faire, il doit passer son tour : Il devient alors inactif jusqu'au moment où tous ses adversaires décident aussi de passer. On prépare alors le tour suivant en récupérant ses ouvriers, re-piochant cinq nouvelles cartes de son deck, tout en passant le jeton premier joueur au suivant dans le sens horaire.
Le Royaume de la panne de cristal
Avant tout chose, je tiens à vous prévenir que Les Ruines Perdues de Narak n'apporte rien de nouveau dans le monde du jeu "expert", et ne vous surprendra pas avec une quelconque originalité ou façon de fonctionner qui vous fera tomber de votre chaise.
Pour autant, je n'ai aucun mal à dire que c'est un excellent jeu eurogame, qui réussit à allier un parfait dosage dans les mécaniques utilisées à une thématisation réussie, totalement en adéquation avec l'aventure que l'on tente de nous faire vivre.
S'il est vrai que les ressources cartons font un peu "cheap", le travail sur les ressources, les illustrations en général, et le soin apporté à l'ergonomie globale sont d'un tout autre calibre, et participent grandement au plaisir de jouer.
Alors oui, en tant qu'éternel insatisfait et grand fan de jeux épiques à la Bidenoise, j'aurai adoré voir une partie exploration un peu plus ardue et gratifiante dans son déroulé. Et avoir la possibilité de découvrir des monstres spécifiques en atteignant les régions les plus reculées de l'île.
Mais Les Ruines Perdues de Narak reste avant tout un jeu de gestion "à l'allemande", même si une certaine dose de hasard plus haute que la moyenne a été sciemment intégrée pour créer de la tension. Et peut réserver des (mauvaises) surprises, dans l'apparition des gardiens notamment, sans toutefois nous permettre de lui reprocher tous les efforts faits pour donner corps a des mécaniques (je le redits) parfaitement équilibrées et bien senties.
Reste tout de même que quelque soit ses qualités, il ne faut pas prendre le jeu pour ce qu'il n'est pas.
N'achetez pas le jeu si vous êtes attiré seulement par son côté deck-building. Les Ruines Perdues de Narak a beau nous imposer de récupérer de meilleures cartes pour progresser plus facilement, vous n'aurez au mieux qu'une quinzaine de cartes a tout casser en fin de partie. Et si vous espérez tout de même créer avec des combinaisons folles ou mettre en marche un moteur infini à actions ou points de victoire, c'est raté : Les cartes servent uniquement à nous donner plus d'air et de latitude dans l'obtention de ressources nécessaires à la réalisation de votre stratégie.
Les Ruines Perdues de Narak n'est pas non plus ce jeu qui offre constamment pléthore d'actions, et qui permet au joueur d'accumuler des richesses à outrance et passer sa partie à choisir quelles cartes indécentes il va pouvoir acquérir.
C'est indiscutablement un jeu de réflexion solitaire, à décisions toujours cruciales et à flux de ressources constamment tendus. De votre première action à la fin de la partie, chaque denrée ou menu monnaie se montrent difficiles à obtenir, chaque carte un tant soit un peu puissante vaut une blinde pour votre bourse du moment, et chaque déplacement de l'un de ses deux ouvriers est a sous-peser plusieurs fois avant d'agir.
Avoir assez de pièces pour acheter la carte qui desserrera un peu le nœud de cravate qui vous égorge depuis les premières minutes est bel et bien le seul petit plaisir coupable que vous aurez durant la partie. Un petit côté "masochiste" assumé et un rythme un peu trop lent pour mes goûts personnels, mais qui fait excellemment bien le travail pour tout ceux qui cherchent une gente dame qui ne s'offre pas au premier venu.
Et malgré cette certaine complexité dans l'approche mentale, il faut tout de même reconnaître que Les Ruines Perdues de Narak s'apprivoise assez facilement quand on a déjà "tâté du genre", et offre une variété appréciable de moyen de scorer des points. Acheter des cartes, récupérer des idoles, tuer des gardiens, faire évoluer ses connaissances, ... un large panel de stratégies sur le long terme s'ouvre à vous, même s'il me semble après deux parties qu'une piste (dont je tairai le nom pour ne rien divul-gâcher) me semble un peu trop incontournable si l'on vise une victoire probante.
Les auteurs ont tout de même eu la bonne idée de proposer un plateau alternatif (au dos du plateau principal) qui redistribue un peu les cartes. Cela ne changera peut-être pas votre façon de jouer, mais cela a le mérite de décupler l'envie d'y retourner pour se reprendre pour son archéologue intrépide préféré !