
Vous connaissiez Trek 12, le jeu d'exploration et de scoring ? Découvrez Trek 12, le jeu ... d'affrontement ! Et c'est tout sauf un euphémisme, puisque Bruno Cathala (son auteur) a complètement repris sa mécanique de roll & write dans Lumen, un projet co-signé avec Corentin Lebrat pour les "bucherons" du jeu de société.
Si vous n'avez jamais joué au jeu d'alpinisme sur papier, sachez qu'elle implique à chaque tour que le premier joueur lance deux dés et applique une des opérations inscrites sur son plateau personnel (en ayant préalablement cochée la première case disponible). Addition, soustraction, multiplication, sélection du plus petit ou plus grand chiffre des deux, sont les 5 actions possibles du jeu, et débouchent toutes sur une "valeur" que le joueur doit ensuite reporter sur une fiche pleine de ronds, avec l'obligation de l'inscrire dans une cellule adjacente à une cellule précédemment remplie (sauf la première fois bien sûr).

Le but ultime de tout cela, est de réaliser des zones de cellules de même valeur (à remplir ensuite par un motif unique pour les repérer facilement) ou des chaînes de valeurs croissantes (liés par des traits). Mais la comparaison s'arrête là.
Car si dans Trek 12 ces regroupements n'avaient une incidence que lors du scoring final, dans Lumen chaque évolution significative va avoir un impact direct sur le champ de bataille. C'est la grosse nouveauté de Lumen, une map monde commun qui consiste en un montage de tuiles choisies au départ (depuis l'onglet scénarios), et sur lesquelles les troupes de chaque joueur vont se disputer la majorité de chacun des territoires présents pour obtenir les points de victoire inscrits dessus en fin de partie.

Créer ou agrandir une zone permet d'obtenir un renfort pour chaque nouvelle cellule considérée. Le premier joueur peut alors choisir un ou plusieurs de ses combattants disponibles (zone de réserve pour les unités de base, zone de Haut commandement pour les unités spéciales) et l'affecter à un territoire déjà occupé par au moins une de ses unités.
Créer ou agrandir une chaîne de valeurs qui se suivent offre, elle, la possibilité de choisir entre déplacer un combattant sur un territoire adjacent, ou de déclencher ses capacités spéciales (inscrites dans le coin supérieur gauche). Voler, repousser, détruire définitivement, ... le jeu intègre un panel de pouvoirs variés qui, dans tous les cas, oblige à retourner l'unité sur sa phase inactive après utilisation.
Une fois que le premier joueur a effectué toutes ses actions, le second joueur peut alors réaliser son tour, sous contrainte de ne pas choisir la même opération que son adversaire. Reste ensuite à déterminer le premier joueur du tour suivant, qui revient à celui qui contrôle le territoire arborant le jeton d'initiative. Ou à défaut, à celui qui était deuxième joueur au tour courant.

Et autant mettre directement les doigts dans la prise, j'ai été autant agréablement surpris par Lumen que je n'adhère pas à plusieurs choix de gameplay.
Le gros point positif du titre selon moi, c'est d'avoir réussi à intelligemment transformer la mécanique de roll & write chère au roi du jeu abstrait en un système de sélection d'actions aussi grisant qu'intéressant, et qui demande à prendre de vraies décisions (même s'il reste au final limité à 3 actions).
Car la partie cochage "allégée" est bien contrebalancée par une richesse de tuiles qui a un réel intérêt ludique (que ce soit par les pouvoirs de troupes, des jetons actions d'éclat et objectifs ...), et surtout par une mécanique de déblocage d'emplacements spéciaux et une course aux jetons découvertes qui donnent à l'ensemble une vraie profondeur stratégique.

Et si on y ajoute une direction artistique qui fait très bien le job (avec un petit crush pour la couv'), je n'ai pas aujourd'hui l'impression de m'être déjà essayé à un jeu de contrôle de territoires qui génère un tel intérêt mécanique et une aussi jolie tension à 2 joueurs seulement.
Mais pour autant, pas mal de choses me chiffonnent dans ce Lumen.
Il y a d'abord ce système de 17 tours fixes. Son avantage indéniable, c'est d'éviter les heures sup' malheureuses tout en proposant un jeu dimensionné pour être sorti avec tout type de public. Une qualité malheureusement un peu brimée par le dimensionnement de la carte, qui a tendance à favoriser la conquête des espaces libres (beaucoup plus avantageux), pour ne finalement réserver la richesse du système combat / pouvoirs au "money-time" ou cas de force majeure (la conquête d'un butin de grosse valeur par exemple).

Côté roll & write, je trouve aussi dommage que le développement de grands ensembles ne soit pas autant valorisée que dans Trek 12. Ici, véritablement, créer est plus avantageux que de pérenniser (car vous obtiendrez toujours deux actions au lieu d'une), ce qui par exemple force rapidement à réaliser des micros-chaînages de 2 chiffres au lieu s'échigner à réaliser un cordage de 0 à 12 (le genre de petits plaisirs que l'on prenait dans le matériau de base).
C'est sûr, cela rend la génération d'actions moins contraignante, plus "universelle", tout en permettant aux joueurs de se concentrer sur l'aspect bataille (le nerf de la guerre). Mais à titre personnel, je ne cacherai pas que cela a finit par me faire douter de l'intérêt de sous-utiliser un système aussi "complexe", à part bien sûr pour le plaisir de revoir une mécanique qui a fait largement ses preuves.

Et je ne peux pas finir ce test sans parler de ces jetons spéciaux, qui ont une furieuse tendance à déséquilibrer pas mal de parties. Et pourtant, l'idée sur le papier est pourtant bonne, en essayant de pousser les joueurs à ouvrir leur zone de Commandement pour s'offrir des jetons puissants qui peuvent dynamiser les débats.
Mais au delà du tirage depuis un sac opaque totalement aléatoire (et donc souvent injuste), le sac se permet de proposer des jetons missions capables de générer bien trop de jetons objectifs (une autre source de lumens) par rapport à la mécanique de combat. Et cas avéré, jusqu'à en venir à des parties où un de ces jetons m'a offert plus de lumens plus que tous mes territoires réunis !
Avec tout ça, je ne me vois malheureusement recommander Lumen qu'aux fans de Trek 12, ou à ceux qui cherchent un jeu d'affrontement original où le voyage (développer son "empire", jouer avec sa feuille et ses dés) compte beaucoup plus que la destination (la victoire territoriale, le scoring), une vraie source de frustration. Reste que si vous êtes curieux ou suiveurs des deux auteurs, l'originalité de Lumen est notable, la découverte reste chouette, et le jeu a de vraies bonnes idées sous le capot !

