Maracaibo
Alexander Pfister, vous connaissez ? Certainement que oui, vu la ludographie déjà bien remplie du bonhomme (Mombasa, Isle Of Skye, Blackout: Hong Kong ...) et le fait que Maracaibo, son petit dernier, est attendu en français de pied ferme par une horde de fans pour mai 2020 (en espérant qu'il ne soit pas repoussé à cause des tragiques événements actuels).
J'ai tout de même eu la chance de m'essayer une partie à la version originale (en anglais avec beaucoup de textes, avis aux impatients), et je peux déjà vous le dire : c'est du lourd !
GWT 2.0
Si vous avez déjà joué à Great Western Trail, le plus gros succès (mérité) de l'auteur autrichien, vous ne serez clairement pas dépaysés avec Maracaibo, qui est clairement une version 2.0 survitaminée du très réputé simulateur de gardiennage de vaches.
Mais ici exit le Far West, vous prenez ici place dans une course navale à la gloire dans les Caraïbes en guerre du 17ème siècle. Et il y a des choix à faire dans ce monde hostile : Effectuer des quêtes, étendre votre renommée militaire contre trois nations, livrer des marchandises, recruter des assistants, améliorer vos capacités (par différents moyens), récupérer des artefacts, … Maracaibo passe un cap dans l'incitation mentale en proposant un nombre d'axes de développement décuplé par rapport à son aîné.
Rien que la zone de jeu donne le tournis : Outre le circuit de progression hérité de GWT (que chaque joueur arpente à sa vitesse pour bénéficier des avantages des points d'arrêts préférentiels), on peut progresser sur pas moins de 6 pistes différentes. Et ça c'est sans compter sur son plateau personnel, qui permet de développer son navire, glaner des points de victoire supplémentaires, et qu'il ne faut surtout pas négliger si vous voulez lutter jusqu'au bout.
Et alors que dans Great Western Trail la partie deckbuilding était cruciale mais limitée, on se retrouve dans Maracaibo avec une gestion de main de cartes encore plus déterminante. Chaque carte « projet » est en effet multi-usage et contient en général un bien (personnage ou bâtiment), que l'on peut activer moyennant finance afin de bénéficier de bonus immédiats ou de synergies sur le long terme, et deux ressources, qui peuvent être livrées pour valider une quête ou profiter de l'avantage d'une ville réclamant cette ressource.
Ne vous y trompez pas, sous ses airs de jeux d'exploration et de course gentillet, Maracaibo est un vrai et gros jeu de développement de moteur sur le long terme, qu'il est facile de rapprocher de Terraforming Mars justement pour cette utilisation des cartes. On peut d'ailleurs revoir une petite influence bien sentie avec l'apparition de cartes carrière, plutôt ouvertes mais qui dicteront forcement votre façon de jouer pour maximiser vos points.
Une (r)évolution ?
On sent avec Maracaibo que Pfister a voulu y mettre tout ce qu'il avait aimé développer dans ses précédents jeux (le système de nations de Mombasa, les cartes « projets » de Oh My Gods, le circuit de GWT), et qu'il a profiter de son nouveau jeu pour bonifier ses meilleurs concepts.
Un exemple tout bête, le fait que dans Maracaibo un joueur qui arrive au bout du circuit siffle désormais automatiquement la fin du tour pour tous les joueurs. Cela paraît anodin de prime abord, mais cela créé une peur constante de ne pas pouvoir faire tout ce que l'on veut qui ajoute une petite surcouche d'interaction directe pimentée vraiment bien trouvée.
Le jeu intègre aussi un petit système de campagne (facultatif) qui rajoute des quêtes scénarisées offrant de sérieux bonus à ceux qui les acceptent (et les réussissent). Je vous avouerai que cette composante "historique" ne m'a pas plus emballé que cela durant ma session, mais elle offre quand même le gros avantage de faire évoluer le plateau et ainsi offrir un certain renouvellement à chaque fois que vous ressortirez la boîte.
Ce qui est fou avec Maracaibo, c'est que les règles sont finalement assez simples. A son tour on avance de une à sept cases, on effectue les actions possibles offertes par notre destination et son type, et on jette les cartes en trop de notre main.
Mais malgré cela, attendez vous lors de votre première partie à vous sentir écraser par le jeu. Par le fait d'avoir tout le champ des possibles ouvert dès votre premier tour (alors que souvent les possibilités sont moindres au début d'un jeu). De devoir acheter des cartes dont vous ne connaissez pas les bénéfices et les synergies véritablement possibles pour la suite de votre partie. Ce n'est bien sûr pas un défaut, cela témoigne de la profondeur de l’œuvre, mais il vaut mieux savoir que Maracaibo n'est pas du genre à se livrer facilement avant de se lancer ou de proposer le jeu autour de sa table.
Car ce qu'il faut surtout noter, et qui s'avère être le seul reproche que je ferai, c'est que le jeu ne vous aide pas beaucoup à l'apprivoiser. Je vous conseille vivement d'apprendre le jeu via un joueur expérimenté, tant Maracaibo regorge de subtilités et que l'ergonomie globale fait vraiment défaut. Pêle-mêle, je citerai le livret de règles qui manque de clarté, les plateaux aides peu lisibles et clairs, et l’iconographie générale loin d'être un modèle d'ergonomie. Je ne vais pas trop m'attarder sur les petits jetons inutilisables et les choix de colorimétrie qui peuvent casser l'ambiance à une table où il y a des daltoniens (après c'est vrai c'est un peu de leur faute... :p).
Maracaibo reste pour moi une tuerie (positive), et va certainement devenir l'une des références du genre dans les mois à venir, surtout quand tous les français y auront goûtés. Par contre vous ne pourrez pas y jouer avec tout le monde, tant le jeu demande à mettre sa machine neuronale à plein régime si vous voulez profiter à fond de sa richesse et du défi qu'il propose. Mais n'est-ce pas ce qui fait la beauté des œuvres inaccessibles ?

