
Marrakesh, meilleur jeu de Stefan Feld ? Je ne m'avancerais pas du tout sur ce terrain là, car entre sa référence de l'Eurogame accessible Les Châteaux de Bourgogne, le mésestimé Trajan et ses nombreux jeux de ville (Bruges, Macao, etc...), chaque suiveur de l'auteur aura sa préférence.

Mais ce qui est sûr, c'est que Marrakesh en a sous le chameau*, en proposant un gameplay rafraichissant pour le genre capable de surprendre plus d'un fan du maître. Et certainement les autres aussi !
Entrée - Plat - Désert
Marrakesh, c'est du gros jeu de placement d'ouvriers où il y a du choix ... beaucoup de choix ! Faire grimper son Courtisan du Sultan sur les escaliers du palais ou éléver son Élève de l'Imam vers la Mosquée pour des bonus variés, faire un tour dans le désert pour se rajouter des conditions de scoring, construire des fortifications en échange de points de victoire et d'évolutions, ... votre plateau de jeu personnel contient pas moins de 9 zones où vous pouvez agir et dont vous pouvez faire évoluer la "puissance" au fur et à mesure de la partie.

Cette partie du jeu se base d'ailleurs sur un système de keshis, des jetons en bois de couleur qui une fois amassés vont soit faire augmenter une jauge, soit venir remplir un espace pour déclencher directement une sous action ou proposer une faculté pour le reste de la partie.
Ce qui est sûr, c'est que la variété est ici extrêmement appréciable, et que rien que pour les zones de remplissage, vous pouvez vous offrir plus de choix en activant le Carousel (Grande Place), utiliser les keshis comme monnaie d'échange (Souk) ou prendre connaissance de nouvelles tuiles avant activation (Sahara). Mais les pistes ne sont pas en reste, et il y a de quoi se faire de jolis noeuds en dentelle au cerveau en choisissant de progresser pour augmenter le nombre de ressources glanés (Verger de dattes), de vous faire passer sur des niveaux de tuiles de capacités supérieures (Medersa), ou avancer plus rapidement votre bateau pour une course au bonus qui se réinitialise entre chaque saison d'une partie (il y en a trois en tout).

Et le plus étonnant, c'est que ces keshis servent aussi ici à programmer ses ouvriers. Au début d'une saison, chaque joueur dispose de 12 keshis de couleurs différentes, et doit au début de chaque manche en choisir secrètement trois. Une fois révélés, il faut alors placer ses trois assistants sur les zones de couleur correspondantes de notre propre tableau.
Mais avant d'agir, on doit regrouper tous les keshis sélectionnés et les jeter dans la tour 3D prévue à cette effet. Une fois les keshis tombés, les joueurs choisissent chacun à leur tour jusqu'à deux keshis de la même couleur pour venir remplir automatiquement leur plateau personnel. Ce n'est qu'une fois tous les keshis attribués que le premier joueur du tour peut déclencher tous ses ouvriers, en choisissant de déclencher à chaque fois sa zone de placement ... ou prendre à la place un keshi bonus, qui viendra augmenter le curseur ou remplir un emplacement selon le type.

Cette manipulation dure 4 manches, le temps de se débarrasser de tous les keshis derrière notre paravent. Vient alors une petite routine où tour à tour, on évalue les positions sur la rivière (pour offrir la tuile bonus offerte au plus méritant), on paie les ressources indiquées par les tuiles Provision choisis en amont de la saison, puis on "nettoie" le jeu en reprenant notamment ... 12 keshis pour la saison suivante !
Sous le soleil, mais pas exactement ...
Vous cherchez un jeu où vous allez avoir tout le contrôle de votre première action au scoring final ? Marrakesh n'est pas fait pour vous.
Car on est ici sur un jeu où l'interaction passive et le hasard peuvent vite faire exploser en vol un plan savamment huilé. Symbole de cela, la tour à keshis, phase de jeu qui dépend tellement de ce que les joueurs vont vouloir en ressortir, et qui rajoute à cela la probabilité (faible et avérée) de ne pas recracher tous les tokens que vous espériez sélectionner (même en étant premier joueur de la ronde).

La conséquence ? Sauter sur l'opportunité de saisir deux keshis de la même couleur, profiter de la sortie d'une tuile de marché extrêmement attirante pour revoir son plan court terme, ... votre plan de départ va être régulièrement challenger, que ce soit par les événements en jeu ou le désiratas de vos concurrents qui ne se gêneront pas d'analyser votre plateau pour choisir, entre deux keshis de même valeur pour eux, celui qui vous contenterait le plus ...
Un keshi qui ne tombe pas, un tirage de tuiles Caravane initial ultra défavorable, un joueur qui vous pique volontairement l'élément phare de votre stratégie, ... vous allez souvent rager, c'est une certitude. Mais on ne peut nier que cela apporter une vie folle à ce Marrakesh. Et offre un gameplay vivace et demandant une adaptabilité à toute épreuve qui a la qualité de ne pas faire ressentir les quelques longueurs de tours qui surviendront certainement avec des joueurs peu réactifs.

Reste que si Marrakesh est assez surprenant dans son approche, cela reste du Feld tout craché. La salade de points est autant de la partie que ces moments de sollictude extrême quand le jeu vient vous punir d'avoir complètement loupé votre sélection de keshi (ou tout autre décision brisant totalement votre stratégie du tour en cours). Les passionnés de l'auteur auront la banane, les autres certainement moins, surtout s'ils apprennent dans la douleur de n'avoir pas les ressources nécessaires pour nourrir leurs habitants (et la conséquence peut faire très mal, sachez le...).
Après, malgré ses qualités, le jeu peut agacer par de vrais défauts ergonomiques. Il y a déjà l'iconographie pas toujours limpide et qui demande à revenir souvent dans le livret de règles. Il y a ces ressemblances bien trop proches entre certaines couleurs de keshis (blanc et beige) ou de symboles de tuiles (les deux types de joker, quelle horreur) qui peuvent découler sur de vrais problèmes d'appréciation. Et il y a ce matériel trop pléthorique pour le contenant et qui rend la mise en place et le rangement hyper laborieux ...

Mais à contrario, vous gagnez un jeu avec moult extensions bienvenues, un gameplay dodu (mais beaucoup moins complexe qu'il en a l'air) offrant une multitude de stratégies diverses, pour un jeu capable de combler un paquet des descendeurs de pistes rouges aimant régulièrement être poussés hors du sentier balisé.
Pour ma part le manque de présence du thème, les lourdeurs générales et les aléas du hasard sont un peu "too much" pour moi. Mais j'y jouerai toujours avec grand plaisir quand on me le proposera, car cela reste un grand Feld malgré tout !
* #jeudemotquejenassumepas #maisjelaimispartoutalorsobligé

