Je sais que je vais me mettre beaucoup de joueurs à dos, mais Reiner Knizia est vraiment tout en bas de la liste des auteurs qui me font saliver à l'annonce d'un jeu (après faut dire qu'avec 50 sorties par mois, j'ai peur de faire de l'hyperhydratation ...). Reste que dans MLEM : Space Agency, il y a des chats, et un thème espace, deux choses qui m'animent passionnément. Plus le choix alors, avec 2 pour 1 contre et une promesse thématique follement intriguante, je me devais d'envoyer un pigeon voyageur à mon vendeur préféré.
Et au delà de son univers un peu dingue, où les félidés, après avoir conquis la Terre, s'attaque à la galaxie tout entière, le jeu s'aventure mécaniquement sur le même terrain en vous mettant aux prises avec de la lutte de majorités ... et du stop ou encore ! Ici, et un peu comme dans Celestia, vous monterez à chaque tour dans l'aéronef d'un commandant tournant, et il n'appartiendra qu'à vous de le suivre aveuglement jusqu'à son objectif secret, ou sauter sur un astre en cours de route de peur de l'implosion inopinée (et pas moins douloureuse).
Première subtilité du jeu, chaque chastronaute * qui monte à bord sera à choisir parmi ceux restants sur votre plateau personnel. L'astuce, c'est qu'ils offrent tous une capacité unique pouvant soit bénéficier au commandant (comme le dé de valeur 1 ou décoller du satellite au lieu de la Terre), soit au joueur lui-même (comme le parachute ou le doublage de points si vous atterrissez sur l'astre correspondant). Ce n'est qu'une fois la navette prête que le commandant peut récupérer les six dés et débuter son ascension.
Après chaque lancer, le meneur du vaisseau doit séparer les dés par groupes de valeurs correspondantes et vérifier qu'au moins l'un des nombres affichés sous l'emplacement actuel du vaisseau correspond à un de ses dés, sous risque de voir le véhicule exploser immédiatement. Dans le cas où "l'aventure continue", le commandant a alors le choix de sélectionner autant de groupes valides qu'il le désire et avancer le vaisseau sur la piste d'autant de cases que la somme des dés retenus.
La tension monte d'un cran à ce moment-là, quand les joueurs sont invités, tour à tour, à choisir de sauter sur l'astre attenant (s'il y en a un), ou rester à bord en attendant le prochain lancer.
En cas d'abandon de navette, il faut savoir qu'il existe deux grands types d'astres, des lunes individuelles qui donnent directement des points de victoire, ou des planètes où une lutte de majorités se déclenche en fin de partie (avec priorité pour le premier arrivé en cas d'égalité).
Et avant de vous décider à faire confiance à votre commandant du moment, il faudra bien prendre en compte plusieurs choses. Primo, le fait qu'il ne pourra relancer que les dés pas encore utilisés depuis son décollage. Deuxio, qu'il pourra y ajouter cependant chaque dé précédemment tombé sur une phase flamme. Et tertio, qu'il aura toujours le droit de prendre un dé de la réserve ... si d'aventure il n'en avait plus un seul à jouer !
Clairement, je ne vais pas essayer de vous leurrer, MLEM : Space Agency ne révolutionne pas le genre du "push your luck", et ne donnera pas plus aux plus cérébraux d'entre vous assez de matière pour vraiment hésiter entre sortir ce titre ou l'un de vos Eurogames favoris. Cependant, j'ai été agréablement surpris par la somme de petites étincelles de décisions implémentées ici et là qui vont faire que le joueur sera vraiment sollicité, tout en lui offrant des moyens de faire de vrais choix tactiques tout en contrant un peu sa malchance aux dés.
Rien que négocier des contributions et réfléchir au bon chastronaute à envoyer en fonction de son placement dans la fusée et le choix des précédents joueurs, font quasi un jeu dans le jeu, avec sa dose d'encouragements intéressés, de manipulation des égos, de tentative d'extorsion des meilleures capacités du jeu. Mais sans nul doute, beaucoup de MLEM : Space Agency sera de savoir quitter la navette au moment idéal afin de récupérer un maximum de points.
Des choix qui seront obligatoirement à conjuguer avec une stratégie globale intelligemment ouverte par de nombreux axes de scoring (auxquels vous pouvez rajouter les lucratifs galaxies de fin de piste et les objectifs communs).
Et c'est là que je vous vois froncer d'un sourcil, avec l'envie irrépressible de crier cette question que vous ne vous posez pas : Avec ce thème dingue, ce matos hyper tactile, le jeu est-il finalement destiné aux familles ?
Si vos enfants / votre compagne(on) / vos cousins bourrés aiment prendre des risques, se vanner et se tirer la bourre dans des courses aux points aux rebondissements incessants, oui. Mais je pense que ce profil type est plutôt l'apanage de votre groupe de bons potes, vous savez, celui qui aiment jouer régulièrement avec vous sans vouloir à tout prix un jeu de 4h à table, pour qui le jeu est sérieux, mais qui ne se refusera pas à privilégier le moment sur un titre aussi déjanté.
Pour eux, je pense donc que vous devez avoir ce jeu dans votre ludothèque. Et avec son équilibre subtil entre punitivité et prise de décisions, vous garderez toujours une chance de le sortir avec des joueurs moins "connaisseurs" du genre qui ne sauront résister à cette couverture de boîte complètement "what the phoque". Et puis de vous à moi, je ne suis pas loin de penser que MLEM : Space Agency est l'un des meilleurs jeux de stop ou encore que j'ai essayé ces dernières années, tant il offre (enfin) au genre cette surcouche de contrôle qui lui va si bien. Faut juste trouver la bonne tablée pour en profiter ...
* C'est le nom donné dans la règle, j'aurai jamais trouvé un truc par moi même aussi bien ...