Si dans la réalité Puerto Rico est une île perdue entre deux continents, dans le monde ludique son influence notable a transpiré au travers de tous les terrains de jeu de la planète. Et dans cette course à "l'hommage", Tom Lehmann est indiscutablement celui qui a su le mieux profiter du génial système de sélection d'action de sa célèbre muse pour créer Race For The Galaxy, l'un des meilleurs jeux de développement combinatoire de sa génération.
Et le bougre ne s'est pas arrêté là. Car il a sorti quelques années plus tard Roll For Galaxy, une version décolorée à base de dés qui rendit le concept plus fun. Et surtout tout récemment New Frontiers, bien décidé à aller plus loin en piochant le meilleur de ses deux mondes de cœur. Le titre qui mettra tout le monde d'accord ?
De la simplicité dans la complexité
New Frontiers ne dépaysera aucun joueur s'étant déjà frotté de près ou de loin à un épisode de la saga du génial auteur allemand. Un esprit space-opéra "à l'ancienne" (sous titré visuellement), de la construction d'empires galactiques comme objectif de vie, de la colonisation de mondes pour produire des ressources et les faire fructifier, de la course aux points de victoire hexagonaux qui participent à déclencher la fin de partie ... tous les marqueurs "à la Race" sont présents (incluant l'iconographie exigeante et les tons grisâtres 80s habituels) pour glisser les habitués dans des chaussons moelleux à température auto-régulée.
Si vous n'avez jamais joué à un "Galaxy", sachez que vous n'avez ici à apprendre qu'une poignée d'actions. Explorer consiste à piocher des planètes dans un sac et en choisir une. Coloniser permet de gagner deux colons ou de coloniser une planète. Développer offre un petit tour payant du côté du marché des technologies. Produire déclenche la génération de ressources sur toutes les planètes n'ayant pas encore un bien dessus. Échanger et consommer permet de vendre une ressource et de déclencher toutes ses capacités nommées "consommer". Envoyer des émissaires offre 1 PV en plus de la place de premier joueur dans l'ordre du tour. Et s'isoler permet de récupérer 2 crédits.
Bien sûr il y a de nombreuses spécificités à saupoudrer sur toutes ces manipulations (liées souvent aux types de mondes, leurs capacités uniques et les 4 ressources de couleurs différentes du jeu). Mais le principe de base s'acquiert vite. Et le fait que chaque joueur sélectionne à son tour une seule action jusqu'au déclenchement de l'une des quatre conditions de fin de partie - dont plus de PV disponibles dans la réserve ou un joueur ayant acquis sa 8ème colonie - rend l'ensemble éminemment limpide.
L'ombre de Puerto Rico plane sur le jeu, elle, au travers de deux emprunts.
Le premier vient de l'arrivée de "vrais" plateaux personnels dans la saga, permettant entre autres de gérer l'acquisition / colonisation de ses mondes et ses tuiles technologies.
Le second est le retour (il n'est finalement jamais parti) de son célèbre système de jeu qui permet à tous les joueurs d'effectuer une version moins puissante de l'action choisie par le joueur actif. Celui-ci choisit la tuile explorer ? Il peut prendre une tuile planète de plus que ses adversaires (limités à 1). Celui-ci déclenche l'action produire ? Tous les joueurs génèrent une ressource sur chacune de leurs planètes de production, et l'initiateur gagne un cube sur l'un de ses mondes trouvailles en sus.
Le plaisir dans l'accessibilité
Et comme chaque action n'est disponible qu'une fois par tour complet de table, il va s'en dire que cette mécanique "puertoricienne" rend la phase de sélection toujours aussi stratégique, et tiraille sans cesse entre son besoin de valider au plus vite nos objectifs personnels et la nécessité d'empêcher ses adversaires de bénéficier de bonus bien trop parfaits pour eux.
L'esprit "course aussi grisante que tendue" de ses deux aînés est indiscutablement de retour, et est rendue encore un peu plus technique par la nécessité de choisir les bonnes évolutions et le bon chemin vers la victoire, tout en gérant continuellement ses maigres crédits et engrangeant un minimum de colons (indispensables pour rendre nos planètes "actives").
Mais cela n'empêche pas New Frontiers d'être ultra accessible. Non pas que le jeu semblera évident à votre arrière grand-mère dès la première partie (cela reste un jeu pour "connaisseurs"), mais parce qu'il offre dès le départ à chacun une planète qui peut l'aider à fomenter sa stratégie, et une vue sur l'éventail des technologies qu'il peut acheter durant la partie. Si on ajoute à cela le fait que 7 planètes sont tirées à chaque exploration, le jeu ouvre en tout temps l'univers des possibles aux futurs maîtres de l'univers en devenir qui pourront choisir une direction sans se soucier de pouvoir la mettre en œuvre (sous réserve que les autres joueurs ne leurs piquent pas tout le nécessaire, mais cela est un autre problème).
Et s'il n'y a nul doute à avoir, c'est un vrai plaisir de développer sa constellation de planètes, et voir peu à peu des synergies opérées entre ses différentes colonies pour répondre à ses besoins en PV, souvent la cible principale d'une partie réussie. New Frontiers permet tout de même d'engranger des points de multiples façons, et il n'est pas rare de se faire surprendre par un malotru qui arrive à se démarquer avec un complément de points de technologies ou de planètes "chères".
C'est tout le "kif" offert par ce New Frontiers qui est forcément décuplé par un matériel dantesque qui se la joue ultra présent, dès la boîte qui ne rentrera pas dans le salon d'une habitation tokyoïte traditionnelle. Des tuiles planètes d'au moins 10 cm de diamètre, des ressources en plastique transparent de taille étonnante, des petits colons par milliers ... Rio Grande Games a décidé de mettre le paquet pour convaincre les plus réticents, même si pour cela faire sacrifices (j'y viendrai à la fin).
De la lassitude dans l'évidence
Avec tout ça, New Frontiers est-il bien l'aboutissement de la saga initiée par Race For The Galaxy. ?
Oui et non. Ce qui est sûr déjà, c'est que New Frontiers est assurément un bon jeu. Course ouverte et passionnante au développement d'une utopie spatiale, le jeu sait se montrer aussi fun qu'accessible, et a toujours réussit à donner des sourires (autant de plaisir que d'excitation) à tous les joueurs auquel j'ai pu le faire tester.
Pour autant, New Frontiers est loin d'être parfait, et pourrait décevoir ceux qui cherchent une rejouabilité à tout épreuve. Car le jeu a beau proposer une base de factions variées et 60 planètes presque toutes différentes, on se rend vite compte que deux stratégies prédominent : La toute puissance militaire, souvent facilitée par le choix de la bonne planète de départ, et le moteur à ressources, que l'on peut transformer avec les bonnes capacités en usine à points de victoire.
Bien sûr, beaucoup de joueurs n'arriveront qu'à un entre-deux, n'ayant pas toujours la possibilité (ou la chance) de récupérer toutes les pièces du puzzle. Mais cela déçoit forcément quand on voit cette richesse amarante et cet amas de technologies de départ dont on se rend compte que la plupart n'ont pas vraiment d'intérêt.
Il faut dire aussi qu'avoir un jeu "ouvert" (avec justement toutes les tuiles développement visibles) casse un peu l'aspect guerre des étoiles pleine de surprises que l'on peut avoir avec un Race For The Galaxy (voir Roll For The Galaxy, pour les plus intimes). Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, mais touchera forcément plus les joueurs qui aiment construire leurs parties dès le départ sur la longueur.
Ce qui est un peu plus gênant est par contre le rythme un peu décousu du jeu. Les parties sont pourtant fluides dans l'ensemble, mais subissent souvent une grosse baisse de rythme quand il vient le temps de prendre connaissance des tuiles mondes tirées lors de l'action exploration, voir juste d'analyser les développements disponibles au lancement des hostilités.
J'apprécie d'ailleurs que ces petites tuiles proposent deux faces pour changer un peu la saveur de l'affrontement, mais je suis par contre beaucoup moins convaincu par l'extension objectifs, qui ne fait que rajouter qu'un hasard mécanique bien trop irritant quand on cherche un titre basé sur la réflexion.
Comme dit tout au long de ce test, New Frontiers reste un titre agréable à dérouler, qui conviendra à tout ceux qui cherche un Puerto Rico dans l'espace. Mais au jeu des comparaison, il reste bien en deçà de la richesse stratégique et du dynamisme de son parent Race For The Galaxy.
Et si tant est que vous soyez intéressé par le titre, la surproduction matérielle un peu inutile rend le ticket d'entrée vraiment peu abordable (surtout en neuf, en occasion ou en soldes la réflexion se justifie d'avantage). Et en plus comble du fan Ikea, il faut presque prévoir une étagère dédiée vu la taille déraisonnable de la boîte. Une décision à murir longuement, surtout quand on sait qu'on risque d'avoir le portrait d'un poulpe et du Joueur du Grenier à plein temps ...