An 1587 de notre ère. À Roanoke, une nouvelle colonie des Etats-Unis, la disparition d'un éminent explorateur attise les rumeurs de la présence d'une sorcière au sein de la communauté. Les villageois, aussi désemparées qu'en colère, recrute alors un chasseur de sorcières qui, après une enquête préliminaire, dresse une liste de 9 suspects et ne va pas tarder à se lancer dans une enquête approfondie. Mais ce qu'il ne sait pas encore, c'est que la sorcière est en train de préparer un rituel de renaturation pour prendre le contrôle des lieux. Qui sera le plus rapide pour réaliser son objectif ?
Si on est depuis plusieurs mois assailli par des jeux d'affrontements pour 2 joueurs, et qu'il est encore impossible de dégager un ou plusieurs vainqueurs, Pagan : Le Destin de Roanoke a au moins un mérite : Éclater toute la concurrence sur le plan thématique. Je ne pouvais pas commencer cet article par autre chose que cet aspect du titre, tant il a grandement participé à en faire ma hype ultime depuis ma découverte au salon pro de Vichy 2022. Et tant il m'éblouit à chaque ouverture depuis que possède une copie par trop loin de mes mimines crochues.
Il y a d'abord l'extrême originalité de son sujet principal, à louer. Même si je ne suis de base attiré par les mythes autour de Salem, ou un grand connaisseur de chasses aux sorcières (j'ai juste loué une certaine passion à la série Buffy, comme tous les "jeunes" de mon âge...), Pagan : Le Destin de Roanoke offre, comme un peu Netrunner avant lui, un sujet puissant et sortant des sentiers battus qui font que l'on est irrémédiablement happé par son monde dès l'ouverture de la boîte.
Sa puissance évocatrice ne serait à mon avis rien sans l'art fantastique de Maren Gutt, Lead Illustrateur chez Wyrmgold (l'éditeur originel). Vous êtes adeptes de jeux vidéos ? Vous penserez forcément à Darkest Dungeon, un rogue like qui a fait beaucoup de sa réputation sur son art dérangé (et sa difficulté, c'est le genre qui veut ca).
Un style visuel similaire, pour un trait rugueux et sombre qui "matche" parfaitement à l'ambiance ténébreuse que veut insuffler le titre sur une table de jeu. Et si le noir prédomine ici beaucoup, la couleur reste présente, toujours utilisée à bon escient pour faire notamment des plateaux des œuvres géniales. Tout en permettant de facilement discerner les éléments des deux personnages qui s'affrontent (violet pour la sorcière, rouge pour le chasseur) dans un combat asymétrique qui ne peut vous laisser de marbre.
Car niveau gameplay, vous l'aurez compris, les deux joueurs n'ont ici pas le même but. La sorcière l'emporte si elle réussit à déclencher son rituel ou voit le chasseur exécuter trois villageois innocents. Le chasseur de sorcières gagne lui s'il tue la sorcière ou réussit à innocenter 8 villageois sur les 9 suspects en lice. Deux salles deux ambiances (comme on dit au fin fond du Luberon). Mais avec en commun cette liste de 9 suspects, disposés initialement sur le plateau Village situé au centre de la table, avec qui chacun va pouvoir interagir pour avancer dans son objectif.
Pagan : Le Destin de Roanoke use pour mécanique principale du placement d'ouvrier. Envoyer un de ses meeples sur un villageois permet à la fois de déclencher sa compétence, mais aussi de pouvoir répartir des jetons sur des villageois affichant le même symbole.
Le jeu de la sorcière se base sur des jetons Secret, qu'elle pourra convertir en jeton Faveur dès que son villageois actif en possède 3. L'intérêt ? Il faut au minimum trois Faveurs sur le citoyen qui correspond à son identité secrète tirée au départ du paquet Suspects pour avoir le droit de déclencher ce fameux rituel victorieux.
Le chasseur possède lui, dans sa besace des jetons Indice transformables en jetons Preuve, selon les mêmes conditions. Ces jetons sont par contre toujours déplacés dans la réserve du joueur, et lui permette d'innocenter un citoyen (en piochant une des 8 autres cartes du paquet Suspects).
Le deckbuilding est aussi à l'honneur de Pagan : Le Destin de Roanoke, avec la présence pour chaque camp d'un paquet spécifique contenant chacun 4 types de cartes différentes.
La sorcière peut recruter une familier, déclenchable avec un ouvrier particulier, ou invoquer des malédictions, permanentes tant que le chasseur ne les a pas levées. Mais elle peut aussi lancer des charmes, cartes à capacité immédiate, ou préparer des potions pour obtenir de puissants effets ponctuels.
Le chasseur a de son côté un attirail différent. Il peut recruter des alliés, dont il devra payer le "travail" à chaque fin de tour pour avoir le droit de les conserver, ou trouver de nouveaux lieux, offrant de nouvelles actions possibles. Alors qu'une carte enquête modifie la capacité du villageois sous lequel elle est placée, quand une carte évènement est résolue immédiatement.
Et ce qui est sûr, c'est que Pagan : Le Destin de Roanoke met vraiment l'asymétrie à l'honneur. Car au dela des conditions de victoire très différentes, le jeu propose un panel de sensations opposées selon le camp que l'on décide de prendre en main. Vous êtes sorcière ? Il faudra user d'un maximum de bluff et de sens de la distraction pour conserver son identité secrète jusqu'au rituel final. Tout l'inverse du chasseur qui devra faire preuve de déduction et d'un vrai talent d'analyse des mouvements de son adversaire pour le débusquer avant qu'elle agisse sans retour arrière possible.
Le jeu offre pour cela une profondeur de choix et de stratégies incroyables, bien aidées par une variété de cartes assez démentielle (au vu du format) qui met souvent l'accent sur une interactivité élevée. Qui dit tirage, dit forcément aléatoire qui ne vous donnera pas toujours les cartes qui sieront à votre stratégie initiale. Mais les decks contiennent assez d'armes puissantes pour que s'adapter soit plus grisant que frustrant dans un duel de styles au long court.
Car Pagan : Le Destin de Roanoke est à classer dans les jeux exigeants. Ce qui veut dire qu'il vaut mieux aimer les jeux au tempo lent, ne pas être trop réfractaire à l'Analysis Paralysis (presque une étape obligée tant une erreur peut couter chère), et être de niveau sensiblement égal pour profiter au mieux de cette boîte incroyable.
J'ai beaucoup lu qu'il était impossible de gagner avec la sorcière, et que jouer chasseur n'était pas aussi passionnant qu'espéré, surtout quand on se cantonne à parcourir le paquet des Suspects. Je vous avouerai que mes deux parties au compteur ne démentent pas avec aplomb ces deux griefs répandus. Mais je pense aussi que Pagan : Le Destin de Roanoke prend toute sa saveur avec la répétition des essais, la connaissance parfaite des decks et des subtilités du jeu, et qu'il vaut mieux le réserver à des joueurs qui veulent le poncer sur le long terme plutôt que le sortir avec des joueurs de passage.
Dans tous les cas, pas grand chose me donne envie pour l'instant de me séparer de ma boîte de jeu. Je pointerai bien d'un doigt inquisiteur l'ergonomie de cartes perfectible, où l'iconographie assez lourde n'est vraiment pas assez mise en valeur pour des vieux "yeux" comme les miens. Mais ce serait vraiment cracher dans une marmite qui contient quand même une soupe sacrément goutue. Et ce serait surtout de risquer de voir brûler à distance la profusion d'extensions déjà dans les bacs qui annoncent une rejouabilité et des découvertes infinies !