Ryan Laukat fait partie de ces auteurs qui m'impressionnent. Car en plus de réussir à sortir au moins deux jeux par an et d'être souvent l'illustrateur de ses propres titres, il a créé il y a quelques années un univers fantastique de toute pièce qui sert désormais de toile de fond à la majorité de ses nouvelles créations.
Periple est le tout dernier jeu à prendre place dans ce célèbre pays imaginaire nommé Arzium, en proie ici à une terrible maladie qui a fait sombré la majorité des créatures vivantes... dans un somnambulisme infini ! Vous et vos adversaires vont être amenés ici à diriger une équipe de recherche pour retrouver ces âmes égarées dans la nature sauvage pour les réveiller et les inviter ensuite à rejoindre vos rangs.
Et s'il y a bien quelque chose à souligner dans Periple, c'est que le thème est toujours aussi riche et fabuleusement mis en images. Rien que la somptueuse boîte du jeu vous plonge dans un monde magique aux couleurs vives où bêtes diverses côtoient de simples humains toujours en quête de certitudes (ils ne sont vraiment pas épargnés dans les jeux de l'auteur).
On en prend plein les rétines, on découvre la vie quotidienne des habitants au fur et à mesure de la partie par des petites phrases empreintes d'un certain onirisme, ... Périple invite clairement au voyage et réussit, malgré son petit format, à nous plonger directement dans son monde en sursit. Et si les cartes de ma boîte ont une drôle de tendance à se courber d'elles-mêmes avec le "temps" (1 semaine depuis l'achat, c'est peu quand même), le matériel s'avère être un régal, allant de grosses tuiles bien épaisses et solides à des jetons en bois aussi mimis qu'agréables à manipuler.
Par contre ne vous attendez pas ici à du gros jeu comme Laukat en a l'habitude en ce moment. Exit le mélange de narratif et de mécaniques originales des récents Above And Below And Near And Far, Périple propose ici du contrôle de zone léger et familial basé sur la création de schémas avec des jetons, limite abstrait !
Pour la faire courte, le jeu repose sur un assemblage régulièrement mis à jour de six cartes (faces paysages visibles) qui définit une zone de recherche de 6x6 cases commune à tous les joueurs. À son tour, un joueur peut reproduire le schéma d'exploration de l'un de ses explorateurs (trois au départ) sur ce plan central, avec pour contrainte de n'avoir ni le droit de changer l'orientation de son parcours de recherche, ni de les faire sortir du cadre du jeu.
À chaque fois qu'un explorateur est utilisé, il est retourné et devient indisponible, jusqu'à ce que son possesseur se voit obligé de réaliser un repos forcé en début de son tour (quand tous ses personnages sont épuisés), ou qu'il décide de procéder à un repos anticipé (payant alors une pièce par joueur encore disponible).
Si à un moment donné une carte du plan général voit ses six espaces occupés, le personnage perdu imprimé au verso est révélé et offert au joueur qui avait une majorité stricte de jetons dessus. En cas d'égalité, un tour d'enchère unique débute entre tous ceux impliqués dans le départage, le dernier joueur ayant placé un jeton sur la carte débutant les hostilités. Alors attention, les joueurs ne peuvent placer qu'une enchère, aucune contre-offre est autorisée, et cette phase de jeu se joue essentiellement avec des pièces pouvant être glanées en couvrant des symboles présents sur les cartes. Dans tous les cas, l'espace laissé vide au centre de la table est comblé par la carte suivante de la pile préparée en amont.
Une fin de partie de Périple se déclenche quand un joueur réussit à obtenir son dixième personnage. Chaque joueur fait alors le total des points de victoire affichés en bas à gauche de chacun des membres de son expédition, la plus forte valeur emportant tout simplement le titre de sauveur d'Arzium !
Dans sa version de base, Périple se montre d'une accessibilité enfantine. Il ne vous faudra pas plus de 2 minutes pour expliquer le concept à des plus jeunes qui se prendront sans nul doute au jeu d'aller le plus rapidement possible sauver tous ces habitants perdus. Je ne l'ai pas évoquée auparavant, mais le jeu impose tout de même une grosse contrainte de pose à respecter en tout temps, à savoir ne pas avoir le droit de placer un marqueur sur un emplacement déjà pris, qui ne va pas complexifier la tâche outre mesure pour des grands débutants ou vos plus jeunes pré-ados.
Reste que pour un joueur un poil plus exigeant, ce mode de base est vraiment trop léger. En cause selon moi, le fait que le jeu autorise à réaliser une forme d'exploration même si on ne peut pas la compléter totalement, tant qu'elle pourrait s'inscrire dans les limites du monde.
Je comprends que rendre cet aspect plus strict aurait pu bloquer dans l'état le déroulé d'une partie (même si des actions simples de secours ou avec malus payant auraient pu facilement être intégrés), mais cela influence forcément négativement la profondeur stratégique de la mécanique principale et la tension générale ressentie en action.
Dans ce format, les tours perdent vite en intensité dramatique, le jeu se montre rapidement rébarbatif et soporifique, et la partie tend souvent à revenir à celui qui aura eu le plus de réussite à profiter du renouvellement des cartes. Et de "trous" qui coïncident miraculeusement avec ses meilleurs explorateurs (ceux qui permettent de réaliser les plus grands formats).
Fort heureusement, Périple intègre trois extensions de règles que vous pouvez combiner comme bon vous semble au jeu de base, et qui permet de densifier sensiblement votre expérience de l'œuvre (au moins pour deux d'entre elles).
La plus grosse, nommée artefacts, permet d'acheter des tuiles capacités que l'on peut utiliser ensuite tout au long de la partie. Tout comme les personnages, elles offrent des points en fin de partie et ne peuvent être réutilisées que lorsque les joueurs procèdent à un repos. C'est peut-être le module quasi obligatoire à intégrer à vos parties, car en plus de ne pas compliquer outre mesure les règles de Périple, elle rend le jeu plus prenant tactiquement, en pouvant autoriser entre autres des pivotements de schémas ou des altérations de jetons déjà en place.
L'avant poste est représenté lui par une carte unique valant trois points de victoire, qui ne peut être remportée que par le premier joueur qui réussit à encercler une pierre adverse avec huit de ses propres pierres. Si elle ne va pas changer radicalement la face de vos parties, elle a le bon ton de créer une petite course dans la course en début de partie qui peut même mener à des dilemmes moraux sérieux, jouer cette carte vous empêchant forcément de lutter intensément dans la conquête de personnages intéressants.
La dernière se montre plus comme une évolution des règles, en rajoutant un deuxième niveau possible de marqueurs exploration sur chaque case de la zone de jeu, le calcul de la majorité se faisant alors sur 12 jetons au lieu de 6. J'ai nul doute que les profils plus joueurs adoreront une règle amenant une petite surcouche de réflexion bienvenue, même si elle risque de faire frémir (gentiment) les joueurs sujets à l'Analysis Paralysis.
Vous l'avez compris, je ne conçois pas Périple sans l'ajout d'au moins une extension, quelque soit le profil de votre tablée (hors partie débutante ou avec très jeunes enfants bien sûr). Ces modules, aussi simples à comprendre qu'à prendre en main que le jeu de base, fait passer un jeu un peu lambda du côté magique de la force : Celui des petits jeux de réflexion familiaux malins qui pourront agréablement remplir n'importe quel temps mort de 30 minutes dans vos vies tumultueuses.
Pour sûr, on peut toujours lui reprocher quelques broutilles, comme une phase d'enchères mal pensée qui aurait mérité d'être à l'aveugle pour rajouter davantage d'émotion (mais rien ne vous empêche de la changer, ceci-dit). Et il faut dire aussi que malgré sa mécanique bien huilée, on est quand même un peu loin de toucher à la tension et la réflexion de gros classiques du genre comme Les Petites Bourgades ou la série des Azul.
Mais pour sa cible un peu moins exigeante, Périple fait le travail, et plutôt agréablement bien. Et on ne va pas se mentir, avoir un jeu aussi craquant visuellement dans ses Kallax, je vous assure que ce n'est jamais perdu. Au moins pour son plaisir personnel !