
Je suis colère. Non pas que je m'attendais au jeu de l'année (si la hype était vive la critique a souvent été partagée), mais parce que Red Rising a un potentiel fou, mais gâché par des choix aussi incompréhensibles que limitant rapidement son pouvoir d'attraction.
Les qualités pourtant, il y en a, et j'en vois trois grosses dans ce titre de chez Stonemaier Games.

La première, c'est cette super idée de construction de main totalement addictive. Chaque joueur commence la partie avec 5 cartes, et va tenter d'atteindre la fin du jeu avec la combinaison la plus "bankable" niveau points de victoire. Et pour cela, la logique est limpide, la stratégie optimale moins : L'action de base oblige à déposer une carte sur l'un des 4 emplacements du plateau central, déclencher l'éventuel pouvoir de déploiement de la carte. Avec pour suite de récupérer soit celle du sommet d'une autre colonne et déclencher l'action du lieu, soit celle du dessus de la pioche et en lançant un dé pour déterminer le petit cadeau additionnel.
Les 4 emplacements et 4 faces du dé proposent quatre bonus communs. Et si l'une d'elle permet de récupérer le jeton souverain et déclencher le pouvoir de sa faction de départ, les autres sont toutes liées aux trois conditions de fin de partie, à savoir récupérer un Helium, avancer d'un cran sur la piste de vol ou ajouter un de ses cubes dans la zone institut.

Toute la saveur de Red Rising réside dans ce jeu d'équilibriste permanent. Il faut réussir à récupérer et conserver les "meilleures" cartes jusqu'au bout, tout en utilisant certaines en jeu pour grimper dans les différents "achievements" du jeu (qui offrent un paquet de points non négligeables). Ceux-ci fonctionnent d'ailleurs toujours par 7. Dès qu'un joueur atteint ce chiffre dans deux de ces conditions, ou si les joueurs arrivent en cumulé à toutes les réunir, on effectue une dernière ronde et c'est la fin.
Réfléchir à une stratégie optimale au départ, l'adapter en fonction des opportunités, tout en tentant (tant bien que mal) d'accélérer et temporiser en adéquation avec les contraintes de la course, c'est le combo gagnant d'un jeu qui va vous en donner justement des combos, l'autre grosse force de Red Rising.

Car si pas mal de cartes offrent des pouvoirs de déploiement qui se bonifient selon des contraintes de pose, beaucoup de combinaisons (et même des actions bonus) vont se déclencher en fin de partie. La plupart des cartes on en effet des capacités additionnels qui génèrent des points supplémentaires si vous possédez tel personnage ou couleur de carte. Par exemple, la carte Cassius donne 25 points de base, permet d'en rajouter 40 si vous avez Mustang et Darrow (deux autres cartes), mais vous en fait perdre -20 s'il manque Mustang. Quand on sait que le jeu contient 11 couleurs différentes et 112 cartes toutes uniques, vous ne ferez pas le tour de la richesse du jeu en une partie, c'est une certitude !
Et ce que j'aime beaucoup dans Red Rising, c'est son thème. J'ai beau n'avoir jamais lu une ligne de l'œuvre littéraire de Pierce Brown, il donne une furieuse envie d'y plonger à pieds joints, tellement le jeu semble témoigner d'une vraie complexité de l'intrigue et de guerres de factions qui peuvent régner dans cette saga dystopique.

Si la dominante noire et les illustrations toutes uniques donnent une vraie saveur au jeu, que dire de la boîte qui claque et qui donne envie de réserver une case de Kallax juste pour la mettre de face à la vue de tous !
Malheureusement, comme dit plus haut, plein de petits détails frustrants viennent régulièrement ruiner un panel de (pourtant) belles intentions.
Pêle-mêle, je commencerais par parler de ces factions de départ, dont l'intérêt peut varier d'ennuyeuses à beaucoup trop puissantes dans certaines configurations. Quand on sait qu'on est censé en prendre une aléatoirement, c'est pas dingue comme premier contact.

Je dois aussi évoquer ce déséquilibre dingue entre les conditions de victoire. Avoir un élément d'avance sur un joueur permet d'empocher en fin de partie 3 points de plus pour l'Helium, jusqu'à 6 points de plus pour la piste vaisseau et jusqu'à 13 points pour l'Institut. Une inégalité dans le rapport d'attractivité qui oblige à prioriser certaines cartes et nuit à la diversité des stratégies raisonnables de Red Rising.
Mais tout ceci n'est rien face à ce hasard bien trop prépondérant, qui a souvent tendance à davantage frustrer que créer une dynamique de jeu.
Déjà, rien que du côté des mains de départ. Vous obtenez 5 cartes qui n'ont rien à voir entre elles alors qu'un adversaire a une stratégie premium toute tracée ? Vous partez avec un désavantage compliqué à effacer, même si les erreurs de chacun et le plateau central laissent toujours espérer un retournement de situation.

Et le reste du tirage décide souvent du type de partie que vous allez vivre. Le jeu propose des cartes variées pouvant servir à tous, je suis ravis pour vous, vous avez des chances de passer une jolie heure de jeu. Mais souvent, c'est le contraire.
Trop de cartes interactives, et cela va être une boucherie, et il ne sert à rien de prévoir quoi que ce soit.
Trop de capacités inutiles, vous perdez une grande majorité de ce qui fait le plaisir de combiner.
Trop de cartes de défausse, le plateau va se vider en 2/2, autant que les combinaisons et les possibilités de jeu.
C'est là où il faut "jaser" de cette deuxième action de jeu possible, nommée Explorer. Elle consiste seulement à prendre la première carte de la pioche et la placer dans un des quatre lieux. Une action de base totalement circonstancielle (car son seul intérêt est de garder ses cartes en main) qui dans les autres cas ne fait qu'aider vos adversaires, mais que l'on nous force alors de réaliser dans ce cas pour redonner un semblant de vie au plateau et un soupçon d'intérêt stratégique.

Et ce manque de contrôle empire avec le nombre. À partir de 3 joueurs, il est quasi impossible d'anticiper les variations du plateau, ce qui oblige souvent à prioriser la réflexion sur l'instant que sur du moyen terme. Je n'ai rien contre les titres qui mettent l'adaptabilité au centre du jeu, mais quand une œuvre te fait espérer une vraie construction de main stratégique, on peut vite être déçu.
Je vous avouerai que j'ai eu du mal à juger Red Rising. Car il m'est arrivé de tomber sur les circonstances parfaites à 2 et 3 joueurs qui ont menées à une partie tactique et endiablée. Mais trop souvent, les cartes intéressantes pour le suspense ne tombent pas, la tension ne prend pas. Ou juste que l'on a perdu d'avance.
C'est donc au final un gros non pour moi, même si je sens dans Red Rising un potentiel de dingue, même si j'ai envie de lui redonner à chaque fois sa chance. Mais quand le plaisir n'est là qu'une fois sur 5, c'est bien trop peu pour s'assurer une place légitime à une table de "boardgaming". N'est-ce pas ?

