
Avant de parler de Seeders From Sereïs : Exodus, parlons avant pour une fois de l'histoire derrière le jeu. Car elle n'est pas banale.
Seeders From Sereïs, c'est à la base un univers de science-fiction développé depuis 2012 par Serge Macasdar et Charbel Fourel. Le but original des deux jeunes auteurs, c'était de créer une bible narrative complète qui pourrait être déployée sur plusieurs supports, allant de nouvelles papiers à une dizaine de jeux touchant à tous les genres (jeu de rôle ou de cartes, Eurogame ...).

Le titre qui nous intéresse aujourd'hui est autant le premier jeu officiellement sorti utilisant ce background que le premier épisode de la saga. L'humanité, au porte de l'extinction, n'a pas d'autre choix que de fuir la "Force Noire". Vous, les représentants de chaque Caste, doivent se hâter de proposer leurs projets d'Arche au roi Tryïnn, qui seul sélectionnera le projet le plus prometteur pour une production immédiate.
Et pour mener à bien votre mission individuelle, vous aurez besoin d'acquérir des cartes équipages et des modules, avec deux contraintes fortes : Les équipages ne peuvent être déployés sans appartenir à un module, et chaque module ne peut accueillir de base que deux membres d'équipage. Les deux types de cartes viennent par contre avec leur propre coût d'achat et de revente, et une variété d'effet qui peuvent se déclencher à plusieurs stades d'un tour de jeu.

Justement, une partie de Seeders From Sereïs : Exodus dure exactement 4 manches, où les joueurs procèdent tour à tour à deux phases d'acquisition de cartes (via draft et négociation), le déploiement de leurs nouvelles unités puis un décompte intermédiaire de points de prestige.
La phase de négociation est indiscutablement le moment du jeu le plus fort et emblématique du titre. Tout repose ici sur un grand plateau appelé l'Aile des Murmures, qui représente l'Arche parente et ses différentes espaces de négociation. Une fois le plateau rempli de cartes, chaque joueur envoie un à un ses jetons négociateurs dans les couloirs attenants les salles qui les intéressent. Chaque négociateur vient avec des cubes d'influence qui peuvent modifier sa force de persuasion, en plus d'en rajouter si la caste de son jeton correspond à celle de la carte. Une fois tous les emplacements pris, on procède à l'attribution, lors duquel chaque joueur remporte les cartes où son influence est dominante.

Et ce système s'avère aussi original que profondément génial, car il réussit à apporter un vrai esprit d'enchères et une "folie" mesurée à une mécanique de base plutôt sérieuse très axée sur la combinaison des cartes. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir de jolis renversements de position à ce stade-là, bien aidés par des jeux d'alliances éphémères entre prétendants ou des pouvoirs comme le Morphoplast qui permet de placer un négociateur face cachée.
Les joueurs apprendront aussi vite à abandonner sciemment le contrôle d'une zone pour profiter du fait que chaque négociant n'ayant rien rapporté sur un tour gagne un point d'influence supplémentaire dès la manche suivante. Une véritable guerre stratégique au long court voit donc le jour, durant laquelle les moins "chanceux" profitent de ce genre de levier mécanique astucieux pour garder la tête hors de l'eau jusqu'à la fin de la partie.

Et que vous ayez 4 ou 10 cartes en main après les phases d'acquisition, il reste encore à les utiliser le mieux possible. Et Seeders From Sereïs : Exodus réussit là encore à surprendre.
Une des superbes idées du jeu vient clairement de ce système d'activation à base d'une ressource, le cristal, que l'on ne peut obtenir qu'en recyclant des cartes que l'on a en main. Dans les faits, vous serez amenés à chaque manche à récupérer à la fois des cartes que vous voulez placer dans votre Arche, mais aussi des cartes à revendre qui serviront comme monnaie pour réaliser les aménagements voulus.
Ce jeu d'équilibriste précaire, qui peut faire basculer une partie en cas de mauvais calculs, créé une véritable tension (qui peut paralyser la partie), mais qui en contrepartie rajoute une belle profondeur à l'extrême réflexion offerte par la grande variété de pouvoirs que propose la boîte.

Le jeu vient en effet avec pas moins de six castes (Théocrates, Originels, Noyau, Bio-consortium, Architeks et Déviants) ayant chacune leurs propres forces, pouvoirs particuliers et méthodes d'acquisition de point de victoire, qui peuvent être combinées ou être à l'inverse le centre d'une stratégie unidirectionnelle. Mais surtout, certaines de ces castes vont permettre d'aller joyeusement impacter le jeu de vos voisin, avec par exemple pas mal de cartes d'Originaux ayant la capacité d'envoyer des membres d'équipage dans votre prison pour les convertir ensuite à votre cause (et les mettre dans votre main).
Seeders From Sereïs : Exodus est jeu profondément interactif, il faut en avoir conscience. Si sa composante "experte" est indéniable, il vous demandera de savoir jouer de paroles, de manigances, tout en acceptant de voir votre Arche s'écrouler parce qu'un adversaire rancunier aura détruit le module phare de votre stratégie initiale.
Et si pour toutes ces raisons Seeders From Sereïs : Exodus peut autant intimider que décontenancer, le jeu profite d'une capacité d'immersion à tout épreuve qui peut faire succomber même les plus réfractaires au thème très marqué. Le Lore, pourtant juste effleuré dans cette boîte, donne une vraie consistance à l'ensemble, créé une vraie dramaturgie aux parties. Et on a vraiment peu de mal en jouant à voir les liens entre les castes et se créer des histoires folles, tout en tentant tant bien que mal de faire cohabiter nos cartes dans notre Arche de fortune.

Serge Macasdar a toujours clamé qu'il avait lancé le concept de Seeders From Sereïs : Exodus car il ne trouvait pas l'évasion qu'il cherchait en jouant à beaucoup de gros jeux au thème fort. Si son coup d'essai sera trop long et "méchant" pour beaucoup, il a pour ma part totalement réussi son pari, rejoint depuis peu le rang de mes indispensables. Avec le secret espoir de pouvoir tester un jour le deuxième épisode, prévu depuis au moins quatre ans et qui n'a pas donné signe de vie depuis. Mais qui pourrait se voir relancer par la sortie toute récente (et contre toute attente) d'extensions pour ce Seeders From Sereïs : Exodus qui vaut le coup de s'y essayer, je peux vous l'assurer !


