Vampire, ce n'est pas une vie facile. Ok on peut monter sa maison sans machines grâce à ses capacités surhumaines, on peut faire des activités risquées sans risquer de mourir (car on est immortel), et on peut aller se faire de chouettes balades en mode chauve-souris. Mais on ne peut pas se faire des soirées camping au coin du feu, on ne peut pas boire de cocktails sympas (sauf s'ils sont composés à 99% de sang), et surtout on ne peut sortir que la nuit, la lumière du soleil ayant la fâcheuse manie de nous brûler en 99ème degré.
La conversion vous tente toujours ? Essayez peut-être avant The Hunger, un jeu de course aux points de satiété qui va vous plonger, de manière ludique, dans un épisode spécial de vie-ma-vie de créature nocturne aux dents pointues !
La nuit, tous les chats se planquent
Et ici, pas question de lézarder. Vous avez 15 tours (et pas un de plus) pour sortir du château familial, aller vous remplir la panse au maximum, et revenir au domicile avant les premières lueurs du soleil. Si d'aventure vous n'arrivez pas à retourner dans votre antre avant la fin du dernier tour (ou au moins vous cacher dans le cimetière attenant, contre un petit malus), c'est fini pour vous, vous ne participerez pas au décompte final. Les autres joueurs eux, comptabiliserons les "valeurs" des leurs victimes, auxquelles se rajouteront les points liés aux objectifs (publics et secrets) et objets précieux (roses éternelles et vêtement en velours entre autres), ce qui permettra de désigner le vampire le plus prolifique de la nuit.
Le jeu repose en grande partie sur de la construction de deck. Chaque joueur commence avec le même paquet de 6 cartes de base, et peut profiter de la partie (et c'est vivement conseillé) pour l'améliorer via l'acquisition de cartes familiers (donnant des avantages permanents) et des pouvoirs (déclenchables une fois en main). Mais contrairement à beaucoup de titres du genre, The Hunger ne demande à gérer qu'une ressource, la "vitesse", qui sert à la fois pour se déplacer et chasser. Le joueur qui tire trois cartes au début de son tour peut activer les effets de pioche et défausse de ses cartes et a le choix de répartir ses "points" comme il l'entend, avec deux contraintes cependant : Faire un déplacement avant toute autre action, et ne pas pouvoir se re déplacer après avoir chasser ou déclencher l'effet de sa case de destination.
Le plateau principal (qui affiche une vue du dessus du château et des régions aux alentours) propose d'ailleurs plusieurs types d'effets. Parmi les plus génériques, la case Coffre permet de récupérer le jeton bonus si encore disponible, la Crypte offre au joueur la possibilité de prendre une mission privée du tas attenant et un Puit permet de réaliser une chasse supplémentaire lors de son tour actuel. Il existe aussi des lieux particuliers, comme la Taverne ou les bâtiments liés aux factions, qui permettent respectivement d'attaquer plusieurs humains aléatoires d'un coup ou de digérer une victime pour la "sortir" de son deck jusqu'au décompte final.
La chasse est indiscutablement le gros morceau du jeu, et permet aux joueurs de récupérer de nouvelles cartes pouvoirs et d'agresser des humains. Cette action passe par un plateau "piste" spécifique affichant trois colonnes au prix dégressif (3, 2, 1) et qui propose autant de rangées que de joueurs plus un. À la fin de chaque tour, toutes les cartes encore "en vie" sont décalées d'un cran vers la droite tout en restant dans leur rangée, et une nouvelle carte vient garnir l'emplacement le plus à gauche de chaque rangée du tableau.
Un joueur qui veut acquérir une carte paie donc le prix indiqué par sa colonne, mais doit aussi récupérer toutes les cartes de l'emplacement s'il y en a plusieurs (les cartes peuvent s'empiler dans la dernière colonne). Reste que toute carte "achetée" doit être placée dans sa défausse. Et c'est là que viennent les embrouilles. Car les humains, s'ils apportent une manne en points non négligeable en fin de partie (qui peuvent être décuplés avec des missions liées à leurs factions), n'offrent en général aucun point de "vitesse", ce qui peut rapidement limiter vos possibilités de vous mouvoir ou entreprendre des actions plus tard.
Ce dilemme, qui va occuper sans nul doute vos pensées durant votre promenade, fait partie de cette prise de risque constante qu'incite le jeu et qui en fait indiscutablement l'une de ses grandes forces. Tout est fait pour vous donner envie de vous aventurer plus loin, au risque de ne pas pouvoir revenir à temps. Un et deux points supplémentaires sont accordés si vous chassez respectivement dans les plaines (zone 3) ou les forêts (zone 4). Les coffres, qui peuvent fournir des effets bonus comme une chasse, une pioche, une mission ou un tour supplémentaires, sont situés sur les chemins les plus longs à parcourir. Et il est même possible de récupérer des cartes artefacts Roses, offrant un pouvoir puissant et des points non négligeables en fin de partie, si on arrive à rejoindre le bout de la zone forêt !
The Hunger est un vrai exercice d'optimisation de ses tours. La logique voudrait que l'on gère au départ ses points de telle façon à réaliser les tours les plus productifs, en réalisant à chaque tour le meilleur mix entre déplacement le plus lointain et actions de destination les plus intéressantes (chasse, effet de case). Jusqu'à trouver le moment idéal pour vous retourner et foncer vers le château, en espérant avoir assez de marge dans votre deck affaibli par les "repas successifs" pour rentrer à bon bord à temps.
Mais cela reste une stratégie parmi d'autres. Car rien ne vous empêche d'errer autour du château, privilégiant la quête de jetons missions qui combinent le mieux. Voir de mettre sensiblement la chasse de côté pour atteindre au plus vite les régions les plus reculées du plateau et partir pourquoi pas en quête d'une rose !
Une course qui manque d'enjeu
Le hic, c'est que si sur le papier cela semble terriblement fun, The Hunger manque vraiment de folie une fois en jeu. Déjà, car je trouve que le plateau n'offre pas assez de challenge. The Hunger a beau inciter à s'aventurer plus loin grâce à quelques artifices, les avantages que l'on peut en tirer ne sont pas suffisamment importants pour mériter de s'aventurer dans certains chemins. Il manque vraiment dans le jeu des leviers puissants (comme des lieux ou des missions à quête pourfendeurs de nombreux points) pour générer des changements de stratégies radicales, et des évènements "in game" qui permettent de garder l'émulation vive tout au long de la partie.
Dans l'état, le rythme de jeu de The Hunger se montre assez monotone. Certes, on part du château la fleur au fusil, dans un départ émoustillant (quoiqu'un peu trop redondant) qui laisse entrevoir une grande aventure. Mais une fois ses grandes décisions stratégiques prises, on joue d'avantage en suivant des routines scriptées et en s'adaptant continuellement à notre vitesse du tour qu'en prenant des décisions amusantes, sauf bien sûr quand survient le besoin de revenir à la maison.
Et ce n'est pas les cartes qui vont vraiment aider. Il n'y a pas de véritable composante développement dans The Hunger. Bien sûr, la piste de chasse n'est pas inutile, et on gratte quelques capacités ici et là précieuses durant la partie. Mais le jeu nous offre au départ quasi la vitesse totale que l'on pourra utiliser durant nos pérégrinations, et on va surtout passer son temps à optimiser son deck pour optimiser nos points finaux, tout en ne saturant pas trop son paquet pour assurer son retour.
J'ai vraiment eu, sur plusieurs parties, la sensation de passer mon temps à faire les 400 pas dans la plaine, en grattant une carte humain à chaque tour. Ce n'est ni gratifiant, ni hilarant, même si le jeu n'a jamais eu la prétention d'être un jeu expert, ni de proposer une réflexion trois étoiles.
C'est certain, je pense que j'attendais beaucoup trop du jeu, à cause de sa "filiation" évidente avec un monument du genre (Clank ! pour ne pas le citer) avec qui il partage mécaniquement beaucoup de points communs.
Là où The Hunger garde tout mon crédit, c'est pour sa direction artistique, tout simplement bluffante. Le sujet a beau être un peu morbide, le thème loin de mes standards de préférence, je trouve le jeu vraiment magnifique, bien aidé par des illustrations, lumineuses et colorés, qui réussiraient presque à rendre ce monde terriblement sombre accueillant. C'est sûr, il y a forcément un peu de redite dans le tas de cartes, mais il bon de noter que chaque carte d'humain est unique, et il y a plus de 80 dans le (super) thermoformage du jeu !
La boîte, elle, va illuminer votre Kallax dans la nuit comme jamais, avec ses effets de brillance savamment dosées et son visuel à tomber. Et est bien pleine qualitativement, de jetons bien massifs, de jetons missions cartonnés assez épais, et de plateaux individuels du plus bel effet qui font très bien le travail.
Mais pour le reste, ma préférence va à Clank !, qui se montre beaucoup plus tactique, plus fourbe (même si The Hunger permet une petite interaction directe sympathique qui aurait gagné à être plus poussée). La tension en jeu n'y faiblit jamais, le jeu autorise un vrai développement de personnage qui donne encore plus envie de le sauver d'une mort certaine.
Et The Hunger a quelques petits défauts de conception qui gâche un peu l'expérience. Je trouve d'abord l'ergonomie générale des cartes imparfaite : Certains effets sont mal expliquées dans la notice, l'iconographie n'est pas toujours claire, je ne sais toujours pas quand il faut intégrer les cartes marquées "N", et je ne comprends toujours pas à quoi sert le rappel des points de victoire en bas de carte.
Je pense que le jeu aurait mérité de pouvoir acheter des cartes plus puissantes en payant un surplus en points. Dans l'état, l'opportunisme et la chance ont trop de crédit quand apparaissent les cartes dans la piste de chasse, ce qui aura certainement tendance à faire râler certains quand les cartes de "téléportation" apparaissent juste après la fin de leur tour. Les factions elles, sont sous-utilisées, en ne proposant comme seule différence de gameplay qu'une couleur et un lieu de "pèlerinage" différent sur la carte.
Et je trouve dommage que les deux modes de jeu se jouent sur deux faces du plateau quasi-identiques, qui ne diffèrent que par la présence d'annotations sur des cases facilitant le retour au château (pour le mode débutant). D'avantage de variabilité aurait été appréciable, surtout avec une rejouabilité qui ne brille de base que par les deux maigres missions publiques tirées au hasard au début de partie.
The Hunger garde cependant une accessibilité et un apparat qui devraient plaire aux cercles familiaux, ou aux joueurs qui cherchent un jeu de prises de décisions simples et qui offrent quelques frissons malgré tout. Pour ceux qui attendaient le successeur de Clank !, vous pouvez dors-et-déjà retourner vaquer à votre campagne legacy. The Hunger n'est indiscutablement pas le nouveau Néo. Mais ne déméritera pas sur votre tablée à l'heure d'aller dans la matrice fêter Halloween ou la dernière dent de lait du petit dernier !