
Vous faire inviter par un mec sympa qui connaît le jeu sur le bout des ongles : C'est le meilleur conseil que je peux vous donner si vous voulez profiter au mieux de Tindaya.

Car il est peu dire que le jeu ne rend pas son monde facilement accessible. La base, c'est une ambition folle de proposer un jeu en mode Koh Lanta matinée de mécaniques eurogame bien décidé à vous pousser dans vos retranchements. Avec une approche réaliste des choses, l'ajout d'une couche de logique spécifique épousant au mieux chaque aspect mécanique, tout en étant le plus généreux possible quant à la rejouabilité du titre.
Vous aurez donc le droit ici notamment à un matériel dantesque, contenant divers configurations de jetons, tuiles, paquet de cartes, plateaux et meeples pour palier à toutes les situations. Il y aussi cette iconographie infinie, offrant notamment un symbole unique sur chacune de se cartes objectifs et idoles. Et il faut aussi évoquer cette envie louable des auteurs de nous offrir un terrain de jeu totalement unique à chaque partie.

Les conséquences ? Déjà ce livret de règles qui ne réussit pas à vous offrir les clés pour rentrer tout en douceur dans un univers foisonnant. 27 pages ultra condensées où paragraphes écrits en très petit renvoient à d'innombrables exemples visuels chargés, des spécificités sous-jacentes évoquées sur d'autres feuillets ... c'est rude !
D'autant plus qu'en voulant trop bien faire, en essayant d'expliquer en même temps les différents modes de jeu, de détailler le plus précisément possible chaque mécanisme dans le flux de lecture, on perd rapidement de vue la base du gameplay, rappelée finalement nul part avec des termes simples. Une mission que les aides individuelles de 4 pages vraiment difficiles à comprendre ne réussissent d'ailleurs pas non plus à mener.
Vous avez regardé avec attention une ou deux vidéos règles (passage obligé selon moi, que vous débutiez ou tentiez de ressortir votre boîte après plusieurs mois) ? Reste encore à mettre le jeu en place, qui ne sera possible qu'après un tri préliminaire un peu fastidieux et un temps conséquent à construire votre terrain de jeu. Assembler les tuiles terrains, placer les éléments de terrains, placer les jetons obligatoires (ressources, ennemis), configurer les deux plateaux spécifiques (nature et Dieux)... c'est longuet, et peut-être très briser votre dynamique avant de lancer véritablement les hostilités.

Reste que si vous arrivez à passer ce col de départ résolument abrupte, Tindaya saura vous récompenser.
Déjà en vous offrant sur un plateau un thème aussi original que superbement bien implémenté. On y joue ici le rôle de tribus aborigènes des îles Canaries de l'époque pré coloniale malmenées par leur destinée. Car vivre sur une île paradisiaque a un coût, et en plus de passer une vie de satisfaire les Dieux locaux en préservant la nature et en faisant des offrandes régulières, il faudra aussi se battre contre les conquistadors, êtres avides de biens et de ressources qui se feraient bien créer leurs résidences secondaires dans le coin.
Tout est résolument fait mécaniquement ici pour vous faire partager cette vie là. Collecter des ressources, gérer des élevages de moutons et de porcs, créer des pirogues pour vous déplacer entre les îles, "crafter" des armes pour pouvoir vous battre, nourrir votre tribu ... le jeu déborde de subtilités qui donnent un corps énorme au gameplay général de Tindaya.

Et cette immersion est mise en valeur par un art design juste ... fabuleux. Vous me croirez ou pas, mais Tindaya rentre assurément dans mon top 3 des jeux les plus beaux que j'ai vu ces dernières années. J'adore tout ici, de la cover sublime, des plateaux (joueurs, nature et Dieux) incroyablement bien désignés, de cette ambiance dépaysante super cool qui émane de n'importe quelle pièce cartonnée de la boîte ... le jeu loue une prestance à table telle qu'il est impossible (quand ce thème nous parle un minimum) de ne pas avoir envie de s'y engouffrer corps et âme.
Reste que le fil rouge de votre partie sera la survie, intrépide et malfaisante (je n'ai pas trouvé de mots plus dramatiques, désolé). Une tribu ne compte plus au moins un membre de chaque type (villageois et noble), c'est la fin. Il y a plus d'envahisseurs que de locaux sur l'île, c'est perdu. Acoran et Moneiba, l'une des deux entités divines du coin, rentre dans sa colère la plus noire, c'est game over. Mais vous réussissez à surmonter toutes ces épreuves durant trois tours, et vous aurez alors peut-être une chance de l'emporter.

Chaque manche débute par une phase de Stratégie, incluant la révélation et la préparation des prophéties qui vont s'abattre sur l'île en fin de tour.
Catastrophes naturelles géantes (éruption, tsunami) qui transforment la carte générale d'autant de cases aux alentours que le niveau de colère du Dieu lié, destruction de lieux de vie ou de ressources via des intempéries (cyclone, criquets, incendie ...), débarquement de colons venant installer directement un fort, ... Tindaya va vous demander de prévoir beaucoup de vos coups en fonction d'échéances négatives pour ne pas se saborder trop rapidement la partie. Si vous avez ces informations.
Car si le type et le lieu de chaque catastrophe sont révélés en début de partie, il faudra ensuite réaliser communément assez d'offrandes aux voyants pour bénéficier au moins d'une partie de ces informations. La concertation tactique est donc vivement conseillée à cette étape (bien motivée par sa désignation), et c'est vraiment à ce moment là que la coopération et une tactique globale doivent être mises en avant.

Et c'est durant la phase d'Actions que les joueurs vont pouvoir agir. À hauteur de 1 ou 2 actions par tête à son tour, et s'il peut se délester d'un cube ou cylindre d'action, un joueur peut depuis son plateau commerce débloquer une invention en payant le coût indiqué, ou produire une ressource d'un artisanat dont il a déjà connaissance.
Il peut aussi débloquer une grotte obligatoire pour ne pas perdre un excès de villageois en fin de tour, ou se déplacer et enchaîner par des actions gratuites facultatives . Collecter une ressource, construire un bâtiment, faire du troc, rassembler du bétail, réaliser une offrande, déclencher un combat ... vous aurez un arsenal complet de choix pour la seule action que ne pouvez réaliser qu'une fois par manche.

La phase de fin d'Ère, celle qui conclut chaque manche, nécessite elle une gestion complète de la zone de jeu. Faire reproduire les animaux (pour chaque couple présent sur la même case), nourrir ses villageois, jeter ses denrées périssables et vérifier la taille de sa tribu par rapport à ses logements disponibles, ... un ensemble d'événements qui augmentera d'un cran la colère d'un Dieu en cas de conséquence néfaste pour l'équilibre de l'île. Alors que le comptage des offrandes et le déclenchement des prophéties pourront régulièrement bouleverser une grosse partie du plateau.
Et cette épopée ensoleillée (extrêmement résumée ici), Tindaya a le bon ton de vous la faire vivre de deux manières possibles : En compétitif et en coopératif. La première propose une tension beaucoup plus grisante (par la double course perso / communauté) mais aussi son lot d'injustices (par l'aléatoire marquée de l'apparition des tragédies). Quand la seconde est plus accessible mais plus traditionnelle dans son déroulé.

Malheureusement, je resterai finalement peut-être un peu bloqué sur mon a-priori général. Je pense que Tindaya aurait gagné à avoir un aspect Eurogame un peu moins poussé. Que ce soit pour son accessibilité générale, favoriser sa réouverture après plusieurs mois sans se remémorer ses règles .. et aussi parce que l'aléatoire prend tellement de place qu'au final on s'adapte souvent beaucoup plus que l'on construit.
N'empêche que Tindaya sait vous happer par son thème et ses prises de décisions ultra impactantes une fois que l'on a réussit à se lancer dans une partie. Sa place dans une ludothèque experte axée "survie" a donc un véritable sens pour moi.
Que vous ayez déjà Robinson Crusoé et Spirit Island (les deux références du même genre qui me viennent tout de suite à l'esprit), vous aurez avec Tindaya un titre plus profond dans ses mécaniques de développement que le premier, et un jeu beaucoup moins punitif que le second. De quoi vous offrir une autre chance de varier les plaisirs lors des dimanches pluvieux, tout en profitant d'un titre qui propose une richesse de modes et de difficultés que l'on ne peut pas renier !

