Ceux qui connaissent mes goûts ne vont pas être surpris, Tortuga 2199 est l'une des trois sorties que j'attendais le plus cette année. Car la promesse était pour moi folle : Un jeu de science-fiction épique et un peu calculatoire, avec du deckbuilding couplé à du déplacement sur plateau (tout ce que j'avais adoré avec Clank!), et une interaction forte annonçant de jolis coups fourrés entre joueurs ... cela cochait absolument toutes les cases des jeux Eurotrash que j'adore en général.
Mais ma joie fut de courte durée. Car après avoir attendu fébrilement de récupérer une copie à bon prix et testé Tortuga 2199 le temps de 2 parties, je suis désormais parti dans l'idée de m'en départir rapidement. Je vous explique ici pourquoi.
Une tortue cigogne
Une galaxie bien loin de notre Terre chérie .... Une ressource vitale pour l'humanité qui se fait de plus en plus rare ... Une planète principale (Tortuga) tombée aux mains de mineurs insurgés .... C'est le pitch de départ de Tortuga 2199, qui va vous plonger dans la peau de capitaines pirates bien décidés à profiter de la situation instable dans les secteurs avoisinants pour gagner de l'influence et prendre finalement le contrôle sur la grosse planète du coin.
Et pas le temps de lézarder ici, car Tortuga 2199 se veut être une vraie course à l'objectif : Le premier joueur qui réussit à obtenir 15 points d'influence, ou qui en a le plus lors du tour où la planète Tortuga est conquise, est sacré prince des lieux.
Tout le jeu repose sur deux mécaniques principales plutôt répandues en ce moment mais souvent couplées que sont le contrôle de zone et le deckbuilding.
La gestion territoriale passe par la présence d'un plateau de jeu modulaire et que l'on compose suivant le nombre de joueurs à table. Chaque joueur gère un vaisseau qu'il va pouvoir déplacer de secteur en secteur afin de trouver des ressources, capturer des monstres pour gagner de la renommée, ou conquérir des secteurs afin d'asseoir son autorité et gagner des bonus permanents. Chaque secteur fonctionne selon un système de coût de conquête : Si le terrain n'appartient à personne, il faut payer le coût minimum indiqué sur la tuile. Si un joueur veut ravir le terrain à quelqu'un d'autre, il doit payer le dernier coût de conquête payé augmenté de un.
La gestion de deck de cartes, elle, reprend les fondamentaux du genre : Chaque joueur débute avec un paquet de 10 cartes identiques; Il en pioche 5 au début de son tour et en joue un maximum selon un listing d'actions possibles (détails plus loin); Il peut en acquérir de nouvelles en allant fricoter avec le commerçant lié à la zone où il se situe.
Chaque carte propose en général un panachage de deux types de ressources virtuelles : Des cryptos et des manoeuvres. Le crypto est la monnaie du jeu : Elle permet d'acheter de nouvelles cartes, ou d'effectuer des actions particulières comme améliorer son influence dans une zone qu'il contrôle et ainsi augmenter le coût de conquête pour les autres joueurs). La manœuvre sert elle pour tout le reste : Se déplacer, collecter du minerai (jeton crypto bonus), conquérir un secteur, sonder un jeton chasse (retourner discrètement un jeton monstre pour connaître sa valeur), chasser, etc...
Au delà de cette gestion de paquet de cartes très classique, Tortuga 2199 permet à tout moment de se défausser définitivement d'une carte jouée dans son tour pour deux manoeuvres, de réserver une carte pour un tour ultérieur contre deux cryptos, et d'effectuer une action présente sur l'une de ses cartes. De quoi accentuer la part de contrôle et l'aspect stratégique de cette mécanique.
Si vous voulez un peu plus de détails, je vous invite (cordialement) à aller voir la petite pastille plutôt rigolote faite par l'éditeur :
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Une tortue tigre
Indéniablement, on se prend rapidement au jeu d'un Tortuga 2199 qui a de belles qualités à faire valoir.
La première, c'est son système de conquête de secteur très bien pensé, et qui n'est pas avare en dilemmes moraux constants. Si le jeu fait la part belle à l'exploration (le premier arrivé dans un secteur peut récupérer des bonus et s'approprier l'endroit à moindre coût), on est souvent tiraillé par l'envie de "perdre" des tours à renforcer une place forte ou défendre nos terres contre une agression, surtout que leurs pertes peuvent nous faire perdre des avantages ou des points d'influences déterminants pour la suite de la partie.
Cette profondeur vient de pair selon moi avec un excellent système d'affrontement, rapide, fun et efficace.
Dans Tortuga 2199, on peut à tout moment déclarer un combat si notre navire est dans le même secteur qu'un navire adverse. Chaque camp prépare alors une main de cartes qui sont ensuite dévoilées simultanément. Chaque joueur fait alors compte le nombre de points de manœuvres dont il dispose, et applique les éventuels modificateurs disponibles, comme les tourelles, des effets de carte ou des points de défense spécifiques (s'il est l'agressé et qu'il contrôle le secteur dans lequel le combat a lieu).
Si les phases de combat directes se font finalement assez rares, les gains peuvent être considérables pour un attaquant, qui peut, en plus de chasser un joueur d'une zone de la carte, gagner jusqu'à deux points d'influence (dont un volé à sa victime) et gratter le contrôle du terrain s'il appartenait au défenseur !
Tortuga 2199 annonçait un jeu hautement interactif, et indiscutablement, la promesse est tenue : Tout est fait pour ne pas décevoir ceux qui veulent pouvoir se brouiller définitivement avec leurs compères de fin d'après-midi slash soirées ludiques endiablées.
J'aimerai aussi souligner l'extrême accessibilité du jeu. Si Tortuga 2199 prône clairement par sa course aux points l'optimisation de ses coups, et que l'on dénombre pas moins de 11 actions différentes, tout est fait pour faciliter l'apprentissage (présence de cartes aides de jeux limpides) et l'enchaînement fluides des tours.
Ceci est possible grâce à un deckbuilding réduit à sa plus simple utilisation : Un moteur de ressources. Dans Tortuga 2199, vous allez construire votre jeu afin d'avoir le plus rapidement possible assez de points de cryptos pour ensuite acquérir les manœuvres suffisantes pour chasser ou conquérir des territoires, les deux sources principales de source d'influence. Une utilisation de la mécanique "simpliste", mais qui permet de faire jouer des joueurs peu habitués au genre, tout en permettant une petite guerre d'optimisation pour les plus joueurs grâce à son action de défausse payante.
En jeu, comme les cartes offrent des avantages immédiats explicites (99% du temps des ressources à dépenser dans le tour), on sait aussi très rapidement ce que l'on peut et va faire dans notre tour, hors attaque surprise bien sentie par un adversaire belliqueux. Dans Tortuga 2199, notre feuille de route est vite tracée, ce qui permet (après une première partie de chauffe), d'effectuer des parties en moins d'une heure, une denrée rare sur une secteur de jeu de plateau qui se veulent plutôt charnus (sans être experts).
Une tortue raie
Cette simplicité a malheureusement un revers fâcheux : c'est la trop grande prévisibilité du déroulée d'une partie de Tortuga 2199. Vous le constaterez assez vite, une partie se joue toujours en deux actes distincts.
La première est indiscutablement la plus fun : C'est là où l'on construit sa stratégie à long terme, en partant au plus vite au repérage des monstres, à la pèche aux meilleures cartes visibles des différents marchés, tout en optimisant ses coups pour gratter un maximum de bonus et de terrains de base. Il y a un véritable travail d'optimisation et d'anticipation à opérer ici, grisant et fun, et qui plus est permet par son importance de rentrer très rapidement dans le stress de la course aux points.
Le souci, c'est que la deuxième phase peut se montrer soit expéditive, soit à l'inverse laborieuse, car tout va se jouer sur votre capacité initiale à monter le plus rapidement possible ce fameux moteur de jeu.
Vous avez pris de l'avance et récupéré avec un peu de chance à l'exploration un avantage crucial sur la chasse aux monstres ? Félicitations, vous allez rapidement pouvoir finaliser de grapiller les quinze points d'influences nécessaires à votre victoire, vous allez rouler sur vos adversaires, et aucun duel direct ne pourra vous arrêter.
Vous avez du retard, ou il y a un véritable statu quo qui se créé entre les joueurs ? Là c'est la tuile, car soit vous allez perdre des tours complets à attendre que les planètes s'alignent pour gratter les dernières cartes assez puissantes pour permettre de progresser. Soit vous allez entrer dans une lutte de territoires permanents contre vos adversaires qui peut prolonger la partie jusqu'à l'ennui.
Et l'apparition de ces extrêmes sont nettement favorisés par la nette pauvreté des cartes, qui ne proposent pas vraiment de synergies ou un jeu de combinaisons qui pourraient faire basculer rapidement une partie. Car il y a beau avoir cinq marchés en tout, chaque paquet ne contient finalement pas plus de cinq cartes différentes, avec "grosse" exception un maximum de six pour le marché général (le plus imposant !).
C'est réellement frustrant et étonnant pour un jeu de ce "calibre", nuit clairement à sa rejouabilité et ne me donne malheureusement plus envie de Tortuga 2199 outre mesure.
Et sans finir d'achever mémé qui a fait un plat immonde dans les orties après avoir chuté de 10 mètres, ce n'est pas le design "particulier" du jeu qui peut le sauver. Sans exagérer, c'est la première fois que je n'arrive pas à dire si j'aime ou pas le travail artistique réalisé sur un jeu. Je peux ouvrir la boîte un jour, et me dire que je trouve le travail d'illustration original et supportant admirablement bien le thème de piraterie spatial. Et faire la même chose le lendemain, en trouvant par contre l'ensemble vraiment fadasse et ne donnant en rien un vrai souffle épique au jeu.
Ce qui est sûr par contre, c'est que les gros pâtés de plastique servant de navires ne sont vraiment pas excitants (à part le rouge que je trouve cool). Mais je pardonne rapidement les fautes de goût quand on parle de jeu d'espace (qui a dit qu'un critique devait être objectif ?)