Faire deviner le mot "film" sans dire le mot ou un dérivé de ce mot, c'est plutôt facile. Il suffit de prononcer "cinéma", "images animées" ou "acteur" pour réussir (normalement) à faire germer l'idée à un autre humanoïde en quelques secondes.
Maintenant, imaginez que ces mots, en plus d'une petite demi-douzaine savamment choisis par une équipe adverse, ne puissent être prononcés, et qu'en plus vous avez des contraintes supplémentaires du genre "vous n'avez le droit d'utiliser que des noms" et un temps limité d'une minute. Là, d'un coup, cela paraît beaucoup plus compliqué. Et c'est tout le concept de Trapwords !
Le piège des mots
Trapwords fait partie de la plus récente gamme de jeux d'ambiance de Iello, qui en plus de proposer des boîtes ayant toute le même format (cela fait toujours classe dans une ludothèque) propose surtout un paquet de jeux de "lettres" qui ont fait leur preuve (la grosse série des Codenames notamment).
Le jeu du jour s'inscrit totalement de ce concept d'affrontement par équipe, demandant lors de chaque tour de jeu, et ce à un meneur différent à chaque fois, de faire deviner un mot en ayant pour contrainte de ne pas devoir en citer d'autres.
Mais contrairement à ses pères qui ne s'embarrassent de très peu de futilité cosmétique, Trapwords intègre lui un thème extrêmement marqué.
Dès la couverture colorée et tape-à-l'œil, on est plongé dans un monde héroïc fantasy enfantin qui tranche véritablement avec le contenu du jeu. Toute la logique de Trapwords joue d'ailleurs cette carte à fond : Les équipes commencent la partie au début d'un donjon qui compte 5 salles, et doit pour l'emporter réussir à atteindre et anéantir en premier le boss des lieux, tiré aléatoirement en début de partie.
Chaque mot deviné permet de progresser d'une salle. Mais plus les joueurs avancent, plus l'équipe adverse peut proposer de mots interdits. Et cela sans compter des cartes contraintes placées devant une partie (qui n'est active que lors du tour d'arrivée dans ladite salle), et surtout la grosse contrainte liée au boss de la partie.
On ne va pas se le cacher, difficile de ne pas être surpris par cet emballage la première fois. C'est comme si Thierry Beccaro présentait Motus en tenue d'astronaute, et que les candidats étaient assis dans un cockpit mouvant pendant qu'ils tentaient de trouver des mots de 8 lettres commençant par la lettre Z.
Mais finalement, on se laisse vite bercer par cette thématique complètement "over-plaqued" (j'adore inventer des mots), qui à le mérite de vouloir apporter quelque chose de nouveau et de sortir du lot des boîtes de jeux "intellos" monocouleur. Et quand on se marre à dire qu'on va aller casser la tronche d'un dragon de 5 mètres en trouvant le mot "eau", c'est que l'idée n'est pas si saugrenue que cela.
Le piège de l'ergonomie
Malheureusement, Trapwords finit à la longue par provoquer deux réactions diamétralement opposées, en terminant par la moins glop des deux.
La découverte est ultra-sympa, vraiment. Certes, le jeu ne révolutionne absolument rien dans le genre : On est en face d'un Taboo repimpé et remis au goût du jour pour une population plutôt geek. Je ne l'ai pas dis, mais on peut débuter une partie avec deux types de mots, des contemporains (qui touchent à tous les genres), ou plus orientés héroïc-fantasy.
Mais Trapwords fait parfaitement ce qu'on lui demande : Créer une émulation de table. On se plait à se motiver pour aller battre le gros vilain avant ses adversaires, glousser des malheurs de l'autre équipe. Ou au contraire s'énerver d'une réussite insolente ou d'une piste à laquelle on n'avait pas pensée un peu plus tôt en couchant nos mots interdits.
Trapwords est fun, Trapwords permet de passer trente minutes agréables, tout en obligeant à activer légèrement ses neurones pour ne pas passer pour celui qui fera échouer sa team.
Là où le bas blesse, c'est qu'après cette première partie découverte, plusieurs défauts du jeu deviennent envahissants, et finissent par gâcher une rejouabilité qui s'annonçait infinie, malgré avec la présence de 50 cartes de 16 mots chacun dans la boîte initiale.
Le premier souci, c'est que son système de jeu se montre finalement plus frustrant que plaisant. Définir des mots interdits, à l'oral, c'est génial, perfide, grisant. Mais à l'écrit, sans pouvoir vraiment en discuter avec des coéquipiers éloignés à 2 mètres de soit (même si on s'organise pour être du même côté), on perd beaucoup de cette magie de groupe.
Bien sûr, on peut utiliser d'autres techniques, comme se passer la feuille, lister un maximum de mots puis essayer collégialement d'en barrer jusqu'à la limite permise, etc... mais cette mécanique, surtout si on est plus de 4 dans l'équipe, finit par forcément créer un effet leader et laisser des joueurs sur le bas-côté.
Le piège de la difficulté
Mon autre problème avec Trapwords, c'est son étonnante facilité. J'ai déjà testé le jeu avec deux groupes différents, en imposant un plateau plus complexe dès ma deuxième partie. Et je crois qu'en cumulé on a subit qu'un raté, et sur une manche finale de boss à fortiori.
La raison ? La langue française est bien trop riche pour permettre de bloquer toutes les pistes menant à un mot générique, avec 5 à 10 mots interdits grand maximum. Vous pensez impossible de faire deviner le mot "île" sans "terre", "eau", "déserte", "sable", "étendue", "palmier" et "vacances" ? Il suffit de dire "petit morceau de planète entouré de liquide bleu" ou "un lieu sur laquelle se déroule une série parlant d'un crash d'avion et des survivants ..." et les quelques minutes passées par l'équipe adverse à essayer de poser les meilleurs pièges sont annihilées en 5 secondes chrono par une réflexion loin d'être extra-sensorielle.
Le jeu a beau intégrer une liste de mots dérivés longue comme le bras (et pas toujours très claire), et une limite de 5 propositions par équipe, le fait que "l'éclaireur" puisse donner des indices illimités dans le temps imparti fini invariablement par trop bénéficier à son équipe. Le salut aurait pu venir des cartes contraintes, que l'on place à sa guise en début de partie pour complexifier l'expérience. Et clairement, je vous conseille d'en mettre un maximum, c'est beaucoup plus drôle avec.
Mais malheureusement, il y en a bien très peu dans la boîte, et le niveau global rapport intérêt / complexité est trop hétérogène pour surprendre sur dix parties.
Avec ces défauts, Trapwords rate selon moi le coche de s'inscrire sur la durée dans une ludothèque digne de ce nom. L'idée de base était belle, mais peut-être pas aussi excitante qu'elle laissait espérer, et le calibrage global ne propose pas assez de difficulté pour toucher les gros joueurs de mots.
Ce qui n'aide pas, c'est que le cœur de cible est limité : Le jeu qui ne touchera assurément pas ceux qui aiment les jeux d'apéros" (ceux où doit aller vite, ceux où on crie), à cause de règles qui demandent à être discret et agir toujours avec une certaine réflexion en amont.
Cela ne fait pas de Trapwords un mauvais bougre cependant, et je pense que beaucoup ont aimé / aimeront, comme nous, découvrir le titre. Avant de passer rapidement à quelque chose de plus touffu, mais c'est déjà pas mal me direz-vous !