
S'il devait se tenir un jour le combat des extrêmes du monde ludique, on pourrait sans nul doute organiser un affrontement entre un bon gros wargame des familles, ceux maîtrisés par une poignée d'humains prêt à apprendre des encyclopédies de règles et à jouer pendant des jours entiers, à un jeu comme ... Tsuro, du placement de tuiles simple et universel qui, comble de la coïncidence heureuse pour notre futur tournoi des légendes, vient de connaître une réédition qui tombe à pic de la part de Matagot.

Et n'allait pas croire avec cette introduction (de qualité premium je sais) que Tsuro est un jeu au rabais. Non. Tsuro est un jeu qui marque les esprits à plusieurs égards, et notamment pour son apparat, qui joue à fond la carte de la zénitude et de l'évasion.
Dès le devant de la boîte, une très belle illustration de dragon, à l'ancienne, annonce la couleur. À l'ouverture, le jeu continue de nous plonger dans son monde asiatico-féodale relaxant, avec un petit intercalaire semi-opaque de présentation bien charmant, son livret de règles typé parchemin aussi atypique qu'instinctif, et surtout un sublime plateau 6 x 6 cases arborant un phœnix majestueux.
Vraiment, il ne manquerait plus que la petit tasse de thé vert et le jardin zen intégrés dans le package pour définitivement oublier 6 mois à ne pas quitter les limites de mon quartier beaucoup trop occidental.

Dans Tsuro, les joueurs doivent prendre en main la destinée d'un dragon légendaire (représenté par un jeton pierre de couleur) qu'il va falloir guider le plus longtemps possible sur son chemin de vie. En des termes plus explicites, être le dernier à rester sur le plateau, en évitant si possible les collisions avec d'autres joueurs et une sortie des limites de jeu définitive pour le reste de la partie.
Ce qui m'en vient à la plus grande force de Tsuro : son extrême accessibilité. C'est bien simple, les règles tiennent en quatre phrases, et permettent de sortir le jeu avec n'importe quelle tablée, qu'elle soit composée d'enfants, de joueurs néophytes, voir de personnes un peu moins alertes de leur sens (une belle-mère par exemple) :
1) Chaque joueur récupère en début de partie trois tuiles et doivent choisir l'un après l'autre un départ de chemin présent tout autour du plateau.
2) Chacun à son tour, un joueur doit placer une des tuiles de sa main devant son dragon, le déplacer le long de son chemin sans changer de direction à un croisement jusqu'à atteindre le bord d'une tuile, puis déplacer les autres joueurs selon les mêmes règles si ceux-ci peuvent traverser la tuile qui vient juste d'être posée. Puis il pioche une nouvelle tuile.
3) Si un joueur élimine un autre joueur, il peut remplacer certaines de ses tuiles personnelles par certaines du vaincu, avant de les replacer dans la pioche commune.
4) Le premier joueur qui n'a plus de tuiles prend la tuile dragon, ce qui lui permettra de piocher en premier dès que de nouvelles tuiles sont disponibles.
5) Si un ou plusieurs dragons sortent du plateau ou se rentrent dedans, les joueurs sont éliminés.

Et ces règles, aussi enfantines qu'elles soient, n'empêchent pas de développer une certaine réflexion. Bien sûr, les plus jeunes ou les moins habitués privilégieront toujours la réflexion à court terme et la distanciation maximale avec des adversaires trop proches.
Mais l'expérience de jeu vous permettra vite d'anticiper vos coups sur deux ou trois tours, afin de trouver par exemple des itinéraires pour vous ouvrir des parties de plateaux inoccupés, esquiver les éventuels conflits voir, vous donner envie, au contraire, de vous rapprocher des joueurs les plus dangereux pour leur mettre des bâtons dans les roues.

C'est d'ailleurs le côté le plus jouissif de Tsuro : créer une adversité à la table, taquiner le chaland, et planifier une élimination qui laissera assez d'étonnement et de rancœur pour animer une éventuelle seconde partie !
Assez pour amuser des joueurs d'expérience ? Non, quand même pas. C'est malheureusement la contrepartie d'un jeu dont l'immédiateté et l'intuitivité sont calibrés pour capturer un sourire agréable de la majorité sans trop de prise de tête.
Tsuro n'est pas un jeu pour lequel on réserve une soirée, mais un jeu "passerelle", que l'on sort pour faire patienter une tablée le temps d'un créneau de vingt minutes, ou pour présenter des mécaniques de placement de tuiles et de mouvement dans leurs formes les plus simples avant d'attaquer quelque chose de plus exigeant.
Reste qu'un jeu aussi universel et polyvalent, qui peut se jouer avec un nombre de joueurs aussi large en nombre (2 à 8) qu'à tous les âges, et qui peut procurer autant de joie dans des temps si restreints, cela ne court pas les rues ludiques. Ce qui en fait un quasi-indispensable, sauf si vous n'aimez vraiment pas les dragons.


